Cette fois, une date est décidée par l’intersyndicale réunie le 9 février : une « nouvelle journée d’action interprofessionnelle, le 19 mars ». C’est évidemment tard et le risque existe d’une retombée du souffle extraordinaire du 29 janvier. Mais tout dépend, en réalité, de la conduite offensive du front syndical sur les revendications prioritaires (salaires, emplois, services publics), et de son attitude face aux luttes en cours : la confrontation dans l’enseignement supérieur, la montée de la colère contre la loi Bachelot qui détruit le service public, et la solidarité qui devrait aller de soi avec la grève générale dans les Antilles.
Or, une nouvelle fois, le communiqué commun (CFDT, CGC, CFTC, CGT, FO, FSU, Solidaires, Unsa) ignore ces mobilisations, qui conditionnent pourtant la « consolidation du rapport de force » de longue durée, comme le dit Bernard Thibault (CGT), ainsi que Solidaires. Il est par exemple absolument décisif qu’une initiative nationale ait lieu prochainement contre la loi Bachelot, comme le proposent les Collectifs unitaires sur la santé (Coordination de défense des hôpitaux, Convergence des services publics, Collectif contre les franchises). Une telle action prendrait une dimension interprofessionnelle puissante, et c’est l’enjeu des jours à venir. Quant aux revendications plus générales, le communiqué en rappelle les axes forts, marquant ainsi sa distance avec la tentative élyséenne de brouiller les cartes en tendant une perche aux syndicats complaisants.
Il n’était en effet pas totalement acquis d’avance qu’une nouvelle date soit décidée, qui plus est en semaine, donc impliquant une grève. La CFDT, par exemple, aurait voulu retarder toute annonce après la rencontre avec Sarkozy, le 18 février, précédée d’un marathon de rendez-vous avec une brochette de ministres. François Chérèque mettait surtout l’accent sur une initiative européenne à la mi-mai, au nom du refus (justifié) d’une dérive protectionniste ou nationaliste. Mais son souci n’est aucunement de proposer des mesures anticapitalistes à l’échelon européen ! Son obsession, développée mardi 10 février sur France Inter, est de sortir de la confrontation aiguë par des mesures « donnant-donnant », selon la stratégie constante de la CFDT. Il propose donc un « fonds social » pour la formation (financé par l’abandon de la loi Tepa), et il accepte, sur le pouvoir d’achat, le cadre des remises fiscales annoncées par Sarkozy. En somme, parler de tout sauf… des salaires et du blocage des licenciements.
En Guadeloupe, la confrontation décisive a lieu sur 200 euros, et c’est le point clé qui peut faire contagion dans les DOM-TOM et en métropole. C’est ce type d’exigences précises que le front syndical devrait accepter d’ouvrir au débat dans les entreprises, les branches, les réunions publiques et les assemblées populaires de préparation au 19 mars.
Dominique Mezzi
* Paru dans Rouge n° 2286, 12/02/2009.
Service minimum
Mardi 3 février, Sarkozy a encore coupé court à toute « relance » de la consommation (sous-entendu : des salaires). Dans un conflit social, il existe une manière de « parler » en négociant, mais c’est précisément ce que Sarkozy ne veut pas. Ce serait, pour lui, perdre la face. Donc, au besoin, il change la donne.
Dans ces conditions, le communiqué du 2 février des huit organisations syndicales (CFDT, CGC, CFTC, CGT, FSU, FO, Solidaires, Unsa), en reportant le débat sur les suites du 29 janvier après l’intervention télévisée du chef de l’État, se place sur un terrain glissant. Les organisations prennent le risque de laisser Sarkozy changer de pied, même si des responsables syndicaux avertissent qu’ils refusent de « se laisser balader » (Gérard Aschieri, FSU).
Certes, l’ampleur du 29 janvier ne décrète pas, ipso facto, sous quelles formes il convient de proposer une suite interprofessionnelle à la hauteur des enjeux. Les précédents mouvements d’ampleur (1995, 2003, 2006) s’affrontaient à des projets précis. Il s’agit, cette fois, de s’affronter à la totalité d’une politique, et le syndicalisme n’y est pas prêt. La plateforme du 5 janvier a une certaine cohérence, qui n’est pas du tout celle du gouvernement, en dépit de son imprécision. Mais des propositions habiles de concertation point par point pourraient la désarticuler.
Donner des suites au 29 janvier devrait commencer par soutenir confédéralement les mobilisations en cours, pour en assurer le succès et en assumer politiquement toute la portée : les enseignants et les jeunes contre les décrets Pécresse et les plans Darcos, les hospitaliers contre la loi Bachelot, les salariés de l’automobile et les sous-traitants contre les licenciements, la population de Guadeloupe contre la vie chère. Or, il n’y a rien de tout cela dans la déclaration intersyndicale.
Certaines organisations auraient souhaité aller plus loin. Mais tout le monde tient, à juste titre, à garder le front commun. Le succès du 29 janvier impose une organisation plus soudée du front unitaire. Mais il impose aussi, de manière indissociable, la nécessité de lieux de débats publics intersyndicaux, dans toutes les régions, pour approfondir les revendications alternatives.
Dominique Mezzi
* Paru dans Rouge n° 2285, 05/02/2009.