Les menaces d’explosions sont-elles des actions de désespoir ou l’annonce d’une révolte qui pourrait s’étendre ? Peut-être les deux. En l’absence de perspectives des confédérations syndicales, dont le front commun lézardé se refusait de toute façon à soutenir les luttes locales (même quand elles avaient un écho national), les salariés ripostent comme ils peuvent. Mais la question est posée : quel plan d’actions pour une rentrée sociale dure ?
La menace de licenciements et de dégradations graves des revenus et des salaires est quasi générale, qu’il s’agisse de sous-traitants ou de grands groupes, d’intérimaires ou de salariés en CDI. Près de 50% des entrées au chômage proviennent d’emplois détruits. Le mouvement difficile des chômeurs des années 1990 touchait surtout les chômeurs âgés et de longue durée. Aujourd’hui, c’est toute l’assise du salariat qui s’affaisse. C’est pourquoi les Etats généraux du chômage et de la précarité, qui se sont tenus le 17 mai dernier, se sont adressés à tous les salariés (des syndicalistes de Caterpillar et de l’équipementier Tyco étaient présents) pour « contester la légitimité » même des licenciements et bâtir une « législation pour rendre le droit à l’emploi effectif » fondée sur la « continuité des droits : contrat de travail, obligation de reclassement », avec financement par un « fonds patronal mutualisé ». La déclaration appelle à reprendre le combat pour la réduction du temps de travail et pour les services publics. Elle propose des « marches régionales » unissant tout le monde, culminant le 5 décembre. Ce projet fédérateur pourrait-il redonner un début de perspective aux combats éparpillés ? Cela supposerait une forte unité syndicale, qui retrouverait un sens national, après les journées calamiteuses du 26 mai et 13 juin. Mais on ne peut exclure que la résistance sociale se fraye une autre voie. Plusieurs tentatives de rapprochements dans l’action entre salariés victimes de licenciements montrent l’attente de coordination, qui devrait être l’objectif urgent de l’intersyndicale nationale. Les Continental ont manifesté avec Goodyear, un « collectif de résistance » se met en place dans la Meuse. Les New Fabris appellent les entreprises à se rassembler à Châtellerault le 30 juillet.
Primes ou emplois ? Dans un communiqué prenant ses distances avec New Fabris, la confédération CGT met la priorité sur la « sauvegarde de l’emploi », plutôt que l’obtention d’« indemnités ». Certes, la bataille de l’emploi paraît bifurquer vers la recherche de primes de départ dans la dignité, quand les salariés sont sans alternatives. Mais le mot de « prime » recèle des sens sociaux différents. Les 50 000 euros des Conti ont marqué les esprits, mais ils ont surtout obtenu un quasi maintien de leurs salaires pendant plusieurs années (jusqu’en 2012). Ne faut-il pas agir pour généraliser ce fonds salarial arraché à la multinationale, pour toutes les situations d’emplois menacés ? Faire payer les dividendes par une cotisation assurant les salaires : voilà un objectif clair. Il permettrait aussi de tracer un pont entre l’emploi et la question salariale, sans les opposer. Car le thème du « partage de la valeur ajoutée », dont Sarkozy s’est emparé avec démagogie, va revenir sur le devant de la scène.
Enfin, dès septembre, la défense des services publics sera au cœur d’une bataille unitaire, sous l’égide d’un large front (syndicats, partis, associations), qui organise un référendum contre la privatisation de La Poste le 3 octobre.
Dominique Mezzi
* Paru dans « Tout est à nous » n°19 du 30 juillet 2009.
La meilleure idée pour soutenir les luttes
Pourquoi, dans les luttes sociales, la solidarité ne pourrait égaler l’aide spontanée et massive manifestée lors de catastrophes naturelles ou humanitaires ?
C’est la question que s’est posée le Collectif pour une alternative au libéralisme - Marseille Est (le Calme). Prenant exemple sur les 1600 euros collectés, en une heure, pour les caissières de Carrefour, à Marseille, le Calme a créé un site internet, www.solidarites.soutien.org, où l’on peut manifester sa solidarité, y compris financière, aux luttes en cours. Vève Guinot, membre du collectif, nous explique son fonctionnement.
En deux mots, comment cela fonctionne-t-il ?
Pour les donateurs, il faut s’inscrire sur le portail des luttes. Cela permet de développer le portail et d’avoir des informations sur les nouvelles luttes et sur l’avancée de celles en cours. Ensuite, pour faire un don, il faut choisir une lutte dans le « panorama des luttes » et choisir le montant du don. La particularité et l’efficacité résident dans le paiement en ligne par carte bancaire, le tout étant extrêmement sécurisé. Pour les travailleurs qui veulent inscrire une lutte, nous avons rédigé un contrat avec des juristes (légalité oblige) pour définir les obligations de chacun. Après un premier contact, ce sont les travailleurs eux-mêmes qui inscrivent ce qu’ils souhaitent pour présenter leur lutte (tracts, photos, commentaires). Cet espace leur appartient, et ils peuvent l’alimenter à leur guise. Nous nous devons d’être irréprochables à l’égard des donateurs, des travailleurs et des organisations qui se sont inscrits sur le site. On a donc pris beaucoup de précautions concernant les questions financières. Chaque boîte en lutte doit fournir un RIB pour la lutte (celui des syndicats ou des unions locales, du comité d’entreprise ou du comité de grève). Les sommes perçues sont virées automatiquement par la banque (tous les 50 euros, environ), directement sur le compte de la lutte, et apparaissent immédiatement sur le site, visibles par tous. Les travailleurs décident eux-mêmes de l’usage de l’argent reçu.
On vous connaît comme groupe de militants qui ont été dans tous les collectifs unitaires, ensemble, dans tous les combats et les quartiers est de Marseille, dont celui des Nestlé. Comment avez-vous fait pour faire connaître votre idée plus largement ?
C’est vrai que le fait d’avoir, d’entrée, la confiance d’un certain nombre de responsables syndicaux et politiques dans la région, qui savaient qu’on n’était pas des guignols, nous a permis d’avoir un très bon accueil de la part des unions départementales. Maintenant, certains militants nous téléphonent en nous disant d’aller voir, ici ou là-bas. On a envoyé notre projet à toutes les confédérations. On ne se présente pas comme une caisse de grève, mais une caisse de solidarité, on n’est pas ressenti comme « concurrents », mais comme un outil utile à tout le monde et subversif. Sur les Bouches du Rhône, la CGT a été la première à comprendre l’intérêt d’un tel projet, et la réparation navale (UNM) s’est inscrite rapidement.
On envoie, sans relâche, des informations à la presse. On a eu des articles sympas dans la plupart des journaux, dont Politis, l’Hebdo et l’Huma. Mais c’est surtout l’interview sur le site de Rue 89 qui a fait bondir les inscriptions. On est passé de 600 visites du site, en mai, à 1200 en juin. Après l’article, on a eu une quinzaine d’inscriptions nouvelles, dans les jours qui ont suivi. Il est impératif de s’inscrire pour le développement du portail, même si on ne peut pas faire de don.
Comment êtes-vous reçus ? Comment se passent les contacts avec les boîtes en lutte ?
L’accueil est toujours super sympa, les gens qui sont en lutte sont vraiment contents de voir qu’on pense à eux. Ce qui nous frappe le plus, c’est l’étonnement des travailleurs, quand ils voient la solidarité manifestée face à leur isolement et leur désarroi. On voit des luttes de toutes sortes : depuis la réparation navale (UNM, à Marseille), organisée et politisée, jusqu’à des petites boîtes dans des petites villes, pratiquement pas syndiquées, qui nous demandent des conseils pour mener la lutte. On se pose des questions pour trouver des formes de lutte nouvelles, comme Lithotech, à Rognac, une petite boîte d’imprimerie en train de fermer, dont la direction avait embarqué les machines pour délocaliser. Ils ne voulaient pas faire grève, car la direction n’attendait que ça pour fermer. Comme ils cherchaient des moyens de pression pour négocier leur départ, ils se sont inscrits sur le portail, juste pour informer. Puis, ils sont allés à Paris pour rencontrer le conseil d’administration, qui devait déposer le bilan, et négocier le plan social. Ils ont aussi fait appel à la solidarité financière, et ça a marché.
Et maintenant ?
Il faut que le portail prenne une dimension nationale. Maintenant, c’est aux militants qui pensent que ça vaut le coup de faire savoir que cet outil existe, de donner l’adresse, parfois d’aider les boîtes en lutte à écrire leur présentation, faire des photos, de manière à ce que cette chaine de solidarité s’organise partout et devienne un atout pour toutes les luttes. On peut les situer géographiquement sur une carte de France. On les popularise, grâce à des liens vers les sites de Plus belles les luttes, Résistance sociale, Rouge vif, le Raco, Mille bâbords, les Alternatifs, Le temps des cerises, etc. Il est clair que ces outils participent à l’action pour la convergence des luttes.
Pour plus d’infos : www.solidarites.soutiens.org
* Paru dans « Tout est à nous » n°19 du 30 juillet 2009.
La fin rampante du service public de l’emploi
Les agents de Pôle emploi qui paient les pots cassés de la fusion entre l’ANPE et l’Assedic sont en outre submergés par l’afflux de nouveaux chômeurs. Mais plutôt que de procéder à des embauches, le gouvernement sous-traite au privé.
Laurent Wauquiez, secrétaire d’Etat à l’Emploi avance son « plan d’urgence » pour la rentrée : aucune embauche n’est prévue au Pôle emploi mais le suivi de 320 000 chômeurs va être transféré à des opérateurs de placement privés (OPP), d’ici 2010. Soit un budget de 100 millions d’euros pour la seule année 2009… La crise sert là encore de prétexte pour éviter de tirer le bilan catastrophique de la fusion de l’ANPE et de l’Assedic, merveilleuse réforme voulue par Sarkozy. Pourtant, tout devait être « simple », comme l’a si souvent répété la direction de Pôle emploi, dont le but était de proposer à « ses clients » un service complet via un interlocuteur unique. Mais plus de six mois après, plus personne ne s’y retrouve : ni les usagers trimballés d’un service à un autre ou d’un conseiller à un autre, ni les agents complètement dépassés par la dégradation de leurs conditions de travail, liée à la fois au contenu de leur mission et à l’augmentation de la charge de travail.
Dans ce contexte, le recours au secteur privé pose plusieurs questions. En termes d’intérêt pour les chômeurs, la dernière étude sur l’impact de l’accompagnement renforcé sur le taux de personnes ayant retrouvé un emploi de plus de six mois démontre qu’à moyens égaux, l’accompagnement proposé par le service public de l’emploi offre des résultats bien meilleurs que ceux du privé. Ainsi, après trois mois de suivi, 5,5 % des demandeurs accompagnés par l’ex-ANPE retrouvaient un emploi contre 1,7 % par les OPP ; après six mois, 8,4% contre 3% et après neuf mois, 16,9% contre 5,7%. Les résultats parlent d’eux-mêmes mais le gouvernement s’entête.
Quant aux effets vis-à-vis des agents du Pôle emploi, selon le directeur général Christian Charpy, la concurrence avec les OPP les stimulerait. Au-delà du mépris envers les salariés de Pôle Emploi - qui subissent quotidiennement la fusion - le gouvernement et la direction essaient de justifier, par tous les moyens, leur politique de privatisation du service public et la transformation des conseillers à l’emploi en police de l’emploi.
Le chômage devient ainsi un marché juteux pour bon nombre d’entreprises : agences d’intérim, cabinets… Ces derniers seront payés en fonction de leurs résultats.
Mais parallèlement, le durcissement des politiques de l’emploi continue : offre raisonnable d’emploi (ORE), qui impose d’accepter des postes éloignés de chez soi avec un salaire au rabais après quelques mois de chômage ; contrôle, à l’aide de lampes UV, des papiers d’identité lors de l’inscription, avec l’obligation pour les conseillers de noter les fausses pièces sans avertir le chômeur ; convocation mensuelle entraînant de nombreuses radiations supplémentaires, alors même qu’il y a peu d’offres d’emploi et de formations.
Alors comment éviter que les OPP, dans une logique de rentabilité, ne contraignent les chômeurs à accepter n’importe quel emploi prétendu raisonnable ?
Le recours au privé permet ainsi à la direction de Pôle emploi de déjouer les résistances des agents n’appliquant pas - pour beaucoup d’entre eux - l’ORE et autres mesures coercitives.
Dès le départ, Christine Lagarde avait annoncé la couleur. La fusion devait répondre aux besoins du marché du travail : la flexibilité. Il est évident que Pôle emploi a pour seul objectif de répondre aux intérêts du patronat en termes de main-d’œuvre précaire et flexible. Rien de tel donc que des structures imposant aux travailleurs privés d’emploi d’accepter des postes dont personne ne veut, à coup de menaces de sanctions financières.
Devant cette situation, de plus en plus d’agents se révoltent. Il n’y a jamais eu autant de collectifs, de pétitions, d’actions spontanées, concernant les conditions de travail et/ou les missions (ORE, contrôle d’identité).
Il ne reste plus qu’à espérer qu’une grande mobilisation aura lieu à la rentrée, pour lutter contre cette fusion qui démontre chaque jour son incapacité à résoudre quoi que ce soit.
Le Comité NPA Pôle emploi
* Paru dans « Tout est à nous » n°19 du 30 juillet 2009.
Pôle emploi : une colère bien présente
Jeudi 18 juin, à l’appel de trois syndicats (CGT, SUD et SNU), environ 14% des salariés de Pôle emploi ont fait grève.
Un chiffre qui ne prend pas en compte les absents pour diverses raisons ou encore la difficulté pour les précaires de se mettre en grève. Dans certaines régions le taux de grévistes était proche de 30%.
Les revendications portaient essentiellement sur trois axes : l’embauche massive de salariés non précaires pour faire face à la surcharge de travail ; le respect des chômeurs et des missions de service public mis à mal par la fusion/privatisation entre les Assedic et l’ANPE ; l’amélioration des conditions de travail et une revalorisation salariale. Le nombre de grévistes peut paraître décevant, au regard de cette sensation d’être débordés en permanence, de ne plus rien savoir, de ne plus rien faire d’utile, de ne plus avoir d’outils…
Pourtant, les raisons de la colère et de se mettre en grève ne manquent pas : accroissement du nombre de dossiers d’indemnisation, qui s’entassent (plusieurs dizaines de milliers sont en souffrance), ou du nombre de chômeurs à recevoir (entre 150 et 300 par conseiller, au lieu des 30 à 60 annoncés par le gouvernement et la direction) ; la désorganisation des équipes ou la destruction de nos missions dues à la fusion ; la dégradation des conditions de travail et des outils mis à disposition pour répondre à la demande des usagers (la plateforme téléphonique « 3949 », payante et inefficace, en est le symbole) ; la perte de sens des métiers, qui se résument de plus en plus au rôle de flics du chômage, d’auxiliaires de la police pour traquer les sans-papiers et d’opérateurs de saisie…
Pôle emploi est proche de la paralysie, sauf en ce qui concerne sa machine à radier, qui fonctionne malheureusement encore très bien. Le problème ne sera pas résolu par les 1000 embauches en CDI et 1340 en CDD, qui vont venir grossir les rangs des précaires du Pôle emploi (avant la fusion, 20% de la masse salariale de l’ANPE était en contrat précaire). Actuellement, pour faire face, il faudrait embaucher environ 20000 personnes. Mais embaucher pour faire quoi ? Pour contrôler, « fliquer » et radier ? Non, merci ! Il faut réclamer l’interdiction des radiations, l’arrêt du suivi mensuel personnalisé (SMP) et de tout contrôle de la recherche d’emploi ; la suppression de l’offre raisonnable d’emploi ; l’interdiction de l’envoi (automatique) des demandes d’inscription des étrangers extracommunautaires aux préfectures pour vérification de la légalité du séjour ; la revalorisation des indemnités chômage…
La colère et le ras-le-bol des salariés sont bien présents et n’attendent plus que des perspectives de la part des syndicats pour s’exprimer. Les enjeux sont d’importance, car Pôle emploi est au centre du dispositif d’attaque de la classe ouvrière par le gouvernement et le patronat. Il faut résister à l’éventuel disparition, à terme, du système d’indemnisation du chômage au profit d’assurances privées. Il faut également combattre la mise en place de l’outil dont le patronat et les différents gouvernements rêvaient depuis plusieurs décennies : un outil plus « utile » que l’ANPE, pour obliger les chômeurs à accepter n’importe quel emploi à n’importe quelles conditions salariales, afin d’augmenter un peu plus la concurrence entre les travailleurs avec ou sans emploi et faire baisser le coût du travail.
Yann Venier
* Paru dans « Tout est à nous » n°14 du 25 juin 2009.
Le 3949 ne répond plus....
Les chômeurs ne peuvent plus joindre le Pôle emploi. Mais c’est toute la politique de l’emploi de Sarkozy qui ne fonctionne pas.
Elle était formatée pour un chômage de 5% en 2012, alors qu’il dépassera officiellement les 10% en 2010. Le chômage réel frappe 5 millions de personnes.
Les inscriptions au Pôle emploi prennent de plus en plus de retard – plus d’un mois dans certaines régions. Chaque conseiller, ne devant pas suivre plus de 60 chômeurs, en suit souvent 200. Avec la crise, le nombre d’offres d’emploi a chuté de plus de 30%. Les budgets de formation fondent, eux aussi, comme neige au soleil.
Le suivi mensuel des chômeurs devient une machine à contrôler et à radier. On demande même aux agents de vérifier les documents d’identité des étrangers. Et comme le Pôle emploi est submergé, le suivi des chômeurs est sous-traité au secteur privé : 312 000 chômeurs seront ainsi suivis par des organismes privés.
Mercredi 22 juillet 2009