Ah si l’on pouvait satisfaire les désirs les plus complexes et pervers des fanatiques dans le monde ! Les uns veulent posséder la femme contre son gré, les autres interdisent la contraception et le préservatif. Ils sont tous obsédés par la femme.
Si dans le monde les femmes se battent pour préserver leur dignité et améliorer leur condition, certains Etats comme l’Afghanistan viennent en aide aux hommes en proposant un projet de loi obligeant la femme à se donner à son mari même s’il est éjaculateur précoce, s’il a mauvaise haleine ou si, tout simplement, il ne fait naître chez elle aucun désir. Contre la répulsion, le viol.
Les intégristes ont un vrai problème avec la femme, avec le sexe de la femme. Que ce soit dans le judaïsme, le catholicisme ou l’islam, l’intégrisme tremble devant le corps de la femme, a peur de son sexe, et réagit avec la violence du frustré ou du perturbé par la sexualité. Tout tourne autour de cela. On ne comprend rien des motivations des intégristes si on n’intègre pas cette dimension essentielle de leur psychologie et de leur existence.
Cela se traduit par le port du voile, de la burqa ou de la djellaba. La femme doit être cachée, invisible, éloignée des regards et de la vie. L’homme dit « ne touche pas à ma femme, à ma fille, à ma soeur, à ma mère ! ». Autrement dit, « ce corps m’appartient et personne n’a le droit de s’en approcher ! ». Il faut être mal dans sa peau pour s’approprier ainsi le corps des autres. Et pour justifier cette mentalité, il a recours à la religion, qui elle, au fond, ne lui donne pas ce droit, même si toutes les religions ne sont pas très justes avec la femme.
Les talibans, par exemple, imaginent un monde où la femme s’est retirée du monde. Elle existe, mais cloîtrée dans la maison et n’ayant aucun droit de sortir. Cela ne veut pas dire qu’ils crachent sur le plaisir sexuel, au contraire, ils aiment ça au point de vouloir le posséder et d’être les seuls à en jouir. C’est le sens du projet de loi que le président Hamid Karzaï a voulu déposer. Un projet qui souhaitait rendre légal « le viol de l’épouse » et interdire à celle-ci de sortir sans l’autorisation du mari.
Cette loi aurait visé les femmes chiites (10 % de la population). Hamid Karzaï comptait sur ce projet de loi pour s’attirer la sympathie et les votes des chiites lors des prochaines élections. Après les protestations de plusieurs Etats, M. Karzaï a fini par retirer ce projet, mais les hommes continueront à se conduire en brutes avec les femmes avec ou sans cette loi.
Quoi qu’il en soit, cette proposition de loi, digne de l’époque de la jahilya (période antéislamique, au temps où certains Bédouins enterraient leurs filles vivantes pour éviter que leur honneur ne soit un jour sali) est stupide et grotesque. Que vient faire la loi dans la chambre d’un couple ? Que peut-elle apporter à l’intimité d’un homme et d’une femme ? Quel plaisir en tirerait l’homme qui se sentirait fort grâce à cette loi ? Un plaisir dicté par le texte et une violence légitimée par le droit qui a un sens de l’équité et des réalités bien étrange.
En Afghanistan, des femmes se battent, s’organisent et sont aidées par des féministes de plusieurs pays. Mais qu’un homme comme Hamid Karzaï ait pu signer ce projet de loi en dit long sur l’appétit du pouvoir, sur l’ambition dévorante qui l’habite. Comment fait-il pour se présenter face aux Occidentaux qu’il fréquente en ayant ouvert la voie au viol légal dans la conjugalité ? Il voudrait que les talibans le perçoivent comme quelqu’un qui s’approche de leur bord ?
Mais les talibans veulent plus et ne se contenteraient pas d’une loi concernant la pratique sexuelle. Ils voudraient régenter toute la société et y introduire une barbarie qui va au-delà de ce que l’on imagine. Donc M. Karzaï fait fausse route et un mauvais calcul. Alors il a fait marche arrière. Pour le moment.
Une femme qui jouit est une « salope » ; elle est considérée comme une prostituée (sauf que les malheureuses travailleuses du sexe ne jouissent pas, ce n’est pas un plaisir, c’est un travail, une corvée pour gagner leur vie). Il serait intéressant de faire lire aux hommes ayant peur de cette jouissance quelques-uns des témoignages de femmes qui racontent leur vie sexuelle.
Mais nous n’irons pas jusque-là. L’important est de s’élever contre cette initiative afghane qui ne fera qu’aggraver la situation dans le pays et peut-être hâter le retour des talibans sur la scène politique. Car ce qui se joue dans cette région meurtrie par plusieurs guerres, c’est un choix de société et même d’époque.
Malheureusement, je suis pessimiste : les armées occidentales n’arriveront pas à éliminer le danger taliban. Le terrain est difficile, les méthodes inégales et le peuple incertain dans ses options. Seuls les Afghans eux-mêmes pourraient en finir avec les talibans. Mais tant que cette guerre est liée au trafic de l’opium, tant que l’argent facile est possible, la lutte sera dure et pas franche.
Dans le film de l’Afghan Siddiq Barmak Opium War (2008), on voit une longue file de femmes en burqa avancer à l’horizon en direction d’un champ d’opium. Quand cette file arrive au champ, les personnes soulèvent leur burqa et on découvre que ce sont des talibans armés venus prendre leur part des ventes de cette drogue. Les paysans payent pour ne pas mourir.
Cette image résume la situation : la guerre en Afghanistan tourne autour du l’opium et de la femme. Il faut contrôler les deux, sinon, c’est la fin de la tragédie entamée par la barbarie au nom d’un islam totalement étranger à ces pratiques.