Le 9º FSM a été évidemment marqué par la crise profonde (économique, financière, écologique,
alimentaire, énergétique et géopolitique) que traverse le capitalisme mondialisé (illustrée lors du forum de Davos qui se tenait au même date que le FSM)
Trois éléments émergent de ce forum :
1) la conscience que nous sommes face à une crise globale, de civilisation, qu’un changement de paradigme (un autre monde) est nécessaire. Si les débats sur les alternatives / l’alternative ont écarté des entrées trop « doctrinaires » au profit de questions concrètes : comment faire face dans l’immédiat à ce système qui a généré la crise, (quelles mesures proposer…), cependant la question de l’alternative à construire/offrir à la société était très présente : les propositions lancées par François Houtart (Forum Mondial des Alternatives) ou Rafaël Correa (président d’Équateur) comme expression de ce qui devrait être le « Socialisme du Siècle XXI » tentaient, de manière plus ou moins convergente, d’avancer sur ce chemin.
En tout cas, le débat sur la société du futur a acquis une actualité énorme.
2) La nécessité d’incorporer à ce nouveau paradigme deux éléments : le respect de la
nature et la contribution des peuples indigènes au modèle de vie, ce que l’on appelle le
« bien vivre ».
3) La nécessité de faire face à la crise et aux mesures que les gouvernements ou les
institutions internationales promeuvent pour en « sortir ». Ainsi la conclusion du FSM (lors de l’assemblée des assemblées) a avancé sur l’ appel à la mobilisation globale pour le 28 mars, face au sommet du G-20 qui se tiendra à Londres le 2 avril.
1. Participation historique, très jeune , très féminisée, et très combattive
Après des années (pratiquement depuis 2003 après la mobilisation énorme contre la
guerre) le FSM - comme mouvement massif et populaire – avait connu une certaine atonie et baisse de participation, cette 9e édition a marqué un pas en avant tant au niveau de la
participation numérique que dans la qualité de l’engagement et de la combattivité.
Évidemment la participation du Brésil et des pays de l’Amérique latine était très forte
(90% des participants). Plus de 2 000 ateliers en l’espace de six jours. 142 pays étaient représentés ; 491 organisations européennes ont formé la plus grosse délégation continentale après celle de l’Amérique latine. 133 000 personnes ont participé. Il s’agit de la plus forte fréquentation depuis la création du rassemblement des altermondialistes, à Porto Alegre (Brésil), en 2001. 5 800 associations issues de la société civile ont organisé 2 300 ateliers autour d’une dizaine de thèmes, parmi lesquels la construction d’une économie solidaire et durable, le monde dans une perspective
post-capitaliste, la préservation de l’environnement, etc.
La Confédération Syndicale Internationale (CSI) a eu une bonne présence et a été plus intégrée dans les activités générales du Forum qu’à d’autres occasions. Elle était présente et a rapporté dans l’assemblée thématique conclusive sur le travail et la crise au côté de diverses mouvements. Un espace « monde du travail » permettait de rencontrer de multiples organisations syndicales.
Au-delà de cela, ce que ce forum exprime c’est une combattivité, une radicalité importante dont la première expression a été la manifestation d’ouverture :80.000 personnes, en
majorité très jeunes, et avec une grande participation de femmes qui ont défilé par les rues de Belem en défiant pendant des heures et sans parapluie une pluie torrentielle.
2. Une structure différente du FSM
Le Forum a eu trois espaces définis : 1) la manifestation de l’ouverture, 2) les activités
programmées (séminaires, ateliers, conférences...) et 3) la clôture qui en améliorant le
modèle expérimenté –avec un résultat moyen– à Nairobi (assemblées thématiques des
mouvements en parallèle le dernier jour) a eu, cette fois, deux parties : le matin Assemblées thématiques et l’après-midi l’Assemblée des assemblées pour mettre en commun les conclusions
auxquelles il a été possible d’arriver après les cinq jours d’activités du forum.
Ce modèle de mise en commun et de visibilité des activités du Forum, des réseaux et des mouvements, - qui jusqu’à présent se faisait exclusivement par le biais de l’Assemblée des Mouvements Sociaux, vient maintenant constituer la conclusion du Forum lui-même. On peut dire qu’à travers cette formule un chemin a été trouvé qui permet de casser la dichotomie entre forum-Espace débat et forum-Mouvement en faisant du Forum un espace plus actif.
3. L’Assemblée de Mouvements Sociaux
Ce processus a du coup été un peu affaibli (dans la participation aux séances préparatoires).
Pour beaucoup, l’Assemblée des assemblées remplaçait cet espace. D’autre part comme réseau structuré et permanent (animé par la CUT, MST et ATTAC Brésil et la Marche mondiale des femmes et le CADTM) l’Assemblée des Mouvements Sociaux (ASM) a peu travaillé ces derniers mois (dernière réunion à Rostock en 2006.) Toutefois un appel , qui s’inscrit vraiment dans le contexte de la crise globale a été adopté qui retient un agenda de mobilisations (28 mars –G20- et 4 avril –OTAN– notamment).
4. L’heure des alternatives
La mise en question forte du capitalisme, par toutes les sensibilités qui construisent le Forum
a mis en scène la question des alternatives.
Les débats ont été vraiment ouverts avec la volonté de rassembler toutes les suggestions possibles et en prenant position sur des questions plus concrètes. Parfois cela s’est traduit dans des documents (comme celui qui s’est présenté sur les mesures face à la crise financière) qui peuvent paraître « limités » ou régulationistes mais qui dans le contexte actuel supposent des éléments de confrontation avec les politiques en cours et une base suffisante pour encourager la mobilisation à partir de vastes consensus.
Les quatre propositions présentées par F. Houtart –comme contribution du Forum Mondial des Alternatives– dans l’Assemblée du Réseau Travail et Globalisation ont tenté de définir les piliers du nouveau paradigme : 1. Nouvelle relation avec la nature – respect face à exploitation ;
nouvelle philosophie face au capitalisme ; 2. Donner la priorité à la valeur
d’utilisation face à la valeur d’usage ( qui modifie les façons de produire et les
relations de travail) ; 3. Démocratie généralisée : non seulement sur le terrain
politique, mais aussi économique et dans tous les domaines de la vie ; 4.
Multiculturalité : ne pas identifier le développement avec celui du modèle occidental
5. La présence des présidents, la participation institutionnelle
La participation institutionnelle constitue un sujet de polémique permanente dans le
Forum et particulièrement cette fois-ci. D’une part, on pouvait noter la participation de 12
ministres (du gouvernement Lula) dans70 des 2300 activités programmées ce qui plus qu’une forme d’institutionnalisation, montre les liens forts entre le PT et le Gouvernement de Lula et certaines forces du Conseil International. C’est un élément qui ne peut pas être sous-estimé car il convient de rappeler que le Brésil fait partie du G20 qui est dans la ligne de mire des mouvements présents. Une contradiction que l’on ressentait dans les débats et que ces ministres s’appliquaient à surmonter, adoptant un discours anti-libéral voire anti-capitaliste, en phase avec les attentes des participants (pas forcément avec les politiques gouvernementales du gouvernement Lula).
Une autre question fut la présence Chavez, Lugo, Courrea et Morales, quatre présidents de
gouvernements qui se présentent eux-mêmes comme résultat des luttes populaires et qui ont, de fait, marqué des points de rupture avec le capitalisme ; réalité que les mouvements sociaux ne peuvent ignorer. C’est pour cela que le MST du Brésil (mouvements des paysans sans-terre) avait invité (convoqué) ces présidents pour dialoguer avec les mouvements sociaux. La déclaration des mouvements sociaux, comme celle issue du FSM de Caracas parle d’une relation d’appui/critique à ces gouvernements. Ainsi le représentant de Jubileo South comme J.P. Stedile du MST (mouvement des paysans sans terre) ont d’ailleurs été critiques dans leurs interventions (critique à Chavez pour le paiement de la dette au FMI et demandant des mesures plus concrètes et à court terme au-delà de sa proclamation « du socialisme du XXIe siècle »).
6. Conclusions
1. La première est que le FSM acquiert un nouveau souffle et se renforce comme espace privilégié de rencontre des mouvements sociaux. Le FSM continue (et se renforce) à constituer un patrimoine des mouvements dans leur diversité.
2. L’agenda de mobilisation est important. Contrairement à la journée mondiale d’action
lancée par le Conseil International après le FSM de Nairobi, l’agenda s’est construit au travers des activités, des réseaux par un processus de débat et une volonté de converger.
3. Le débat et la réflexion sur les alternatives a acquis une place centrale et en cherchant les convergences, et aussi l’articulation avec les luttes sociales.