MONBETSU ENVOYÉ SPÉCIAL
La billetterie rembourse les tickets achetés à l’avance : les glaces flottantes ont disparu depuis deux jours et le brise-glace Garinko-II qui, en cette saison, permet aux touristes de voguer à travers la banquise en train de fondre ne rencontrera sur la mer bleue que quelques gros glaçons solitaires. « Parfois, en ce début de mars, la banquise peut se déplacer en raison des vents ou fondre plus rapidement, mais il est certain que, désormais, le phénomène est plus fréquent : la glace est plus fine et la période pendant laquelle la mer est gelée plus courte », dit le capitaine Shigeru Yamai.
La côte nord-est d’Hokkaido est la partie la plus méridionale de l’hémisphère Nord où se forme la banquise (à hauteur du 44e degré de latitude Nord). Elle est baignée par la mer d’Okhotsk, fermée par l’archipel des Kouriles qui s’étend du Kamchatka jusqu’aux abords d’Hokkaido. Se déversent dans celle-ci les eaux douces du fleuve Amour, le plus long de la Sibérie (4 300 km) qui, à partir de décembre, forment une banquise. Poussée par les vents, celle-ci dérive vers le sud et se fond à d’autres glaces formées localement en raison de la plus faible teneur en sel des eaux de la mer mélangées à celles de l’Amour. Dans les années 1970, à Monbetsu, la banquise était présente de la mi-janvier à avril.
Il y a encore une dizaine d’années, on pouvait admirer des brise-glace partis des ports d’Abashiri ou de Monbetsu sur l’immensité de la banquise. Derrière le bateau, elle se refermait aussitôt, formant une marqueterie étincelante. Avec un peu de chance, on apercevait des phoques et leur progéniture reposant sur un bloc de glace.
CULTURE DE LA GLACE
« Au cours du siècle écoulé, la température dans la région est montée d’un degré et le volume de la glace a diminué de 40 % », explique le professeur Masaaki Aota, directeur du Musée de la glace de Monbetsu : « Symptôme de ce réchauffement : on pêche désormais des poissons que l’on ne trouvait pas ici : tels que l’esturgeon ou la bonite. »
Il existe « une corrélation évidente entre la température et la glace mais le phénomène de la mer d’Okhotsk ne peut pas s’expliquer mécaniquement par le réchauffement de la planète », estime pour sa part le professeur Nishioka, de l’Institut de recherches sur les basses températures à l’université d’Hokkaido. Quoi qu’il en soit, selon des projections réalisées en 2007 par l’Agence météorologique japonaise, dans cinquante ans, la banquise pourrait avoir disparu des côtes.
Autrefois, des rites propitiatoires du culte shinto (animisme, religion première du Japon coexistant avec le bouddhisme) étaient destinés à chasser la glace, l’« ennemie » des pêcheurs du port de Monbetsu (24 000 habitants). Depuis quelques années, c’est le contraire : les rites appellent les divinités à faire revenir la glace...
« Les habitants découvrent les bienfaits de la glace. Elle fait la richesse en poissons de la mer d’Okhotsk grâce au plancton végétal accroché aux glaces qui fécondent la mer », explique le professeur Aota, qui craint que la disparition de la banquise n’emporte avec elle l’écosystème local.
Créé en 2008, un Mouvement de défense la banquise de la mer d’Okhotsk fait valoir que la côte est d’Hokkaido sera la première région du monde où celle-ci disparaîtra. A Monbetsu, dans une venelle non loin du port, la patronne d’un petit bistrot met un point d’honneur à ne pas servir que du poisson séché dont, autrefois, les habitants se nourrissaient pendant les mois de banquise. « Il faut que les poissons se reproduisent et la banquise était une période de repos. » Elle milite dans le Mouvement de protection de la banquise : « Le problème nous dépasse, mais si on ne fait rien à son niveau... », dit-elle pour s’excuser de la frugalité du menu.