Comment est né le mouvement pour la défense animale ?
En France, il est né avec la toute première loi condamnant les actes de cruauté envers les animaux, la loi Grammont vers 1850. C’est aussi la date de création de la Société Protectrice des Animaux. C’est parce qu’il avait vu des charretiers maltraiter leurs pauvres chevaux que le comte Grammont s’en était ému. La protection animale veut que l’animal soit mieux traité. Elle s’est longtemps cantonnée aux animaux familiers (chiens, chats). Depuis les années 70, ce courant élargit ses compétences : contre les habits en peau ou fourrure d’origine animale, les corridas, les combats de chiens ou de coqs, la recherche d’un meilleur bien être dans les élevages, etc. Depuis Grammont, ces idées ont évoluées et se sont diversifiées. Elles ont des implications scientifiques, économiques, culturelles et politiques. On distingue aujourd’hui deux grandes tendances : la protection animale, qui s’oppose à toute maltraitance ; et la libération animale qui voudrait qu’on arrête toute exploitation des animaux. Les défenseurs des animaux ne sont pas tous clairement anticapitalistes, mais les partisans de la libération animale sont souvent libertaires.
Tu as présenté un amendement, en faveur de la défense animale, dans un congrès départemental du NPA. Quel est ton point de vue ?
Dans le « Mouvement de libération animale », on emploie divers vocables : l’Egalité Animale, le Droits des Animaux ou le Véganisme (concerne les personnes n’utilisant aucun produit animal). Ces courants adoptent un principe philosophique et révolutionnaire : l’antispécisme, qui reconnaît le droit à son intégrité physique et mentale à tout animal. Ils combattent le spécisme, ou discrimination entre les espèces, ce qui justifie toutes les cruautés. Si on respecte son animal familier, pourquoi ne pas le faire pour tous les animaux et pour les humains aussi ?
Certaines discriminations sont condamnées à notre époque et en France : le racisme et le sexisme, mais pas le spécisme. Mais pour qu’un homme soit condamné ou sanctionné pour cruauté envers des animaux, il faut vraiment qu’il ait fait très très fort ! Au regard de la Loi, un homme noir a autant de droit et de devoir qu’un homme blanc, et une femme est l’égale d’un homme. Pourtant cela n’a été reconnu que très récemment, et ce n’est pas encore complètement passé dans les moeurs. Dans plusieurs pays du monde, il existe encore de nombreux individus qui ont de fait un statut social d’esclaves. En France, les femmes ont des salaires inférieurs parfois de 25 %, à travail égal, à ceux des hommes. En Europe, dix femmes au moins sont tuées chaque jour par un homme, souvent leur conjoint ou leur prétendant. Et on ne sait pas tout de ce qui se passe au fond des campagnes ou dans les pays aussi peu libres que la Russie ou l’Albanie. Il y a toujours des préjugés puissants qui fondent une hiérarchie homme-femme, blanc-noir, étranger-national, dans le monde entier.
L’antispécisme ne nie pas les différences biologiques ou de comportement qui existent entre espèces animales, y compris l’homme, mais cela ne justifie pas les maltraitances, petites ou grandes. « L’homme moderne » a réduit l’influence de théories religieuses plaçant l’homme au centre du monde, ou la terre au centre de l’Univers. Puis il a remis en cause la supériorité de l’homme sur la femme, ou de l’homme occidental sur les colonisés, qui sont souvent des hommes qu’on dit « de couleur » pour marquer la différence et justifier leur oppression. La gauche révolutionnaire refuse ce qu’on appelle « l’exploitation de l’homme par l’homme ». Les antispécistes ont une position de principe intangible et claire : ils rejettent une prétendue supériorité de l’homme par rapports à d’autres humains ou aux animaux.
Nous refusons les idéologies qui placent l’homme au centre. Etablir une hiérarchie n’a pas de sens. Chaque espèce a des capacités qui ne peuvent être comparée à une autre. Cette « Intelligence » propre à chaque espèce lui permet de survivre dans son milieu. Les capacités cognitives varient beaucoup d’un animal à l’autre, et l’apprentissage existant plus ou moins chez les animaux, on ne peut pas parler d’instinct chaque fois que cela nous arrange ! A chacun ses particularités : par exemple l’homme a développé un langage qui lui est propre, mais d’autres animaux ont développés des moyens de communiquer différents, très efficaces dans leurs milieux (olfactifs par exemple, ou ultrasoniques pour des animaux marins, lumineux pour des habitants des grandes profondeurs et certains insectes, etc.). On ne peut pas établir une hiérarchie entre ces moyens de communications parce que les besoins des différentes espèces ne sont pas les mêmes. Le raisonnement est le même concernant les êtres qui utilisent ces moyens de communication. Dans L’être et le Néant, Sartre après Hegel affirme que l’humain, seul, est autrui. L’antispécisme renverse cette valeur : l’animal aussi est autrui. Comme les racistes qui veulent établir la primauté d’une race sur une autre, nous disons que les spécistes imposent la primauté d’une espèce sur d’autres. Et dans cette idéologie, comme par hasard, c’est notre espèce qui domine toutes les autres, de la même façon que, au beaux temps du colonialisme, c’était l’homme de type européen qui dominait toutes les races humaines dans les illustrations des manuels scolaires, après les avoir « conquis », réduits en esclavage, volé leurs terres ou purement et simplement exterminés comme la majorité des indiens d’Amérique, et tous les fuégiens ou les habitants de la Tasmanie !
C’est une remise en cause de tout un mode de vie ! ?
Ce ne sera pas la première fois qu’un mode de vie change. Notre mode de vie, notamment alimentaire, est basé sur l’exploitation des animaux, esclaves de l’homme. Dans Eternel Treblinka de Charles Patterson (édité en février 2008 aux éditions Calmann-Lévy), on voit que la domestication s’est faite dans une violence inouïe, puisque les espèces domestiquées ont été contraintes à un nouveau mode de vie à base d’enfermement et d’entraves. Après avoir lu le livre de Patterson, la primatologue Jane Goodall a déclaré que « Le livre de Charles Patterson pèsera lourd pour redresser les torts terribles que les hommes, au fil de l’histoire, ont infligés aux animaux ». Avoir décrit l’organisation du travail à la chaîne dans les abattoirs de Chicago, Patterson fait remarquer que Henry Ford s’en est inspiré pour la fabrication de ses automobiles et donc les conditions de travail de ses ouvriers. Henry Ford était un antisémite virulent, c’était aussi un financier du parti nazi dans les années 30 et Hitler l’a remercié dans Mein Kampf ! On sait comment les nazis ont ensuite traité ce qu’ils appelaient les « races inférieures ». A sa façon, l’élevage moderne perpétue ces pratiques, parfois en pire. Des animaux sont véritablement suppliciés à une échelle industrielle. Elle fait penser, sur plusieurs points, à la domination de la femme par l’homme, ou aux différentes colonisations. C’est toujours le dominant qui impose ses règles.
Les oppresseurs, les colonialistes, les dictateurs et autres chefs de guerre ont toujours employés un langage animalier à l’endroit de « l’ennemi » : Il est traité de chien, de cochon, de vermine, de rat. Les nazis traitaient les juifs de rats et de poux. Les derniers en date qui ont innovés sont les Hutus qui appelaient « cafards » les Tutsis qu’ils massacraient. Pour eux, « l’ennemi » n’est plus un homme mais un animal soi-disant répugnant, nuisible, dangereux, fourbe, qu’il faut abattre sans pitié. Chaque fois qu’une guerre éclate, on voit que les Etats-majors fabriquent une propagande pour stigmatiser l’ennemi en le rabaissant au niveau de l’animal le plus repoussant. Si les animaux sont nos égaux, l’ennemi en face deviendra notre égal, et ça deviendra plus compliqué pour le combattre. Comme disait ma grand’mère : « Ceux qui n’aiment pas les animaux n’aiment pas les hommes ! ».
Il y a des étapes à franchir pour que la libération animale soit acceptée. Les esclavagistes se sont bien fait dédommager de la perte de leurs esclaves ! Les premières mesures seraient de ne plus utiliser les animaux de façon contraignante et parfois ignoble. On pourra citer en premier lieu l’utilisation de l’animal dans des conditions dégradantes comme les corridas et les jeux taurins, les cirques, les chasses de toute sorte pour des causes dérisoires et leurs extrêmes violences, mais aussi les courses de lévriers ou de chevaux, les manèges de poneys, les zoos, etc.
On peut maintenant se vêtir sans utiliser le cuir ou la fourrure naturelle. Le piégeage, source d’intense souffrance pour la victime n’a plus de raison d’être, de même que les élevages pour la viande ou le foie gras (qui est un foie malade) de canards torturés.
L’élevage entraîne un formidable gaspillage économique dont nous commençons seulement à prendre conscience. Il faut 100 fois plus d’énergie et d’eau pour produire un kg de nourriture animale par rapport à un kg de nourriture végétale. Nous pouvons satisfaire nos besoins, agréablement, en associant légumineuses, graminées, certains produits ligneux, légumes et fruits. Je sais que ces affirmations surprennent, parce que nous n’avons pas l’habitude d’en parler.
Que demandez-vous, du moins en ce qui concerne le courant auquel tu participes ?
Nous demandons qu’un débat s’instaure autour du statut de l’animal dans notre société. Enfin, la recherche, débarrassée de sa logique de rendement, pourra mettre en place des protocoles n’utilisant pas l’animal, et certainement pas dans des conditions épouvantables, sans aucun sentiment de compassion, comme ce fut le cas pendant longtemps.
Ces mesures sont impossibles dans un mode de production capitaliste qui puise sa richesse dans l’exploitation et la course au profit. Elles ne sont plus utopiques si la société devient moins violente en se fixant d’autres objectifs que la course au profit. Cela concerne aussi la biodiversité. Une société qui refuse l’exploitation de l’homme et préserve la nature ne peut exclure le monde animal. Ce n’est ni un frein ni une régression en matière d’acquis sociaux. Ce n’est pas non plus un dérivatif aux luttes sociales. Nous refusons radicalement des traitements des animaux qui ne seraient pas acceptés si les victimes étaient humaines.