Votre Sainteté,
Votre déclaration dans l’avion vous conduisant en Afrique a jeté la consternation et a suscité de nombreuses réactions indignées du monde scientifique, politique, de malades du sida et des associations qui luttent au quotidien sur le terrain pour freiner l’épidémie et aider les malades.
Pourquoi ?
Parce que cette déclaration est contredite par les résultats de vingt-cinq ans de recherche scientifique. Ces études montrent que le préservatif est une barrière imperméable aux agents infectieux sexuellement transmissibles [1]. Les normes internationales de fabrication de cet outil de prévention lui assurent la plus grande efficacité.
L’analyse globale de près de 140 articles scientifiques consacrés au suivi de couples où l’un des deux partenaires est séropositif démontre de manière irréfutable que l’utilisation régulière du préservatif permet de réduire d’au moins 90 % le risque de transmission du VIH, mais également d’autres maladies sexuellement transmissibles [2].
Ces recherches montrent aussi que l’utilisation du préservatif et les campagnes de prévention et d’éducation sexuelle ont été, et restent, le principal frein à l’extension de l’épidémie dans le monde entier, y compris en Afrique ou en Asie. Au Brésil, la politique de promotion et de distribution de préservatifs dans la population générale a par exemple fortement contribué au contrôle de l’épidémie.
Parce que votre déclaration relève d’un cynisme insupportable. Vous ne pouvez pas ignorer que, sur les 33 millions de personnes vivant avec le VIH, près de 22 millions vivent en Afrique, là même où vous avez souhaité vous exprimer sur cette question du sida. Vous savez que, sur les 2,7 millions de personnes qui se sont infectées par le VIH en 2007, 45 % ont entre 15 et 24 ans. C’est cette jeunesse, de laquelle vous espérez tant être écouté, que votre position risque, entre autres, d’exposer à un risque accru d’infection par le VIH. Votre position sur cette question est dangereuse pour l’humanité.
Parce que vous ne pouvez pas ignorer que les vingt-cinq dernières années de lutte contre cette épidémie ont été marquées par des batailles scientifiques, mais aussi politiques. Votre position, évidemment idéologique, vous associe à ceux qui portent sur la conscience une lourde responsabilité. Personne n’ignore que la négation du rôle du VIH dans le sida par le président Thabo Mbeki a retardé l’introduction des traitements antirétroviraux en Afrique du Sud, entraînant la mort de près de 300 000 personnes.
Nous avons l’espoir qu’à nouveau nos collègues et les malades qui luttent au quotidien contre l’épidémie ne se laisseront pas détourner de leur combat par des déclarations qui témoignent d’un retard tragique dans la prise en compte de l’urgence et de la gravité de la situation.
Nous savons tous que l’utilisation du préservatif doit se situer dans une démarche globale de prévention, qui intègre l’information sur la maladie, l’accès aux traitements et, plus largement, des mesures individuelles de réduction des risques.
Mais nous savons aussi que votre rang vous permet de consulter les experts les plus éminents avant de vous exprimer publiquement sur une épidémie qui a déjà touché 60 millions de personnes et tué 25 millions d’entre elles. Ces avis auraient dû vous éviter cette prise de position aux conséquences dramatiques, qui, n’en doutons pas, marquera votre pontificat. Il est encore temps de revenir sur vos propos, pour le bien des hommes et des femmes d’Afrique et du monde entier.
Bertrand Audoin, directeur exécutif de Sidaction ;
Françoise Barré-Sinoussi, chercheuse en virologie à l’Institut Pasteur, lauréate du Prix Nobel de médecine 2008 ;
Jean-François Delfraissy, directeur de l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales ;
Yves Levy, président du conseil scientifique de Sidaction.