« Ni moi ni la télévision suédoise ne connaissions à l’avance l’agenda du Vatican »
Le Vatican vous accuserait d’avoir monté avec la télévision suédoise un « complot » contre Benoît XVI, en organisant la diffusion des propos de Richard Williamson trois jours avant sa réintégration dans l’Eglise catholique. Pouvez-vous raconter comment s’est organisé cet entretien avec Williamson et quel a été votre rôle ?
Fiammetta Venner : J’ai lu ça dans la presse italienne. J’ai cru à une plaisanterie mais le Vatican communique le plus sérieusement du monde sur cette affaire en nous accusant, Caroline Fourest et moi-même d’être à l’origine d’un « complot contre le pape ». Complot censé être prouvé par le fait que nous serions engagées contre le « cléricalisme » – il nous avait semblé qu’il s’agissait de l’intégrisme – et que nous serions proches du Grand-Orient de France.
La vérité est légèrement moins romanesque, hélas... En tant qu’essayistes, nous avons écrit un livre sur les Nouveaux Soldats du pape qui porte notamment sur ce courant intégriste que le pape veut réintégrer. Une équipe suédoise préparait un documentaire sur l’arrivée en Suède de la Fraternité saint Pie X et m’a interviewée. Elle m’a demandé mon avis sur certaines figures emblématiques du lefebvrisme. Je leur ai confirmé que Monseigneur Williamson tenait des propos négationistes. Ils l’ont interviewé et il leur a expliqué que les chambres à gaz n’existaient pas, face caméra.
Savez-vous si la date de diffusion de l’interview a été fixée spécifiquement pour interférer avec l’annonce de la réintégration des évêques traditionalistes ?
Fiammetta Venner : L’interview a été tournée en novembre 2008 mais le film était programmé depuis des semaines pour le 21 janvier. Pas de chance pour le Vatican, qui a décidé d’annoncer la réintégration de Willamson le même jour. C’est bien entendu un hasard. Ni moi ni la télévision suédoise ne connaissions à l’avance l’agenda du Vatican. Mais surtout, cela ne change rien à l’affaire. Si des observateurs et des journalistes n’ont aucun mal à connaître les convictions négationnistes de Williamson, comment le pape peut-il prétendre les découvrir ?
Le pape a demandé mercredi à Williamson de retirer ses propos. Cela vous semble-t-il suffisant ?
Fiammetta Venner : C’est aux catholiques de le dire. Ce que je peux dire, en tant qu’analyste, c’est que la réintégration des quatre évêques ordonnés par Mgr Lefebvre en 1998 pose des problèmes de fond qui dépassent de loin les propos de Mgr Williamson. La plupart des catholiques traditionalistes éprouvent une certaine nostalgie pour le temps où l’on priait pour convertir l’âme du Juif déicide [la prière pour les juifs, modifiée à la suite du concile de Vatican II] . Le fait de restaurer l’esprit de cette prière, même formulée autrement, est une concession très lourde à cette aile intégriste. La question est de savoir si l’« unité de l’Eglise » se fera au détriment de ceux qui restent attachés à Vatican II, à son œcuménisme.
Propos recueillis par Jean-Baptiste Chastand
* LEMONDE.FR | 04.02.09 | 21h19 • Mis à jour le 04.02.09 | 21h57.
Le Vatican se justifie
Cette fois sera-t-elle la bonne ? Après dix jours de dénégations, de justifications, et de demandes de pardon répétées, le Vatican semble avoir pris la mesure du problème et a produit, mercredi 4 février, un document destiné à clore la polémique qui déstabilise l’Eglise catholique depuis le 24 janvier. Ce jour-là, le Vatican annonçait la levée de l’excommunication de quatre évêques intégristes, parmi lesquels le Britannique Mgr Richard Williamson, un négationniste notoire. Une décision historique destinée à résorber un schisme, provoqué en 1988 par Mgr Marcel Lefebvre, et qui divise depuis lors l’Eglise catholique.
Signé de la secrétairerie d’Etat, la plus haute instance vaticane, le texte indique que « pour être admis aux fonctions épiscopales dans l’Eglise, Mgr Williamson devra prendre ses distances d’une manière absolument sans équivoque et publique par rapport à ses positions concernant la Shoah ». « Positions que le Saint-Père ignorait au moment de la levée de l’excommunication », précise encore le document, suggérant un manque d’information et un couac de communication sur cette question dans l’entourage de Benoît XVI.
« La pleine reconnaissance du concile Vatican II est la condition indispensable à la reconnaissance future de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X », insiste aussi le texte. En attendant une telle démarche, qui pourrait demander des mois de discussions, les quatre évêques « n’exercent licitement aucun ministère au sein de l’Eglise » et la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X (FSSPX), à laquelle ils appartiennent « ne jouit, à l’heure actuelle, d’aucune reconnaissance dans l’Eglise catholique ».
Ces précisions visent à rassurer les catholiques, inquiets de voir mises à mal les orientations du concile sur la liberté de conscience et le dialogue avec les autres religions, rejetées par les intégristes. Mais ce texte, en forme de mise au point solennelle, s’adresse plus largement à l’opinion publique mondiale et à la communauté juive, qui s’étaient émues de voir le pape tendre la main à un négationniste et d’une possible résurgence de l’antisémitisme catholique. « Si cela avait été dit dès le début, on aurait évité d’inutiles dégâts », a déclaré, mercredi, le rabbin David Rosen de l’American jewish committee, commentant le nouveau texte papal.
Face aux inquiétudes suscitées par la décision du pape, les critiques avaient en effet débordé du simple cadre de l’Eglise avec l’intervention spectaculaire de la chancelière allemande, Angela Merkel, jugeant « insuffisante » la clarification jusque-là apportée par le pape.
Une cinquantaine de représentants catholiques du Congrès américain avaient également écrit à Benoît XVI pour exiger une « répudiation directe » des propos de Mgr Williamson. Des responsables politiques polonais s’étaient aussi inquiétés de « la confusion » que cette décision créait dans l’Eglise.
De manière inhabituelle, la charge est également venue de l’intérieur même de l’institution. En première ligne, les évêques allemands et autrichiens ont alerté sur « une perte de crédibilité » et une « perte de confiance envers le pape ». Les évêques belges ont souligné que l’unité des chrétiens ne pouvait se réaliser « au détriment de la vérité », tandis que le journal d’inspiration catholique La libre Belgique dénonçait « la surdité et l’aveuglement » du Vatican. En Suisse, 200 prêtres et théologiens ont écrit à leurs évêques, estimant que la réhabilitation des intégristes s’inscrivait dans une série de « décisions fortement régressives ».
DYSFONCTIONNEMENTS
En France, une cinquantaine d’intellectuels catholiques, rejoints par plus de 5 000 fidèles, ont signé une pétition lancée par le magazine catholique La Vie contre les négationnistes dans l’Eglise. Même la conférence épiscopale italienne, par nature proche du Vatican, a souhaité que soit exigée des intégristes une acceptation totale de Vatican II. Au Vatican même, le tollé provoqué par la décision du pape semble par ailleurs avoir mis en lumière des dysfonctionnements internes. Des critiques publiques ont, de manière inédite, été émises sur les méthodes de gouvernement.
Le cardinal Walter Kasper, chargé au Vatican du dialogue avec les autres confessions, a dénoncé « des problèmes de management dans la Curie », laissant entendre qu’il n’avait pas lui-même été informé de cette décision, pourtant hautement sensible pour les relations avec les autres religions, et en particulier avec les juifs.
Cette affaire précipitera-t-elle la vaste réforme politique que le Vatican attend depuis la fin du pontificat de Jean Paul II ? Pour cela Benoît XVI devra s’attaquer au cloisonnement entre les dicastères (ministères), à la gestion des divers courants à l’œuvre au Vatican, à la lourdeur des processus de décision et à la professionnalisation d’un personnel, composé en partie de prêtres et de religieuses.
Reste enfin la question de fond, concernant le processus de réintégration des lefebvristes, amorcé avec la levée de l’excommunication. Comment Mgr Williamson répondra-t-il à la nouvelle injonction du pape ? Jusqu’à quel point les membres de la Fraternité sont-ils prêts à s’amender alors même que des divisions sont apparues en leur sein sur la stratégie à adopter après cette main tendue ?
Des questions cruciales, car l’opération tentée par le pape ne réussira que si les quatre évêques sont pleinement réintégrés. Qu’un seul d’entre eux reste en dehors de l’Eglise avec une partie des troupes intégristes et le schisme perdurera.
Stéphanie Le Bars (avec nos correspondants)
RETOUR SUR UNE POLÉMIQUE
22 janvier. Mgr Richard Williamson, un évêque intégriste installé en Argentine, déclare à une télévision suédoise : « Je crois qu’il n’y a pas eu de chambres à gaz. (...) Je pense que 200 000 à 300 000 juifs ont péri dans les camps de concentration, mais pas un seul dans les chambres à gaz. »
24 janvier. Le Vatican annonce la levée de l’excommunication de quatre évêques de la Fraternité sacerdotale Saint Pie X, ordonnés en 1988 par Mgr Marcel Lefebvre. Parmi eux figure Mgr Williamson. Une polémique naît.
28 janvier. Benoît XVI réaffirme sa « solidarité totale et incontestable » avec les juifs, lors de son audience hebdomadaire.
3 février. L’affaire « peut être considérée comme close », assure le numéro deux du Vatican, le cardinal Tarcisio Bertone. Quelques heures plus tard, la chancelière allemande, Angela Merkel, juge « insuffisante » la clarification du Vatican.
4 février. Mgr Williamson doit « prendre sans équivoque et publiquement ses distances » avec ses déclarations sur la Shoah avant de retrouver ses fonctions épiscopales, prévient le Vatican qui assure que ces déclarations à la télévision suédoise n’étaient « pas connues » du pape « au moment de la levée de l’excommunication » des quatre évêques.
* Article paru dans le Monde, édition du 06.02.09. LE MONDE | 05.02.09 | 14h13 • Mis à jour le 05.02.09 | 14h13
Enquête : Le doute dans la paroisse
Les plus remontés ont commencé « une grève du culte ». Consternés, d’autres ont, « pour la première fois de (leur) vie », signé une pétition. Certains ont affiché leur « honte » d’être catholiques. D’autres, au contraire, leur satisfaction de voir promus « l’unité de l’Eglise » et le « retour de la tradition ». Beaucoup, décontenancés, ont écrit à leur évêque. En quête d’explications.
Georges Sohier est de ceux-là. Entre tristesse et colère, ce paroissien de Chamonix résume le trouble ressenti chez une partie des catholiques de France à la suite de la levée des excommunications de quatre évêques intégristes de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (FSSPX) par le pape Benoît XVI, le 21 janvier. « Je vis cette décision comme une blessure et comme une injustice », témoigne ce « catho de gauche » de 66 ans, inquiet de « l’image terrible » que ce nouveau geste du pape envers une des franges les plus réactionnaires de l’univers catholique donne de l’Eglise. La concomitance de cette annonce historique avec la publication de propos négationnistes tenus par l’un des prélats concernés, Richard Williamson, a ajouté l’indignation à l’incompréhension.
Depuis une dizaine de jours, les milieux catholiques subissent une onde de choc inédite, et déversent sur les sites Internet des journaux confessionnels, les forums communautaires ou les blogs personnels, toutes les interrogations ou les justifications que leur inspire cette décision controversée. Le sujet est abordé dans les paroisses et les séminaires ; des rencontres-débats sont organisées à travers la France. Embarrassés, les évêques apportent chacun à leur tour commentaires personnels et explication de texte.
« On avait connu des débats et des mobilisations lors de l’affaire Gaillot (l’évêque déchargé en 1995 par Jean Paul II pour ses positions jugées iconoclastes, notamment sur le mariage des prêtres) mais là, cela dépasse tout ce qu’on a connu », commente un vieux routard de l’Eglise.
Il faut dire que le courant intégriste, créé en 1970 par le Français Marcel Lefebvre et en marge de l’Eglise depuis vingt ans, cristallise les zones d’ombre, assumées ou non, de toute une partie du catholicisme. Et les relents d’obscurantisme qu’il charrie sont jugés « scandaleux » par nombre de catholiques, de droite ou de gauche. Si la plupart d’entre eux acceptent désormais, bon gré mal gré, l’attachement exclusif de la Fraternité au rite liturgique traditionnel et à la messe en latin, peu sont prêts à admettre son rejet de Vatican II (1962-1965) en matière de liberté de conscience et de dialogue avec les autres confessions ou son anti-judaïsme affiché.
Issu d’une génération qui a vécu le concile Vatican II et l’ouverture de l’Eglise sur le monde comme une « bouffée d’oxygène », M. Sohier, comme nombre de ses coreligionnaires laïcs ou religieux, peine à comprendre la main tendue de Benoît XVI envers des schismatiques qui font porter au concile tous les maux de l’Eglise actuelle. « Avec cette décision, on assiste au détricotage continu de tout ce que Vatican II a apporté à l’Eglise et à la société en termes de liberté de choix religieux et de pratiques. L’élection de Benoît XVI avait déjà donné le signal de cette évolution, sa décision de libéraliser la messe en latin en 2007 n’a fait que confirmer cette tentation de restauration et de retour en arrière que l’on constate dans l’Eglise. »
L’inquiétude domine aussi quant à la possible réintégration dans l’Eglise d’un courant marqué par une idéologie d’extrême droite, ouvertement empreinte d’antisémitisme, voire, comme l’a montré Richard Williamson, de négationnisme. Depuis le concile et la déclaration Nostra Aetate, l’Eglise catholique a officiellement reconnu la filiation entre le judaïsme et le christianisme et cessé de considérer le peuple juif comme « déicide ». « Mais l’antisémitisme existe dans l’ethos catholique français. Je crains que cette décision du pape ait un effet libérateur pour un certain nombre de personnes qui ne faisaient pas parler d’elles mais qui sont toujours dans l’Eglise », s’inquiète un dominicain. « Même s’il est difficile de connaître l’état général de l’Eglise sur cette question, on peut penser que la dimension antisémite est demeurée présente chez les catholiques à travers le monde, au-delà des cercles intégristes », estime aussi le sociologue des religions Jean-Louis Schlegel, signataire de la pétition « contre les négationnistes dans l’Eglise » publiée par l’hebdomadaire La Vie.
La « miséricorde sélective » du pape ulcère aussi de nombreux croyants. Ainsi, Christian Alexandre, prêtre en Gironde, regrette sur son blog que Benoît XVI ne soit pas plus « paternellement sensible au malaise manifesté par les divorcés remariés qui se sentent exclus de la communion de l’Eglise ». S’ils ne sont pas excommuniés, les divorcés remariés n’ont pas le droit de recevoir la communion eucharistique. D’autres évoquent le sort des théologiens de la libération, mis à l’index par Rome.
Parallèlement, chez certains évêques comme chez nombre de fidèles de base prévaut un grand scepticisme sur la volonté réelle des membres de la Fraternité de s’amender et d’accepter les conditions posées par le pape pour une totale réintégration, à savoir la reconnaissance de Vatican II. « Ils ne feront pas la démarche de venir dans l’Eglise, pronostique un responsable de séminaire. Ils continueront de critiquer Vatican II. »
Cette conviction renforce l’idée confuse que le pape a fait, envers les schismatiques, la concession de trop. « C’est un mauvais choix, qui en plus n’aboutira pas, prédit M. Sohier, ou alors il faudra s’aplatir encore plus. » « Quand bien même ils accepteraient, ces gens étaient canoniquement infréquentables et sociologiquement infréquentés, rappelle l’historien des religions Emile Poulat. Les paroissiens de base ne les fréquenteront pas davantage. Chacun restera dans ses églises. »
L’unité, revendiquée par le pape, semble donc loin d’être acquise, alors même que cette affaire créée de nouvelles divisions, ou tout au moins de nouveaux désaccords, au cœur de l’Eglise. Car la décision de Benoît XVI, ressentie par les uns comme « une blessure », est perçue par d’autres comme un « acte positif ». « C’est le geste d’un pasteur libre face aux critiques », estime ainsi Patrick Rougevin-Baville, un catholique « plus que jamais heureux de l’être ». « Que préfère-t-on ? Laisser proliférer en dehors de l’Eglise un mouvement extrême, ou dialoguer avec lui, sous l’autorité du Saint-Père ? »
« Je ne suis pas à l’aise avec les intégristes », reconnaît Alain, un quadragénaire de Salon-de-Provence (Bouches-du-Rhône), scandalisé par les propos de Richard Williamson. « Mais le message évangélique demande d’aimer ses ennemis, poursuit ce fidèle proche de la communauté nouvelle du Chemin neuf, un des mouvements qui a le vent en poupe auprès des jeunes croyants. On peut espérer qu’en étant moins stigmatisés et moins seuls les intégristes deviennent moins sectaires. »
Pour le courant traditionaliste, proche des intégristes pour son attachement à la messe en latin, la décision de Benoît XVI sonne comme une victoire. « C’est une bonne nouvelle pour l’Eglise », se réjouit Louis de Lestang, un jeune « tradi » des Yvelines. Comme beaucoup de catholiques, il se refuse à juger l’idéologie politique portée par la Fraternité. « On n’a jamais mis les électeurs du Front national hors des églises », rappelle le jeune homme, qui assure par ailleurs que, pour les fidèles de sa génération - il est né en 1975, dix ans après la fin du concile -, Vatican II est « un faux débat ». Les directeurs de séminaires constatent aussi que, chez les plus jeunes, le débat est « dépassionné ». « Nous n’avons pas vécu les moments douloureux des années 1970, liés aux débats sur Vatican II », confirme M. Rougevin-Bâville, 34 ans. « Cela ne veut pas dire que l’on n’en mesure pas les enjeux, mais certains en ont sans doute une moindre connaissance. »
Les tensions pourraient donc s’amplifier au sein de l’Eglise entre les « légitimistes », qui conservent au pape toute leur confiance, et les plus critiques, résolus à ne plus suivre un « berger » qui les mènerait sur une mauvaise voie. Comme Alain, une frange de catholiques estime que « le pape est guidé par l’Esprit-Saint », qu’il « sait ce qu’il fait » et qu’il veillera « à séparer le bon grain de l’ivraie ». Mais cette affaire libère aussi une parole critique envers la hiérarchie catholique et son fonctionnement opaque, y compris au sein du clergé et des laïcs les plus engagés.
Ces mouvements d’humeur et de lassitude font craindre à un prêtre parisien « des départs sur la pointe des pieds ». « Pour récupérer 150 000 brebis, le pape est prêt à en perdre combien ? », s’interroge-t-il. Beaucoup de catholiques en ont aussi assez « de s’en prendre plein la figure » dans leurs discussions avec les protestants ou les juifs, inquiets du mépris affiché dans cette affaire pour le dialogue oecuménique et interreligieux. Las de devoir justifier les orientations de leur chef de file, certains s’acheminent donc vers un « schisme » silencieux et personnel. « Lorsqu’il n’y aura plus que des prêtres tradis devant des assemblées de fidèles tradis, nous ne serons plus là pour juger », conclut, amer, M. Sohier.
Stéphanie Le Bars
* Article paru dans le Monde, édition du 06.02.09. . LE MONDE | 05.02.09 | 14h13.
La réhabilitation d’un évêque intégriste dérange particulièrement l’Allemagne
C’est avec une rare dureté qu’Angela Merkel a demandé « une clarification » à Benoît XVI, mardi 3 février, sur la réintégration de Richard Williamson au sein de l’Eglise catholique. D’habitude plus diplomate, la chancelière allemande n’a pas hésité à dire qu’il fallait « que de la part du pape et du Vatican il soit clairement établi qu’on ne peut pas nier l’Holocauste ». Aucun autre chef d’Etat n’a osé s’exprimer sur ce sujet. Est-ce que parce que la Shoah pèse naturellement dans les consciences allemandes, parce que Benoît XVI, ancien cardinal Ratzinger, est bavarois ? Toujours est-il que les propos négationnistes de Richard Williamson, un des évêques réintégrés par le pape, sont particulièrement débattus en Allemagne.
Au sein même de l’Eglise allemande, cette réintégration dérange. Les évêques de Hambourg et de Stuttgart n’ont pas hésité à exprimer publiquement leur désaccord avec la décision de Benoit XVI. L’archevêque de Berlin, Georg Sterzinsky, a même déclaré au tabloïd Bild que nier l’Holocause était « monstrueux », en demandant l’annulation de la réintégration de Richard Williamson. Du côté de la communauté juive allemande, la condamnation est encore plus ferme, puisque le consistoire central des juifs d’Allemagne a annoncé son intention de rompre tout dialogue avec l’Eglise catholique.
Mais, si les propos d’Angela Merkel ont été appréciés du côté des sociaux-démocrates du SPD, partenaires dans la coalition au pouvoir, ils ont été critiqués par plusieurs membres de la CSU, l’aile bavaroise, conservatrice et profondément catholique, de la CDU. Un député européen a ainsi déconseillé à Merkel de « jouer la maîtresse à penser du pape ». « Elle devrait plutôt s’occuper de promouvoir les fondamentaux chrétiens au sein de la coalition », continue-t-il.
Malgré la demande du Vatican à Williamson de retirer ses propos, la presse allemande reste très critique. Mercredi, dans un éditorial titré « Nous ne voulons plus être papes » le Süddeutsche Zeitung s’indigne : « Un pape, qui vient d’Allemagne, qui arrive à se mettre à dos la communauté juive et qui fait d’un négationniste une personnalité importante, n’a pas compris quelque chose de fondamental ». « Les Allemands ne comprennent plus leur pape » conclue le Spiegel.
Jean-Baptiste Chastand
* LEMONDE.FR | 04.02.09 | 21h22.
En France, les intégristes ont une place particulière
Le président de la République française, Nicolas Sarkozy, devait s’exprimer sur le négationnisme et l’antisémitisme, jeudi 5 février, lors de son intervention télévisée, à la suite de la polémique suscitée par la levée de l’excommunication, par le pape Benoît XVI, d’un évêque intégriste qui a nié l’existence des chambres à gaz. Mardi, la chancelière allemande, Angela Merkel, avait été la première dirigeante à juger « insuffisantes » les clarifications apportées par le Vatican.
En France, les responsables politiques se sont globalement tenus à l’écart de la polémique. Le débat qui traverse les milieux catholiques sur la levée de l’excommunication des évêques intégristes a toutefois donné lieu à des déclarations divergentes de deux membres du gouvernement, pratiquants revendiqués.
Condamnant les propos de l’évêque négationniste, Richard Williamson, jugés « inacceptables, abjects, intolérables », le porte-parole du gouvernement, Luc Chatel a ajouté, sur Radio J, dimanche 1er février : « Je suis catholique pratiquant. A ce titre-là, je ne suis pas sûr que cette réintégration soit la meilleure chose pour l’Eglise et pour la réconciliation au sein de l’Eglise. » La veille, Christine Boutin, ministre du logement, avait elle aussi condamné les déclarations de Mgr Williamson, mais n’avait pas rejeté la main tendue aux intégristes par Benoît XVI. « Il ne faut pas regarder cette question-là par le petit bout de la lorgnette », avait-elle déclaré.
DES MILLIERS DE FIDÈLES
Le courant intégriste de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, créé par le Français Marcel Lefebvre, jouit en France d’une audience particulière, avec plusieurs dizaines de milliers de fidèles. L’église parisienne de Saint-Nicolas du Chardonnet, occupée par les lefebvristes en 1977, n’a jamais été « récupérée » par l’Eglise catholique.
Le supérieur du district de France de la Fraternité, Régis de Cacquerey, est régulièrement reçu au cabinet de la ministre de l’intérieur, Michèle Alliot-Marie – en charge des cultes –, « au même titre que d’autres responsables de mouvements religieux », indique-t-on place Beauvau, où l’on précise que « le ministère agit au nom de la liberté de l’exercice du culte, inscrite dans la loi de 1905 ».
Lors de ces rencontres, il est en général question de dossiers juridiques ou de problèmes liés à l’ouverture de lieux pour l’exercice du culte. Selon les diocèses, les évêques se montrent plus ou moins enclins à céder des églises aux fidèles schismatiques.
Le bureau des cultes du ministère peut alors jouer un rôle de « facilitateur », comme c’est le cas à Amiens, où les intégristes cherchent à occuper une église. La dernière rencontre date de mercredi ; les derniers développements venus du Vatican ont pris le pas sur les dossiers juridiques.
Stéphanie Le Bars
* Article paru dans le Monde, édition du 06.02.09.