Guyane Correspondant,
C’est un secret de polichinelle en Guyane. Si l’opération « Harpie 2 » n’a pas été annoncée officiellement, ce deuxième dispositif exceptionnel de lutte contre l’orpaillage clandestin est déjà en place dans la forêt guyanaise, trésor de biodiversité qui recouvre 90 % des 83 500 km2 du département.
Ces dernières semaines, cinq nouveaux barrages fluviaux ont été érigés et cinq cents militaires et gendarmes ont débarqué de métropole, en renfort des quatre à cinq cents autres déjà engagés sur place. Annoncé en février 2008 par Nicolas Sarkozy pour durer « aussi longtemps qu’il le faudra », le premier plan « Harpie » - doté de moyens similaires - s’est arrêté au bout de quatre mois, les forces de l’ordre poursuivant alors la lutte avec les moyens antérieurs.
« Harpie ne s’est pas arrêté, c’est une continuité, avec une adaptation des moyens », nuance le secrétaire d’Etat à la défense et aux anciens combattants Jean-Marie Bockel, en visite en Guyane les 16 et 17 avril. Les gendarmes sont désormais dotés de Jet-Ski pour intercepter les pirogues clandestines et des gilets de sauvetage pare-balles sont utilisés par les commandos de marine. En 2008, en Guyane, les gendarmes ont été pris pour cible quarante-sept fois par des chercheurs d’or clandestins ou des trafiquants, à coups d’armes à feu. Le 9 février, un piroguier brésilien a été abattu sur le fleuve Approuague par un tir de riposte des gendarmes, et en un an, trois Brésiliens sont morts noyés, en voulant forcer un barrage, ou à l’approche d’un contrôle.
PARC NATIONAL TOUCHÉ
« Les clandestins contournent les barrages en faisant des pistes dans la forêt », déplore une habitante du village amérindien d’Elaé, à Maripasoula, au sud de la Guyane. En 2008, les forces de l’ordre ont saisi plus d’une centaine de quads, des motos à quatre roues qui servent au ravitaillement des chantiers illégaux. Malgré la multiplication des opérations - 423 en 2008 -, la déforestation et la pollution des fleuves se sont aggravées, selon une étude confidentielle de l’Office national des forêts révélée en février par le quotidien France Guyane.
Dans le parc national du sud, 405 km de cours d’eau sont détruits et 1 121 km pollués. Les activités clandestines se développent de plus en plus près des zones habitées, précise aussi l’étude. Interdit en Guyane, le mercure est en vente libre sur la rive d’en face, au Surinam et au Brésil, et les clandestins l’utilisent sans contrôle.
Selon la cellule interrégionale d’épidémiologie Antilles-Guyane, en 2005, « 85 % des adultes et 50 % des enfants » des villages amérindiens de Maripasoula « dépassaient le seuil maximum de méthylmercure recommandé par l’Organisation mondiale de la santé », au-delà duquel peuvent apparaître des troubles du développement neuropsychologique du jeune enfant.
« Les Amérindiens font aussi l’objet de menaces, de vols dans leurs abattis », déplore Romain Taravella, chargé de programme au WWF, de retour d’un séjour sur place. L’orpaillage clandestin est aussi source de divisions dans les communautés. « Lors d’une réunion dans un village, j’ai vu deux groupes se former, puis s’invectiver, avec, d’un côté, ceux qui participent à cette activité - en faisant du transport du fret - et, de l’autre, ceux qui la condamnent », explique Romain Taravella.
A l’image des parlementaires guyanais, le WWF appelle à une « coopération bilatérale » avec le Brésil et le Surinam, où se trouvent les bases de ravitaillement de l’orpaillage clandestin et de vente de l’or guyanais. Un accord de coopération a été signé à Rio fin 2008 par les présidents Sarkozy et Lula pour un meilleur contrôle de la frontière, mais le traité doit encore être ratifié par le Parlement brésilien.