Lnspection générale des services (IGS), qui fait office de police des polices à Paris et dans la petite couronne, a été saisie après la plainte de Joachim Gatti, un réalisateur de 34 ans sérieusement blessé à l’oeil, mercredi 8 juillet à Montreuil (Seine-Saint-Denis), lors d’une intervention de la police. Pour son père Stéphane Gatti, « ce n’est pas une bavure, mais une brutalité policière ».
Joachim Gatti, qui participait ce soir-là à un rassemblement de soutien aux occupants d’une clinique désaffectée expulsés le matin même, « a reçu un tir de Flash-Ball en plein visage », a expliqué son père dans une lettre ouverte diffusée samedi 11 juillet. « Ceux qui s’étaient attachés à l’expérience de la clinique et les résidents avaient décidé, pour protester contre l’expulsion, d’organiser une gigantesque bouffe dans la rue piétonnière de Montreuil. (...) J’ai quitté cette fête à 20 heures en saluant Joachim », raconte-t-il.
Plus tard dans la soirée, il est averti que son fils a été transporté à l’Hôtel-Dieu. Ce dernier lui a fait le récit suivant : « Il y a eu des feux d’artifices au-dessus du marché. Nous nous y sommes rendus. Immédiatement, les policiers, qui surveillaient depuis leur voiture, se sont déployés devant. Une minute plus tard, alors que nous nous trouvions encore en face de la clinique, à la hauteur du marché couvert, les policiers qui marchaient à quelques mètres derrière nous ont tiré sur notre groupe au moyen de leur Flash-Ball. A ce moment-là, je marchais et j’ai regardé en direction des policiers. J’ai senti un choc violent au niveau de mon œil droit. Sous la force de l’impact, je suis tombé au sol. Des personnes m’ont aidé à me relever et m’ont soutenu jusqu’à ce que je m’assois sur un trottoir dans la rue de Paris. Devant l’intensité de la douleur et des saignements, des pompiers ont été appelés. » M. Gatti a trois fractures au visage, le globe oculaire fendu en deux et la paupière arrachée. Il risque de perdre définitivement son œil droit.
L’IGS a entendu Joachim Gatti à l’hôpital. La préfecture a reconnu l’existence de tirs de Flash-Balls, indiquant que les squatteurs de l’ancienne clinique avaient tenté de la réinvestir et tiré en premier des projectiles sur les policiers. Pour autant, elle considère que l’enquête devra établir s’il existe un lien entre les tirs de Flash-Balls et la perte de l’oeil de M. Gatti.
En octobre 2008, la Commission nationale de déontologie de la sécurité, saisie du cas d’un lycéen grièvement blessé à l’oeil à Nantes un an plus tôt, avait rappelé que « le recours à la force doit être toujours proportionné ». Elle indiquait que « si les projecteurs lancés par le LBD (un type de Flash-Ball) ont été choisis pour leur déformation à l’impact limitant les risques de pénétration dans un corps vivant, ils peuvent avoir des conséquences dramatiques lorsque la partie corporelle atteinte est le visage et, plus précisément, les yeux ».
En mars, un étudiant toulousain a lui aussi été grièvement blessé à l’oeil. En mai, deux habitants de Villiers-le-Bel (Val-d’Oise) et un jeune de Neuilly-sur-Marne (Seine-Saint-Denis) ont été blessés au visage.
Caroline Monnot
Flash-scandale
Edito du Monde
On a fini par lui donner le nom de sa marque : le Flash-Ball, ou lanceur de balle de défense, est une arme - expérimentée par les forces de police depuis 1995 - dite de pacification. L’usage de balles en caoutchouc peut aider à restaurer l’ordre sans risquer de provoquer de morts. Son but, expliquait Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, au Monde du 30 mai 2002, est d’« impressionner ». Ni plus ni moins.
Mais il arrive trop souvent - beaucoup trop souvent - que le Flash-Ball ne se borne pas à « impressionner ». Mercredi 8 juillet, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), une trentaine de personnes se réunissent pacifiquement pour un dîner festif dans une rue piétonne. L’objet est de protester contre la fermeture d’un squat culturel et l’expulsion de ses occupants. Le squat est vide. La police intervient. Pourquoi ? Il y a tirs de Flash-Ball. Selon des témoins, cinq personnes sont touchées au-dessus de la taille. Joachim Gatti, un jeune réalisateur-cameraman de 34 ans, petit-fils de l’écrivain Armand Gatti, est touché à l’œil. Selon son père, le documentariste Stéphane Gatti, « il a perdu un oeil du fait de la brutalité policière ». Impressionner ?
L’Inspection générale des services (IGS), la police des polices, a été saisie sur ce qui est plus qu’une bavure - un scandale. Car, depuis quelques années, le Flash-Ball a déjà fait plusieurs victimes, jeunes pour la plupart. A chaque fois, cibles de tirs tendus, à hauteur du visage. Aux Mureaux, en juillet 2005, un adolescent de 14 ans perd un œil. Il en a été de même en octobre 2006 à Clichy-sous-Bois, pour un jeune de 16 ans. Et de même encore en novembre 2007, à Nantes, lors d’une manifestation étudiante, pour un jeune de 17 ans - l’œil crevé au Flash-Ball, là aussi. Cette année, des drames de même nature ont frappé un étudiant de 25 ans à Toulouse, en mars, et un jeune à Neuilly-sur-Marne, en mai. Le Flash-Ball ne tue pas : il mutile - à vie. Bilan : six vies brisées, et qui n’auraient jamais dû l’être.
Autorité administrative indépendante, créée en 2000, la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) a déjà attiré l’attention des pouvoirs publics sur ces drames. Elle a appelé à « plus de discernement dans le choix des moyens d’appui lors de l’évacuation de manifestants mineurs » et dans l’usage des Flash-Ball. Cette arme ne saurait servir d’alibi à des violences policières qui ont tendance à se banaliser. Les pouvoirs publics tardent à en encadrer sérieusement l’emploi. Par indifférence ou pour « impressionner » ?