1969, avril
La Ligue communiste ! À l’automne 1968, un courant révolutionnaire composé de militants issus de la Jeunesse communiste révolutionnaire, du Parti communiste internationaliste – deux organisations dissoutes par le gouvernement en juin 1968 – et de « militants de Mai » se regroupe autour d’un nouveau journal, Rouge. Après plusieurs mois de discussions, la Ligue communiste est créée : elle se définit comme une organisation révolutionnaire, se réclamant de la tradition léniniste et antistalinienne. Elle devient la section française de la IVe Internationale, le mouvement créé par Léon Trotsky. Très vite, c’est le baptême du feu, avec la candidature d’Alain Krivine, 27 ans, bidasse, à l’élection présidentielle .
1972, juin.
« Quand ils seront ministres ». C’est le titre de la brochure publiée par la Ligue quelques jours après la signature du programme commun de gouvernement entre le PS, le PCF et les radicaux de gauche. Comment prendre en compte l’aspiration du peuple de gauche à l’unité et au changement, tout en dénonçant l’impasse que constituent les solutions réformistes ? Comment conserver son indépendance politique vis-à-vis de la gauche institutionnelle, sans sombrer dans l’isolement sectaire ? Autant de débats qui vont traverser la Ligue… pendant de nombreuses années !
1973, juin.
Meeting fasciste, meeting interdit. Au printemps 1973, la Ligue joue un rôle de premier plan lors des mobilisations lycéennes et étudiantes contre la loi Debré (suppression des sursis militaires). En juin, elle est à l’initiative d’une manifestation pour empêcher la tenue d’un meeting raciste d’Ordre nouveau (extrême droite) que protège la police. À la suite des affrontements, la Ligue communiste est dissoute par le gouvernement. Les militants se réorganisent autour du journal Rouge et seront bien présents lors de la grande manifestation de soutien aux travailleurs de Lip, puis dans les mobilisations en solidarité avec le peuple chilien victime de Pinochet.
1974, mai.
Sous l’uniforme, tu restes un travailleur. Reprenant une liste de revendications sociales et démocratiques, « l’Appel des cent » circule dans les casernes et recueille rapidement des milliers de signatures. Depuis des années, la Ligue développe une intervention revendicative et antimilitariste en direction des appelés. Bientôt, des dizaines de comités de soldats vont s’organiser, éditer des bulletins et même organiser des manifestations d’appelés en uniforme, avec le soutien d’une partie du mouvement syndical.
1976, mars.
Et Rouge devint quotidien. Pour se donner les moyens de répondre au jour le jour à l’évolution de la situation politique et sociale, notamment dans la perspective de l’arrivée de la gauche au pouvoir, la Ligue transforme Rouge en quotidien. Après une première phase de succès, l’aventure s’avère au-delà des moyens financiers de l’organisation. Rouge retrouvera son rythme hebdomadaire de publication en 1979.
1977, automne.
Pas de socialisme sans libération des femmes. Après 1968, l’irruption du mouvement de libération des femmes a secoué la Ligue et provoqué des débats sur le féminisme et le mouvement autonome. Luttes contre l’oppression spécifique, mobilisations pour le droit à la contraception et à l’IVG, discriminations salariales, violences : le courant féministe de « lutte de classe » tente de penser l’articulation entre exploitation capitaliste et oppression des femmes, entre lutte de classe et luttes féministes. En novembre 1977, sous l’égide du secrétariat « Femmes » de la Ligue, sort le premier numéro des Cahiers du féminisme. Ils paraîtront pendant 20 ans, jusqu’en 1998.
1985, janvier.
Solidarité avec la Kanaky. La Ligue manifeste pour protester contre l’assassinat – par le GIGN et sous un gouvernement de gauche – d’Éloi Machoro, l’un des dirigeants du mouvement indépendantiste en Kanaky-Nouvelle Calédonie. Depuis les années 1970, à de nombreuses occasions, la Ligue a toujours apporté sa solidarité militante aux partisans de l’indépendance socialiste de la Nouvelle Calédonie, en lutte contre le colonialisme français. Comme elle a toujours été présente dans les mobilisations anti-impérialistes : guerre du Viêt-nam, révolution nicaraguayenne, soulèvement zapatiste, lutte du peuple palestinien.
1988, mai.
Une nouvelle politique à gauche ? Pour l’élection présidentielle, la LCR soutient la candidature de Pierre Juquin, dissident du PCF. Avec l’éclosion de dizaines de comités, la campagne est un véritable succès militant… qui ne sera pas confirmé par le résultat électoral. Mais de nouveaux débats se font jour sur la conception du parti à construire et la perspective du dépassement de la LCR.
1989, juillet.
Il y a encore des Bastilles à prendre. Alors que François Mitterrand choisit de fêter le bicentenaire de la Révolution française en accueillant le G7 (les dirigeants des sept pays les plus riches), la Ligue impulse un cartel unitaire – « Ça suffat comme ci » –, qui organise une grande manifestation pour l’abolition de la dette du tiers monde et contre les « saigneurs du monde », ainsi qu’un concert géant, place de la Bastille, avec Renaud et Johnny Clegg (Afrique du Sud). Un avant-goût des grands rassemblements altermondialistes futurs.
1992, novembre.
Nouvelle période, nouveau programme, nouveau parti. Adopté par le congrès national de la LCR, le manifeste « À la gauche du possible » synthétise les débats qu’ont suscités la chute du Mur de Berlin, l’éclatement de l’URSS et la restauration capitaliste : l’effondrement du système stalinien n’est pas la « fin de l’histoire ». La lutte des classes continue. Mais la période a changé : il faut élaborer un nouveau programme pour l’émancipation et bâtir un nouveau type de parti, rassemblant ceux qui veulent en finir avec le système, quelles que soient leurs convictions sur les moyens d’y parvenir.
1995, novembre-décembre.
Contre le plan Juppé. Absente de l’élection présidentielle, la LCR sera en revanche très présente, en novembre et décembre 1995, par l’intermédiaire de ses militants syndicalistes et associatifs, dans les grandes mobilisations – grèves et manifestations – contre le plan Juppé de démantèlement de la Sécurité sociale et face aux premières attaques contre le système de retraites des cheminots.
1999, juin.
Des révolutionnaires au Parlement européen. En dépassant les 5 %, la liste commune LO-LCR permet l’élection de cinq députés révolutionnaires au Parlement européen, dont Alain Krivine et Roseline Vachetta pour la LCR. Cette élection installe durablement la gauche révolutionnaire comme un courant minoritaire mais significatif et légitime dans le paysage politique.
2000, juin.
Une phase de regroupement révolutionnaire. La Ligue a une longue tradition de regroupement avec, notamment, la venue d’un courant du PSU, au début des années 1970, et de la minorité de l’Organisation communiste des travailleurs (OCT), en 1979. En 2000, le 14e Congrès de la LCR vote la fusion/intégration de Voix des travailleurs, une organisation révolutionnaire animée par des militants exclus de Lutte ouvrière. Cette fusion permet, dans le respect des histoires militantes, de rompre avec les logiques d’éparpillement qui ont longtemps prévalu au sein de la gauche révolutionnaire. Par la suite, d’autres courants rejoindront la Ligue, dont une minorité de la Gauche révolutionnaire et l’organisation Socialisme par en bas.
2001, juin.
Interdiction des licenciements. Le 9 juin, plusieurs dizaines de milliers de personnes manifestent contre les plans de suppression d’emplois et réclament l’interdiction des licenciements. L’initiative de cette mobilisation revient aux travailleurs de LU, rapidement rejoints par les intersyndicales d’une série d’entreprises menacées de « restructurations », Solidaires, la FSU et un soutien de la CGT. Fait nouveau, plusieurs partis politiques de gauche prennent toute leur place dans la mobilisation : PCF, LO, Alternative libertaire. Et, bien sûr, la LCR… Fin juin, une conférence nationale de la LCR décide de présenter un candidat à l’élection présidentielle : Olivier Besancenot, 27 ans, facteur.
2002, avril.
Nos vies valent plus que leurs profits. C’est le slogan emblématique de la campagne d’Olivier. Petit à petit, l’affluence aux meetings s’accroît. Sitôt les 500 signatures recueillies, l’accès aux médias permet de faire passer le message à une échelle nouvelle pour la LCR. Le séisme provoqué par l’élimination, dès le premier tour de l’élection présidentielle, du candidat socialiste, Lionel Jospin, éclipse l’incroyable résultat obtenu : 4,25 % ! Mais, dès le 21 avril au soir, dans toutes les villes de France, la Ligue est en première ligne des manifestations anti-Le Pen, qui se développeront pendant quinze jours.
2003, printemps.
« Grève générale, grève générale ». Pendant plusieurs mois, les salariés de l’Éducation nationale s’affrontent aux contre-réformes gouvernementales. D’imposantes manifestations rythment la grève enseignante. Puis, la grève s’étend à toute la fonction publique, face à la volonté du gouvernement de passer à 40 ans le nombre d’années de travail nécessaires à la retraite. Comme de nombreuses équipes syndicales, les militants de la LCR défendent la perspective de la grève générale.
2005, mars.
C’est « non » ! Malgré le soutien de l’ensemble des élites économiques, politiques et médiatiques, le traité constitutionnel européen, libéral, est repoussé par une majorité d’électeurs. C’est le résultat de plusieurs mois d’une intense campagne unitaire, qui a regroupé de nombreuses forces politiques (dont la LCR) et associatives, et impliqué des dizaines de milliers de personnes. En novembre, à la suite de la mort de deux jeunes poursuivis par la police, les quartiers populaires se révoltent et affrontent les forces de répression. Le soutien apporté par la Ligue aux revendications des jeunes contre les discriminations et le harcèlement policier tranche avec la gêne, voire l’hostilité, de la gauche traditionnelle.
2007, juin.
Rassembler les anticapitalistes. Les tentatives de prolonger la coalition du « non » en candidature unitaire à l’élection présidentielle échouent sur la question de l’indépendance vis-à-vis du PS. La LCR décide de présenter Olivier Besancenot. Alors que l’ensemble des autres candidats à la gauche du PS réalisent des scores médiocres, celui de la LCR recueille 300 000 voix de plus qu’en 2002. Un résultat qui donne à la LCR des responsabilités particulières, d’autant que l’échec électoral du PS et, surtout, son incapacité ultérieure à s’opposer à Sarkozy, renforcent la nécessité d’une « gauche qui ne s’excuse pas d’être de gauche ». En juin 2007, la direction nationale de la LCR décide de tester la possibilité de créer un nouveau parti. En août, lors de l’université d’été, Olivier popularise ce projet : « La Ligue a rendez-vous avec son histoire. »
2008, janvier.
Nouveau parti, c’est parti ! Le 17e Congrès de la LCR se fixe l’objectif de « dépasser la LCR » dans un nouveau parti anticapitaliste, « reprenant les meilleures traditions des différents courants du mouvement ouvrier ». Après les élections municipales de mars 2008, plus de 300 comités pour un nouveau parti anticapitaliste se créent. En janvier 2009, ils seront 476, regroupant 9123 militants et militantes. Avec le NPA, une nouvelle aventure commence !
François Coustal
Rouge: 1969-2009
Chère lectrice et cher lecteur, vous qui avez entre les mains le dernier et ultime numéro de Rouge, ne soyez ni triste, ni nostalgique. Tout au long de ses 40 années d’existence, de septembre 1968 à février 2009, Rouge n’a pas été que l’organe politique de la Ligue communiste, puis de la Ligue communiste révolutionnaire. Il s’est efforcé d’être un haut-parleur des luttes et des résistances, où que ce soit dans le monde : de la guerre du Viêt-nam à la résistance du peuple chilien contre la dictature de Pinochet, du massacre des étudiants chinois sur la place Tienanmen à la révolution bolivarienne, des Forums sociaux mondiaux aux manifestations contre les deux guerres en Irak ou contre les réunions du FMI et du G8.
Rouge a été aussi, au-delà de ses insuffisances et de ses retards, partie prenante des luttes féministes, des luttes contre toutes les formes de discrimination ou contre la répression. Enfin, Rouge s’est voulu être un journal ouvert, dans lequel ont pu s’exprimer d’autres courants politiques et des personnalités les plus diverses, convaincus que nous sommes que la lutte pour un projet émancipateur ne pourra voir le jour que par la convergence, l’agrégation des meilleures traditions du mouvement ouvrier et social.
Ce dernier éditorial, contrairement à ce que pourrait laisser croire son titre, n’est en aucune mesure une nécrologie. Car si Rouge, tout comme la revue Critique communiste, cesse de paraître, nous ne doutons pas que le flambeau sera repris, d’ici quelques semaines, par la presse du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) : un hebdomadaire et une revue mensuelle, dont les titres seront décidés lors de la première réunion du conseil politique national (CPN) du NPA, début mars. L’existence d’une presse indépendante, résolument anticapitaliste, est une nécessité impérieuse, à un moment où Sarkozy veut la mettre à ses ordres et où le pluralisme est remis en cause.
Pendant ces quarante années d’existence, assurer la parution de Rouge fut un véritable tour de force, qui n’aurait pas été possible sans le concours de ses lectrices et de ses lecteurs, de ses abonnés et de ses abonnées. Nous vous en remercions et nous sommes sûrs que vous reporterez le soutien que vous nous avez accordé sur la presse du NPA. Rendez-vous donc dans quelques semaines.
Léonce Aguirre
40 ans de Rouge
Rouge, c’est 40 ans d’une histoire qui a commencé après la dissolution de la JCR par le gouvernement, en juin 1968. En septembre de la même année, les militants « dissous » de la Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR) et du Parti communiste internationaliste (PCI, section française de la IVe Internationale) se regroupent dans des « Cercles rouges », avant de lancer une nouvelle organisation. Leur outil de construction ? Rouge, « hebdomadaire d’action communiste », qui aidera à créer, en avril 1969, la Ligue communiste. Lorsqu’en juin 1973, la Ligue est de nouveau dissoute, l’hebdomadaire pourra continuer à paraître et sera soutenu par l’« Association des diffuseurs de Rouge », embryon de la future LCR.
Deux ans plus tard, la direction de la Ligue a le sentiment que la gauche unie peut gagner les élections de 1978 et qu’il serait bien de transformer l’hebdomadaire en quotidien… Une fois de plus, l’audace et le culot l’emportent. La Ligue fait appel à toutes les compétences. Un local est loué à Montreuil et une imprimerie rotative d’occasion, achetée en Angleterre, arrive en pièces détachées. Des militants sont formés à toute vitesse, aussi bien au journalisme qu’à la marche de l’imprimerie. En octobre 1975, une fête, organisée à la Villette avec des artistes connus pour récolter de l’argent, réunit près de 50 000 participants. Et ainsi, pendant trois ans, avant de sombrer sous les dettes… Une trentaine de « journalistes » va sortir Rouge quotidien, vendu à près de 10 000 exemplaires. Quel exploit et quelle joie de voir son quotidien préféré tous les matins dans les kiosques ! Quelle école aussi pour une série de militants, devenus par la suite des figures médiatiques : Edwy Plenel, Danièle Ohayon, Georges Marion, Denis Pingaud, Patrick Roger ou Patrick Rotman. Pour ne citer qu’eux…
Il a fallu arrêter, en 1978, mais la fièvre nous a repris pendant le Forum social de Saint-Denis, en 2003 : un quotidien durant quatre jours…Ça aussi, il fallait le faire ! Aujourd’hui, Rouge disparaît, en emportant un peu de nostalgie, mais en apportant aussi beaucoup d’enthousiasme, parce qu’il aura contribué, dans son domaine, à la création du NPA. Vivement le nouvel hebdo !
Alain Krivine