TOKYO CORRESPONDANCE
Depuis l’effondrement de l’activité en septembre 2008, les géants de l’industrie nippone multiplient les réductions de personnel. Dernier en date, Nissan a annoncé, le 9 février, la suppression de 20 000 emplois dans le monde. Dans l’Archipel, les réductions d’effectifs concerneront 12 000 personnes, dont 4 000 à temps plein.
Les ruptures des contrats incitent de plus en plus les victimes, essentiellement des travailleurs à durée déterminée ou en intérim, à manifester. Les rassemblements sont devenus quasi hebdomadaires dans les grands centres industriels comme celui qui a rassemblé 1 500 personnes, le 1er février à Nagoya, fief de Toyota.
Les travailleurs précaires multiplient aussi les créations de structures syndicales. Cet engagement répond à une urgence, car ils ne bénéficient le plus souvent d’aucune assurance-chômage. La perte d’emploi s’accompagne de celle du logement et beaucoup de grands groupes mettent fin aux contrats avant terme. Le ministère du travail a émis une directive pour rappeler que c’était illégal.
Le 3 décembre 2008, dans la préfecture de Tochigi, plusieurs salariés du constructeur Isuzu ont formé un syndicat, affilié au Syndicat nippon des travailleurs de la métallurgie et de la machinerie (JMIU), lui-même membre de la puissante fédération Zenroren.
Pour le président de cette nouvelle structure Matsumoto Hirotoshi, l’objectif est « de rassembler les travailleurs pour faire entendre nos voix, au lieu d’accepter sans rien dire les renvois ». En octobre, des intérimaires d’un fabricant de pièces détachées automobile avaient fait de même à Hamamatsu.
Il s’agit d’un véritable renouveau des syndicats, dont le taux d’adhésion était au milieu des années 2000 de 18 %, contre 25,2 % en 1990 et plus de 34 % dans les années 1970. Leur déclin découlait des transformations rapides du monde du travail. « Traditionnellement, rappelle le professeur Keisuke Nakamura, de l’Université de Tokyo, les syndicats négociaient des hausses de salaire dans les grandes firmes lors du Shunto, l’offensive de printemps. La hausse obtenue était appliquée dans tout le pays ». Ce système a disparu avec la crise des années 1990.
CANALISER LA COLÈRE
Autre raison de leur affaiblissement, une réticence à s’ouvrir aux travailleurs étrangers ou en situation précaire. Selon une étude de l’Institut japonais pour la politique du travail et la formation, il était à leurs yeux « impossible de convaincre les précaires de l’intérêt de se syndiquer ». Ils les jugeaient « indifférents à l’action syndicale ». Or ces derniers représentent 34,5 % de la population active, contre 18 % à la fin des années 1980.
Difficile, donc, de les ignorer. « Nous avons créé un département pour ces travailleurs en octobre 2007, explique Koji Yamamoto, secrétaire général adjoint de la Rengo, première confédération japonaise avec 6,8 millions d’adhérents. Nous travaillons à les organiser. Ils représentent près de 10 % de nos membres. » La Zenroren, elle, s’est ouverte aux travailleurs étrangers, près de 487 000 en octobre 2008, selon le ministère du travail.
Cette adaptation a donné des résultats. « Le nombre de syndiqués est reparti à la hausse grâce aux précaires, précise le professeur Nakamura. Celui des adhérents à temps plein continue de régresser. » La tendance n’aurait rien de politique, même si le succès de plusieurs ouvrages véhiculant des idées de gauche peut le laisser penser. « Les nouveaux adhérents veulent surtout améliorer une situation difficile », estime M. Nakamura.
La syndicalisation permet de canaliser une colère qui s’exprime de plus en plus dans les rues. « Nous pensons que les mouvements actuels doivent être guidés par un souci de solidarité, affirme M. Yamamoto, plus que par une volonté d’affrontement. »