Gestion de l’eau à Paris : le bluff de Delanoë
Lundi 24 novembre, le Conseil de Paris a voté le retour en régie municipale de la gestion de l’eau, à compter du 1er janvier 2010. Loin d’être une « remunicipalisation », l’opération ne crée pas de véritable service public de l’eau, et elle laisse la part belle aux entreprises privées.
Du début du xxe siècle à 1984, la production, la distribution et le contrôle de l’eau, ainsi que la collecte des eaux usées, étaient assurés, à Paris, par une régie municipale directe, employant des fonctionnaires municipaux. Le mètre cube d’eau était bon marché, mais la vente d’eau potable représentait une véritable manne financière, qui servait à combler les déficits du budget municipal. Entre 1980 et 1984, alors que ce siphonage empêche le maintien en bon état du réseau et la réparation des fuites, le prix de l’eau augmente chaque année de 14,02 % (contre 12,1 % pour le coût de la vie).
Prétendant remédier aux fuites du réseau, Jacques Chirac débute, en 1985, le démantèlement du service des eaux. Par le biais d’une délégation de service public, il confie la distribution (des réservoirs aux immeubles) et la facturation de l’eau, rive droite, à la Compagnie des eaux de Paris (CEP, Veolia) et, rive gauche, à Eau et force parisienne des eaux (EFPE, Suez). En 1987, Chirac « privatise » la production et l’acheminement de l’eau jusqu’aux réservoirs, en les déléguant à une société d’économie mixte (SEM), la Société anonyme de gestion des eaux de Paris (Sagep), devenue par la suite Eau de Paris.
Social-libéralisme
En 2001, l’inspection générale de la Ville de Paris (IGVP) dresse le bilan du groupement d’intérêt économique (GIE) créé par Veolia et Suez pour collecter les fonds des factures d’eau : « Le poids des intérêts économiques et financiers des concessionnaires privés qui cherchent à accroître leurs marges […] s’est ajouté au manque de moyens et à la logique des directions techniques de la Ville pour faire considérer le prix final de l’eau payé par l’usager comme une variable indéfiniment extensible. […] Le GIE constitué par les distributeurs n’a jamais fait l’objet d’un contrôle quelconque. » De 1991 à 1997, alors que la hausse du prix de l’eau atteint 51,5 % dans les communes françaises de plus de 100 000 habitants, elle dépasse les 90 % à Paris…
À partir de 2000, Jean Tiberi tente de privatiser le Centre de recherche et de contrôle des eaux de Paris (Crecep), alors régie municipale directe. Le personnel s’y oppose par une grève, en février 2001. Avec les délégations de service public à Veolia, Suez et Eau de Paris, le prix de l’eau a augmenté de 13,70 % par an jusqu’en 2001. Sur la même période, la hausse annuelle du coût de la vie s’établissait à 2,43 %.
En mars 2001, Bertrand Delanoë (PS) gagne les élections municipales et succède à Jean Tiberi à la mairie de Paris. Mais les salariés déchantent rapidement, car la gauche plurielle poursuit sans état d’âme le processus de démantèlement du service public de l’eau. Après l’externalisation de la production et de la distribution d’eau potable, le traitement des eaux usées est pris pour cible. Les personnels de la section de l’assainissement de Paris (SAP) sont transférés au Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne (Siaap), organisme gérant les eaux usées de 8 millions d’habitants, répartis sur quatre départements (Paris, Hauts-de-Seine, Val-de-Marne, Seine-Saint-Denis) et 180 communes d’Île-de-France1. En termes d’emplois publics, cette opération engendre la perte de 1243 postes à la Ville de Paris.
En 2005, le Crecep, transformé en régie de la Ville de Paris à personnalité morale et à autonomie financière, est externalisé : 83 % de ses fonctionnaires le quittent. Vidé de son savoir-faire, mal doté financièrement et dirigé par des directeurs incompétents, le Crecep fait faillite en juin 2008. Ce qui provoque 71 licenciements. C’est la première faillite d’un établissement public, qui conduit le contrôle sanitaire réglementaire de l’eau potable à passer au privé, dès janvier 2009. Sous Delanoë, entre 2001 et 2008, avec la poursuite de la délégation de service public à Veolia, Suez et Eau de Paris, le prix de l’eau a augmenté de 2,75 % par an, contre 1,94 % pour le coût de la vie.
Coup politique
Mais, en novembre 2007, profitant de la fin des contrats de délégation en 2009 (distribution) et 2011 (production), Bertrand Delanoë annonce sa décision de remunicipaliser l’eau à Paris : « Je privilégie donc un choix d’efficacité consistant à confier à un opérateur public unique la responsabilité de toute cette chaîne du cycle de l’eau, de la production à la distribution. Cet opérateur prendrait la forme d’une régie municipale à autonomie financière. » Et de poursuivre, à la sauce sociale-libérale : « Ce service […] sera soumis à de fortes exigences de management, tout en sachant mobiliser autant que nécessaire les compétences des entreprises privées. Concrètement, je souhaite que cette régie puisse s’appuyer sur le savoir-faire technique que les groupes industriels privés, spécialisés dans ce domaine, ont développé en France […], [à travers des] marchés publics concernant par exemple les travaux qui ne relèvent pas de l’entretien courant. Pourrait ainsi se développer une nouvelle approche des partenariats public-privé. »
Dans cette optique, bien éloignée de la volonté de créer un véritable service public de l’eau dans la capitale, le Conseil de Paris a voté, le 24 novembre dernier, le retour du service de l’eau en régie municipale. La société d’économie mixte Eau de Paris sera transformée en régie à personnalité morale et à autonomie financière (547 salariés), en mars 2009. Elle accueillera les 55 salariés survivants du Crecep, ainsi que, fin 2009, ceux de Veolia (280) et de Suez (120). En revanche, la facturation restera entièrement déléguée à Veolia, propriétaire du logiciel de télérelevage des compteurs.
Au total, cette « remunicipalisation » de l’eau ressemble plus à un coup politique qu’à une volonté réelle d’améliorer le service rendu aux Parisiens puisque, là encore, il s’agit de privatiser les bénéfices et de socialiser les pertes. Le maire de Paris ne communique pas sur le licenciement des 71 salariés du Crecep : il ne souhaite pas avoir à justifier sa conduite de patron de choc, dans cet aspect volontairement « caché » de la « remunicipalisation ».
Claude Danglot
Le privé garde la main sur le Sedif
Le 11 décembre, sur proposition de son président, André Santini (UMP, Issy-les-Moulineaux) et de sa majorité (UMP), le conseil du Syndicat des eaux d’Île-de-France (Sedif, 144 communes, 4 millions d’habitants) a voté la poursuite de la délégation au privé de la gestion de l’eau, par contrat de « régie intéressée ».
Signé en 1962 avec la Compagnie générale des eaux devenue Vivendi puis Veolia, ce contrat de plus de 300 millions d’euros annuels expire fin 2010. Très critiqué par des associations et certains élus de gauche, ce contrat engendre, selon l’UFC-Que choisir, une surfacturation de 90 millions d’euros par an. Une étude commandée par le Sedif lui-même a montré que, chaque année, 30 millions d’euros pouvaient être économisés en changeant le mode de gestion actuel. Pour empêcher le débat, la majorité du Sedif est passée en force et elle a procédé au vote, le 11 décembre. ll faut dire que les liens entre Veolia et certains élus sont étonnants. Le Canard enchaîné a ainsi révélé qu’André Santini, cet été, avait envoyé un courrier, à en-tête de Veolia, à tous les élus délégués des communes au conseil du Sedif…
Les deux concurrents de Veolia, Suez et Saur, souhaiteraient que, comme cela se pratique à Marseille ou à Lille, le gâteau soit partagé en plusieurs lots. Une bataille entre requins va maintenant s’engager !
La droite est majoritaire au Sedif, mais l’ampleur du résultat en faveur du maintien de ce scandale a surpris : à la suite d’une demande de vote à bulletin secret par la droite, une quinzaine d’élus de gauche a voté avec Santini ! Les groupes PS et PCF avaient publiquement indiqué qu’ils voteraient contre… De la gestion très consensuelle du Sedif (entre l’UMP, le PS et le PCF), en passant par le traditionnel stand de Veolia à la fête de l’Humanité et la tribune de Santini répondant dans l’Humanité à celle de Jacques Perreux (PCF, vice-président du conseil général du Val-de-Marne), partisan de la gestion publique, il semble vraiment difficile de changer les mauvaises habitudes !
Les propositions de la LCR et du NPA
1,4 milliard d’êtres humains n’ont pas accès à l’eau potable : tout comme le droit à la santé ou à l’éducation, le droit à une eau potable de qualité doit être reconnu. Nous sommes donc partie prenante de l’appel des forums sociaux : « La gestion et le contrôle de l’eau doivent être publics, sociaux, coopératifs, participatifs, équitables et sans bénéfice ». Bien sûr, nous sommes solidaires de tous les combats en Afrique ou en Amérique latine menés, parfois avec succès, contre les grands groupes français (Veolia, Suez et Saur) qui font des bénéfices colossaux en installant et distribuant l’eau.
L’eau est aussi indispensable à la vie que l’est l’air ou le soleil : sa gestion, sous tous ses aspects (production, distribution, contrôle de qualité, assainissement), ne peut être que publique. Nous proposons donc un grand service public national de l’eau et la nationalisation de Veolia, Suez et Saur, sans indemnité ni rachat. Dans le débat actuel à gauche, nous n’opposons pas cet objectif à celui d’une gestion municipale ou intercommunale de l’eau dans le cadre de régies directes (de la même manière que, pour nous, la défense des centres municipaux de santé est une aide au combat pour un service public de santé). Les personnels intégrés dans ces régies doivent acquérir, s’ils le souhaitent, le statut de fonctionnaires territoriaux.
En France, seulement 10 % de l’eau sont consommés par les habitants. Ce sont donc « ceux d’en bas » qui payent pour les industriels et les grands céréaliers, lesquels en consomment 60 % et bénéficient de tarifs dégressifs. C’est une autre logique qui doit être imposée : les coupures d’eau doivent être interdites, les 100 premiers litres nécessaires à la consommation moyenne quotidienne doivent être gratuits, et les tarifs augmentés pour les pollueurs et les gaspilleurs. ■
B. G.
1. Le Siaap dépollue les eaux usées et les eaux pluviales de l’agglomération parisienne. Les eaux ainsi retraitées peuvent être rejetées dans la Seine et dans la Marne. Présidé par Maurice Ouzoulias (PCF, Val-de-Marne), le Siaap accueille des élus de Paris et des conseillers généraux des départements limitrophes. L’organisme est à l’origine de juteuses affaires pour les entreprises privées. Ainsi, en mai dernier, OTV (filiale de Veolia) a décroché un contrat de 224 millions d’euros pour la mise aux normes de la plus grande usine de dépollution d’Europe, l’usine de traitement des eaux usées Seine-Aval (Achères, Yvelines), et pour des travaux sur l’usine de traitement des eaux usées Seine-Grésillons (Triel-sur-Seine, Yvelines).
• À voir : le site animé par Marc Laimé (lire Rouge n° 2274) : www.eauxglacees.com ; le site de l’Acme : www.acme-eau.org/ ; le blog du NPA de Montreuil : http://npaeau.blogspot.com/
* Paru dans Rouge n° 2279, 18/12/2008 (Pleins feux).
Retour de l’eau en régie publique
Cela tangue au Syndicat des eaux d’Île-de-France (Sedif), qui organise la distribution de l’eau dans 144 communes de la région parisienne en délégant sa gestion à Veolia. Alors qu’il s’apprête à renouveler son contrat, les pleins pouvoirs de la multinationale et de ses relais politiques sont contestés. Le contrat actuel de délégation de service public se termine en 2010, et c’est le 11 décembre 2008 que le Sedif devait décider du maintien ou non de son alliance avec Veolia : soit mise en place d’une régie publique, soit poursuite de la marchandisation de l’eau pour dix ou quinze ans.
Ce vote n’arrive pas dans un contexte serein pour André Santini, maire d’Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) et président du Sedif. Après la multiplication des collectifs de défense de l’eau publique et les enquêtes de l’UFC-Que choisir sur les marges bénéficiaires que s’octroie Veolia, des élus se rebiffent et demandent des comptes. Pire, la commission consultative des services publics locaux s’est prononcée contre la reconduction de Veolia, déclenchant les foudres de Santini, qui est allé jusqu’à qualifier d’ultragauches les amis des élus ayant voté contre lui. Après tant d’années sans contre-pouvoir, et alors qu’il refuse même le prêt de salles à son opposition municipale pour débattre de l’avenir de l’eau, M. Santini sort de ses gonds, car il voit bien que les multiples résistances en faveur d’un retour de l’eau en régie publique constituent une véritable force.
Quel que soit le résultat du vote du 11 décembre, la lutte doit se poursuivre pour créer un service public de l’eau sur l’ensemble du territoire.
Vincent Gay
* Paru dans Rouge n° 2278, 11/12/2008 (Fais et méfaits).
VITRY-SUR-SEINE : Bataille pour l’eau
Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) est une commune de 80 000 habitants dirigée par le PCF depuis plus de 80 ans, seul, puis en alliance avec le PS et les Verts. Veolia y distribue l’eau, la ville appartenant au Syndicat des eaux d’Île-de-France (Sedif).
Entre 2001 et 2008, deux conseillers municipaux LCR n’ont cessé d’interpeller, en séance ou publiquement, la majorité municipale à ce sujet. La réponse disait en substance : « Ce qu’il faut, c’est la nationalisation des grands trusts de l’eau. » Réponse empreinte d’un radicalisme de façade, qui permettait de dégager l’équipe municipale de ses responsabilités politiques sur ce terrain. Une bonne partie de la collecte des ordures a d’ailleurs été déléguée à Veolia…
Malheureusement, en mars 2008, faisant les frais de la guerre PS-PCF, la liste présentée par la LCR a perdu ses deux élus. Le collectif NPA, constitué en avril, a décidé de reprendre à son compte une activité importante sur l’eau. Avec plusieurs associations (Attac, des associations locales, un groupe alternatif dénommé Vagues et ayant deux élus au conseil, les Verts), il a construit un collectif unitaire pour une régie publique de l’eau ; la section du PCF n’a jamais répondu aux sollicitations. Une des élus de Vagues est déléguée au Sedif par le conseil municipal. Aux municipales, ce groupe s’était battu pour que, dans la plateforme du maire sortant, l’exigence d’une régie publique soit inscrite. Ce collectif unitaire a rassemblé près de 1 500 signatures autour d’un texte se prononçant pour la régie publique et demandant un débat citoyen dans la ville. Par ailleurs, une rencontre réunissant 60 personnes a été organisée par le collectif avec Marc Laimé [1] et Jacques Perreux (vice-président du conseil général). Un petit début de réponse a été apporté, puisqu’il semble que le conseil municipal s’apprête à demander à André Santini, président du Sedif, le report du vote pour ou contre la délégation à Veolia, prévu le 11 décembre, le temps qu’un véritable débat public ait lieu dans les communes concernées.
Nous avons aussi constitué une commission « Eau » du NPA Vitry, qui a élaboré un quatre-pages et qui a mis en place une exposition de panneaux sur les marchés et aux portes d’un supermarché. Cela nous a permis d’informer, de sensibiliser une partie de la population sur tous les aspects d’ordre écologique, service public, social de cette bataille pour l’eau. Ce quatre-pages a circulé dans d’autres collectifs, qui l’ont retravaillé. Il a été diffusé lors d’un meeting de la coordination Île-de-France à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne). Bien sûr, cette commission a participé aussi à la commission « Eau » du NPA Île-de-France.
À côté des actions menées unitairement, dans le cadre d’un collectif pour porter une parole commune, le NPA de Vitry a développé sa propre analyse : en particulier sur la revendication de la gratuité des 100 litres d’eau par consommateur et par jour, ce qui est possible car, en France, seulement 11 % de l’eau sont consommés pour l’usage domestique. Par ailleurs, l’eau est un bien commun de l’humanité, au même titre que l’air qu’on respire. Tout cela a permis un travail de fond de politisation anticapitaliste de la population, tout en assurant la lisibilité et la visibilité du NPA sur notre conception de l’écologie, des services publics et de la démocratie.
La commission « Eau » du NPA de Vitry
1. Lire Rouge n° 2275 ou sur ESSF : Eau voleur !
* Paru dans Rouge n° 2275, 20/11/2008.
Cas d’eau au Sedif
L’UFC-Que choisir lance, pour la troisième fois en deux ans, un pavé contre le Syndicat des eaux d’Île-de-France (Sedif) et le contrat de délégation de l’eau passé entre 144 communes d’Île-de-France et Veolia eau. Après avoir dénoncé les marges colossales que Veolia se fait sur le dos des usagers (59 %), l’UFC dénonce cette fois les profits exorbitants réalisés sur ce bien vital.
L’enquête révélerait que 30 % des charges (91 millions d’euros) sont parfaitement contestables. Le procédé est toujours le même : surfacturer les différentes interventions et prestations ! Le coût d’entretien du réseau en est le premier exemple. L’enquête a pris pour référence des documents émanant du ministère de l’Écologie. Elle estime ainsi le coût de l’entretien à 12 millions d’euros. La facture atteint 75 millions d’euros. Même en révisant les chiffres en faveur de Veolia, le bénéfice réalisé est de 40 millions ! Comment expliquer qu’un branchement neuf vaut 1 140 euros à Paris et 2 776 euros de l’autre côté du périphérique ?
Pour nous faire boire cette eau-là, le Sedif dépense 2,9 millions d’euros de communication en plus des 1,9 million de Veolia. Le taux de rentabilité de ce contrat est trois à quatre fois supérieur à Veolia. Pas étonnant que des experts du Crédit agricole notent, à propos du président du Sedif, M. André Santini, secrétaire d’État à la Fonction publique, qu’il « est un homme politique favorable aux groupes privés ». Étonnant non ?
* Paru dans Rouge n° 2259, 03/07/2008 (Au jour le jour).