La sûreté nucléaire chancelle-t-elle sur un de ses piliers, le principe de la responsabilité des exploitants, EDF en tête ? On pourrait le croire, après la décision de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) de suspendre ou de refuser l’agrément des laboratoires de l’électricien chargés de mesurer la radioactivité dans l’environnement. Ces laboratoires se sont montrés incapables de livrer des données de qualité suffisante, surestimant parfois le niveau de radioactivité, mais aussi - ce qui est plus gênant - le minimisant.
Si le Réseau « Sortir du nucléaire » ne s’était pas donné la peine d’éplucher le site de l’ASN, où sont mis en ligne une multitude d’avis, l’affaire serait restée confidentielle. On touche là une des limites de la transparence telle que la pratique l’ASN : on ne pourra lui reprocher de cacher les choses, puisqu’elles figurent sur son site. Mais il faut l’opiniâtreté des militants antinucléaires pour dénicher les dysfonctionnements qui y sont exposés, derrière les énoncés techniques et les avis abscons - au risque parfois d’en surévaluer la portée. La méthode donne la fâcheuse impression que le secteur nucléaire continue de préférer laver son linge sale en famille.
Au-delà, l’affaire montre les limites du principe de responsabilité des exploitants, dont la vertu serait de contraindre les industriels à ne pas se défausser des questions de sûreté. A l’évidence, confier la surveillance à des acteurs à la fois juges et partie reste un pari risqué. Certes, l’ASN peut aussi compter sur le réseau de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), mais celui-ci, malgré une remise à niveau récente, reste encore trop lacunaire. Certes, elle dispose elle-même de moyens de contrôle. Mais, là encore, le soupçon d’endogamie n’est pas sain.
Il faut espérer que certains laboratoires associatifs, souvent au bord de l’asphyxie financière, pourront à l’avenir s’inscrire eux aussi dans les réseaux de surveillance de l’environnement, non plus en francs-tireurs, mais avec des protocoles validés et partagés par tous les acteurs. Certaines associations refuseront de « se compromettre ». D’autres semblent prêtes à jouer ce jeu. La France devra vivre longtemps encore avec le nucléaire. L’évaluation pluraliste de son impact, signe de maturité, ne peut qu’être encouragée.
Edito du Monde
* Article paru dans le Monde, édition du 14.01.09. LE MONDE | 13.01.09 | 13h11.
Centrales nucléaires : la fiabilité des mesures d’EDF mise en cause
L’année 2008 a été, en France, une annus horribilis pour l’image de la sûreté nucléaire. Les incidents à répétition sur le site du Tricastin (Drôme) – notamment le rejet, en juillet, d’effluents uranifères dans l’environnement par une filiale d’Areva – ont fourni de nouveaux arguments aux adversaires de l’atome civil pour réclamer l’arrêt des centrales. Les associations antinucléaires ne désarment pas et elles viennent de trouver un nouvel angle d’attaque en relayant les critiques de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) contre les laboratoires d’Electricité de France (EDF).
Le réseau Sortir du nucléaire a révélé, lundi 12 janvier, que le « gendarme » de l’énergie atomique avait mis en cause la fiabilité de l’expertise de ces laboratoires installés au sein même des dix-neuf centrales (comptant 58 réacteurs) d’EDF. Dans une lettre au ministre de l’écologie et de l’énergie, Jean-Louis Borloo, l’association indique que ces « défaillances » mettent les citoyens « en danger ».
Par quatre décisions rendues le 16 décembre, l’ASN a refusé ou suspendu l’agrément donné à ces laboratoires chargés de mesurer les indices de radioactivité dans l’environnement des centrales (air, rivières, nappes phréatiques, faune, flore, lait...). Elle a notamment relevé que sur les impulsions radioactives, il existait « des biais de mesure incompatibles avec la qualité requise pour assurer la surveillance de la radioactivité de l’environnement ».
Les écarts peuvent atteindre 10 % à 15 %. Les experts notent que les mesures d’EDF pour les rayonnements bêta donnent des résultats supérieurs aux valeurs réelles, tandis que le tritium (isotope radioactif) est un peu sous-évalué. L’ASN précise que les laboratoires épinglés ne sont pas chargés de mesurer les rejets radioactifs.
« Cela ne remet pas en cause la capacité d’EDF à détecter la radioactivité anormale, ni le bilan environnemental autour des sites, souligne Julien Collet, directeur de l’environnement et des situations d’urgence de l’ASN. Il n’y a pas de problème au niveau de la surveillance de l’environnement. »
LES INFORMATIONS SERONT CONSULTABLES SUR INTERNET
EDF réalise 20 000 mesures annuelles par centrale (et pratiquement autant pour les rejets). En outre, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) effectue lui aussi des mesures, programmées ou impromptues.
EDF et l’ASN indiquent que le groupe d’électricité a déjà partiellement réduit ces écarts de mesures. En février, ses laboratoires seront en conformité, affirme une porte-parole du groupe. Les mouvements antinucléaires jugent les limites légales des rejets « fort laxistes ».
Depuis la loi du 13 juin 2006, qui a transformé l’ASN en une autorité administrative indépendante, les contrôles sur l’industrie nucléaire se sont renforcés. L’ASN a décidé qu’à partir du 1er janvier 2009, les mesures de la radioactivité dans l’environnement devront obligatoirement être réalisées par des laboratoires agréés, qu’ils soient propriétés d’EDF ou indépendants. Tous doivent déjà répondre à des normes internationales. A partir de janvier 2010, les informations seront consultables sur Internet.
Dans son dernier rapport annuel, publié en avril 2008, l’ASN juge que l’état du parc d’EDF est « assez satisfaisant ». Sans plus. Et elle invite l’entreprise à faire des progrès dans la rigueur d’exploitation, la lutte contre l’incendie et le contrôle des sous-traitants. En novembre, l’Autorité avait réclamé à l’exploitant « un état des lieux général des canalisations transportant des fluides explosifs », après avoir relevé des « carences » dangereuses dans certaines centrales.
Jean-Michel Bezat
* LE MONDE | 13.01.09 | 09h10 • Mis à jour le 14.01.09 | 10h54.