Des militants appartenant aux organisations françaises qui ont participé à la préparation et à la tenue du premier FSMéd se sont réunis deux fois (septembre et 12 novembre) à Marseille et ont produit, entre autres travaux, ce bilan critique du premier FSMed. Nous avons fait ce travail avec l’objectif de dégager les conditions auxquelles une deuxième édition pourrait s’envisager avec plus de réussite. En effet, nous considérons unanimement que l’existence d’un Forum Social sur l’espace méditerranéen est nécessaire et pertinente pour les raisons que nous avons mises en avant tout au long de sa préparation. Mais cette unanimité prévaut aussi pour considérer que la poursuite de la construction de ce Forum n’a de sens que si nous réussissons à surmonter ce qui a fait obstacle lors de la première édition.
Les raisons d’un succès relatif
Que ce Forum se soit tenu malgré les nombreuses difficultés auxquelles sa construction a été confrontée est en soi un succès. Des délégués de l’ensemble des pays du bassin ont pu rejoindre Barcelone à cette occasion alors que l’entrée dans la forteresse de Schengen reste dans la plupart des cas un véritable parcours du combattant. Il faut insister sur la gageure que représente la préparation et la tenue d’un Forum sur un territoire traversé par la frontière la plus inégalitaire de la planète. Dans ce contexte la solidarité financière des organisations du Nord, n’a pas été au rendez-vous. En effet, elles ont, pour nombre d’entre elles, été absentes de ce processus pour des raisons sur lesquelles il faudra revenir. La totalité du financement de ce Forum est donc venue des institutions catalanes. Cela n’est pas choquant concernant l’évènement lui-même puisqu’il se tenait à Barcelone, mais cela l’est beaucoup plus pour ce qui est de sa préparation. En effet, l’immense majorité des organisations de la rive sud étaient dépendantes d’un fond de solidarité pour leur implication dans le processus de construction du Forum. Ce fond, qui servait essentiellement à la prise en charge totale ou partielle des voyages des délégués lors des Assemblées préparatoires, fut alimenté par une seule organisation sauf lors des Assemblés tenues à Naples (juillet 2003) et à Marseille (janvier 2005). Cette situation a pesé lourd sur la transparence financière de la préparation du Forum. Et ceci d’autant plus que le Groupe de Coordination Internationale mis en place, lors de l’Assemblée de Chypre (avril 2004), pour garantir que le processus soit animé dans un cadre représentatif et paritaire n’a jamais réellement fonctionné faute de budget ad hoc. Un Forum Social sur la région méditerranéenne ne peut se préparer correctement que si des solidarités effectives sont à l’œuvre pour dépasser les situations extrêmement contrastées des organisations qui le construisent. Sa réussite est donc entièrement dépendante de l’implication des grandes organisations et réseaux européens capables, ensemble, de donner corps à ces solidarités. Mais le succès très relatif de ce premier Forum ne tient pas seulement à un défaut de mobilisation des grandes organisations.
Ce qui a sauté aux yeux des participants de ce Foum, c’est qu’il s’est déroulé dans une ville totalement étrangère à sa tenue. Aucune signalétique, aucune visibilité médiatique, rien qui indique que les Barcelonais étaient concernés par cet événement. La manifestation de fin de Forum s’est déroulée « entre nous » sans qu’aucun renfort catalan vienne grossir les rangs des 3 000 manifestants. Cette absence d’implication des catalans dans la fréquentation du Forum se doublait du même constat concernant le reste de l’Etat espagnol. Cette situation renvoie sans doute aux aspects négatifs du régionalisme espagnol et à la faible capacité de mobilisation des organisations du comité catalan, mais elle interroge plus encore sur le rôle joué par la majorité sociale-démocrate au pouvoir à Barcelone et en Catalogne dans la marginalisation de cet événement. La sur-représentation, dans le Forum, des associations sahraouies laisse penser que c’est avant tout les dynamiques d’autonomie que les autorités catalanes ont voulu privilégier dans cet événement au détriment de toute visibilité de la contestation de la construction d’une Europe néolibérale dans laquelle elles sont totalement impliquées.
Malgré cela, les travaux ont été fructueux dans nombre d’ateliers et de séminaires. Notons, même si cela peut sembler une évidence, que la question démocratique reste le principal sujet d’intérêt pour nos camarades des rives sud et est du bassin. Remarquons que pour la Palestine, comme pour le Maghreb, les délégations d’associations de femmes étaient importantes. Comme beaucoup d’interventions ont pu en témoigner, ces rencontres entre femmes de pays où au nom de traditions légalisées par les États et les religions, des inégalités de droits et de situation se perpétuent, ont marqué un temps fort. Les ateliers se sont souvent révélés comme ayant la forme la plus adaptée pour traiter certaines thématiques ayant une dimension transversale telles que la souveraineté alimentaire, les flux migratoires, la Constitution européenne, la politique impérialiste de l’Europe vis-à-vis du sud méditerranéen. La multitude des réunions hors programme a aussi témoigné des besoins d’initiatives conjointes existant dans la région méditerranéenne. Il faut enfin porter une attention particulière à la réunion de lancement du processus de construction du Forum maghrébin programmée par des organisations marocaines et la FTCR qui a décidé que la première Assemblée Internationale se tiendrait en janvier au Maroc.
Les No Vox ont produit, à l’issue du Forum, un communiqué extrêmement critique sur l’ensemble du processus. Nous partageons une bonne partie de leurs remarques, mais nous ne sommes toutefois pas dupes qu’à travers cette prise de position se jouent aussi d’autres rapports de forces, internes au mouvement social. Ils illustrent notamment les « tensions de concurrence » en Méditerranée entre les acteurs des différents Forums Sociaux en construction. Sur ce point, il nous paraît important de redire qu’il n’y a pas de compétition entre le FSMEd et de futurs Forums Maghrébin et Arabe, et que les militants impliqués dans le Forum Civil Euro-Méditerranéen ont toute leur place au sein du FSMed pourvu qu’ils veuillent la prendre !
Quelles perspectives pour le prochain Forum
Nous croyons qu’il faut tourner la « page catalane » dès l’Assemblée Internationale qui se tiendra à Barcelone les 25 et 26 novembre prochains. Nous voulons défendre, à cette occasion la proposition de mise en place d’un groupe ayant un mandat jusqu’à une Assemblée suivante pour proposer :
– Un lieu et une échéance pour le prochain FSMed. Sur cette question, nous ne voyons pas pour l’instant de meilleure localisation possible que la Turquie" ;
– Des modalités précises de préparation de cette échéance comprenant un budget prévisionnel ;
– Un rapport sur les positions des organisations du mouvement social du Nord comme du sud, relatif à leur implication dans le FSMed.
Afin d’économiser les déplacements des délégués et, surtout, pour permettre aux acteurs du FSE de participer à cette Assemblée, nous voulons proposer qu’elle se tienne à Athènes, la veille de l’ouverture du prochain FSE.
Nous demandons que chacune des organisations auxquelles nous appartenons nous donne mandat pour défendre ces propositions à Barcelone, lors de l’Assemblée Internationale programmée pour faire le bilan du premier Forum et se déterminer sur les suites à lui donner.