● Louise-Michel : le trait d’union dit la rencontre entre Louise (Yolande Moreau) et Michel (Bouli Lanners), le rapport du film avec la communarde Louise Michel étant ténu et ne se dévoilant qu’à la fin. Ce choix signifie-t-il que Louise Michel a été votre inspiratrice ?
Benoît Delépine – Si tu as vu nos deux films précédents, Aaltra et Avida, tu sais que notre inspirateur principal demeure Don Quichotte. Là encore, il part à l’assaut des moulins à vent du nouveau « libéralisme ». Notre premier film, Aaltra, était dédié à Libertad le béquillard, anarchiste de la fin du XIXe siècle qui avait mis le souk avec ses béquilles dans pas mal d’endroits. Nos héros politiquement incorrects en fauteuil lui devaient cet hommage. Le second, Avida, fable écologiste et pacifiste, est logiquement dédié au chef indien Seattle. Louise Michel est bien, pour nous, cette personnalité symbolique d’un refus absolu de se laisser faire. Louise et Michel, ils ne sont pas trop de deux pour se hisser à son niveau.
● Utopia, qui a permis à la LCR-Gironde d’accueillir Louise-Michel, fin septembre, en avant-première à Bordeaux, écrit dans sa présentation que « c’est Ken Loach à Groland ». Vous retrouvez-vous dans cette formule ?
B. Delépine – Oui, ce qui est pour nous le plus étonnant, c’est qu’aucun réalisateur, ni Ken Loach, ni les frères Dardenne, n’a pris pour sujet les délocalisations. Ils n’auraient pas traité le sujet comme nous, mais ce n’est pas la question.
● Même si c’est dans un autre genre, on peut penser au film Le Couperet, dans lequel Costa Gavras, dans son adaptation du livre de Donald Westlake, met en scène José Garcia, cadre victime lui aussi de la délocalisation de son entreprise…
B. Delépine – C’est un film que j’ai bien aimé, il s’agit de prendre la violence à la hauteur de la violence actuelle. En un trait de plume ou en un clic de souris, ils peuvent supprimer 3 000 emplois d’un coup. Et, derrière, il y a 300 dépressions et 30 suicides. Dans la situation sociale que nous connaissons, le cynisme des gens d’en haut est absolument énorme. Pendant le tournage, le passage du bassin d’emploi picard à l’île de Jersey est un choc culturel total.
● Vous faites jouer au journaliste et écrivain Denis Robert le rôle d’un homme de main du superpatron, à Jersey justement. C’est un sacré clin d’œil !
B. Delépine – On n’imaginait pas ne pas l’avoir dans le film. La façon dont tout le monde l’a ostracisé avec l’affaire Clearstream 2, alors qu’il a fait un tel boulot pour lever l’affaire Clearstream 1, est terrifiante [1]. Il a montré comment toutes les grandes banques ont des comptes dans les paradis fiscaux. Les 10 000 milliards de dollars qui y sont cachés, c’est ce qui manque aux feuilles de paie des salariés des dix dernières années. Jersey et les îles Caïman sont des îles de pirates. Les « capitaines d’industrie » d’aujourd’hui, qui y planquent leurs magots, sont des pirates.
● Alors, appel à la révolte derrière Louise Michel, avec transgression de tous les tabous ?
B. Delépine – La transgression des tabous, c’est créer la surprise totale qui provoque le rire. Le scénario a une logique. Louise explose, pas seulement comme représentation d’une explosion « sociale ». Là encore, ne racontons pas le film, mais elle explose d’une colère aveugle, qui renvoie à toutes les exclusions. C’est un film. S’il y a un message, c’est « réveillez-vous ! ». On a rencontré des gens déjà réveillés. On a rencontré ceux de Goodyear, à Amiens. Dans une situation dramatique, ces jeunes (en l’occurrence, avec leur syndicat CGT) ont multiplié les trucs. En faisant des coups, ils ont déjà obtenu un an de rab, et ils tiennent. Si le film peut être un signal…
RÉVEILLON NOUS
Le père Noël 2008 n’est pas une ordure : il nous propose le dernier film de Gustave Kervern et Benoît Delépine pour un réveillon réellement iconoclaste, une transgression de bien des tabous, afin de tenter de nous convaincre de nous réveiller et de ne pas accepter le monde tel qu’il est.
Non, ce n’est pas le film que nous sommes nombreux à attendre sur Louise Michel, l’anarchiste, la Communarde, la Kanake. Quoique le lien ténu avec elle se dévoile à la dernière image. Louise, ouvrière analphabète, brute de décoffrage, entraîne ses collègues – victimes d’un patron voyou qui a délocalisé de nuit leurs machines – à mettre en commun leurs maigres indemnités de licenciement pour engager Michel, un tueur.
C’est le film de la découverte, pas à pas, par ceux d’en bas – de tout en bas –, de la vie de ceux qui, en haut, vivent de leur misère. C’est le film de leur colère froide ou chaude. Les patrons doivent être prévenus : gare à la revanche, quand tous les pauvres s’y mettront. Parce que la surprise est là, un élément constitutif de l’humour et du rire, on ne peut pas vous raconter l’agriculteur Mathieu Kassovitz, l’ingénieur Benoît Poelvoorde, ou l’homme de main Denis Robert, pas plus Siné ou Dupontel. Mais nous sommes prêts à le parier, certaines scènes entreront dans les anthologies.
Cette quête du responsable de leur malheur est un vrai parcours pédagogique du capitalisme financier globalisé. Et la violence du film n’arrive pas à la cheville de la violence du système. Aujourd’hui, avec le scandale Madoff, Kerviel, avec ses 5 pauvres milliards, apparaît comme un petit joueur.
Et ce qui est formidable, c’est que même si le système apparaît tentaculaire et retors, on ne sort pas de là découragé, mais tonifié. Oui, et si c’était le signal ?
Roger Devaneuse
• À lire : Gustave Kervern, 50 propositions pour sauver votre pouvoir d’achat, Éditions Danger public, 14 euros ; et l’album illustré du film, Delépine, Kervern et Rabaté, Louise-Michel, Éditions Danger public, 20 euros (un conseil : ne lisez le livre qu’après avoir vu le film, et allez revoir le film après avoir lu le livre).