Le tsunami a frappé l’océan Indien le 26 décembre 2004. Avec le recul, il est possible de tirer un premier bilan du mouvement de solidarité, par bien des aspects sans précédents, qui s’est manifesté à cette occasion.
La situation présente un aspect proprement paradoxal. Les organisations françaises et internationales les plus connues ont reçu tant d’argent qu’elles envisagent parfois d’en utiliser une partie pour financer d’autres projets, aujourd’hui négligés, notamment en Afrique. Au même moment, bon nombre d’associations asiatiques et de mouvements populaires locaux, mobilisés sur le terrain, manquent cruellement de moyens alors qu’elles ont prouvé leur efficacité.
Clichés
Les clichés ont la vie dure (surtout quand ils servent les intérêts dominants). Il est en effet faux de prétendre, comme c’est souvent le cas, que l’aide gouvernementale (voire militaire) est la plus efficace et que l’action des organisations locales ne peut que la compléter, la prolonger. A chaque étape, la terrible leçon de chose du raz-de-marée prouve le contraire.
En matière de prévention, les Etats ont été totalement défaillants : les systèmes d’alerte n’ont pas été mis en place (détecteurs de tsunami) ou n’ont pas été utilisés (l’ampleur du tremblement de terre sous-marin avait pourtant été instantanément évaluée dans des pays comme la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis). En matière d’urgence, les secours sont tout d’abord venus des populations et des associations locales : les administrations gouvernementales ne sont généralement arrivés sur place que plusieurs jours après le désastre (et l’aide militaire internationale plus tard encore, en particulier en ce qui concerne la France). Les Etats (européens notamment) n’ont augmenté des promesses d’aide initialement dérisoires que sous la pression d’une opinion spontanément mobilisée. Ce sont de même les associations locales et les mouvements populaires qui se portent au secours des populations « oubliées du tsunami », celles que les pouvoirs publics et les partis clientélistes ignorent. (1) Ce sont aussi des réseaux militants qui ont mis en avant des exigences élémentaires de solidarité, comme l’annulation sans condition de la dette des pays dévastés (une exigence que les gouvernements et les banquiers ont bien du mal à entendre !).
L’urgence passée, les premiers secours assurés, le rôle des mouvements populaires ne diminue pas. La reconstruction psychologique et sociale de communautés décimées exige beaucoup de temps. Elle se heurte aujourd’hui à l’appétit sans conscience des intérêts économiques et militaires. Dans les zones de conflit comme à Atjeh (au nord de l’archipel indonésien), l’armée veut s’assurer le contrôle du territoire. L’industrie touristique rêve d’occuper ces côtes que le tsunami a « nettoyé », pour installer hôtels de luxe ou villages de vacances en lieu et place des villages de pêcheurs détruits. Les plans de « modernisation » se succèdent. Seule l’auto-organisation des populations peut bloquer ces tentatives de répression, de dépossession et d’expropriation. Elles ont toujours besoin pour cela de notre appui.
Une solidarité spécifique
Il ne s’agit pas, ici, de dénigrer l’action d’associations d’urgence (comme Médecins sans frontières et Médecins du monde) ou de s’opposer aux collectes qui alimentent les grandes organisations de secours. Simplement, jusque dans les pires épreuves, les inégalités se creusent. Dès les lendemains du tsunami, Rouge, parmi d’autres, s’est employé à renforcer cette solidarité spécifique dont les mouvements populaires sont porteurs. Les associations de terrain ont ainsi pu recevoir une aide dont les gouvernements les privaient ; une aide libre de toute contrainte politique. La campagne pour l’annulation de la dette du tiers-monde a été ravivée. Les liens entre mouvements sociaux d’Europe et d’Asie se sont renforcés. Des liens qui doivent maintenant être consolidé dans la durée.
Pierre Rousset
(1) Voir à ce sujet, sur ce site Internet, le témoignage de L. A. Samy, « Auprès des oubliés du tsunami », du 20 février 2005.