Comment s’explique ton engagement auprès du mouvement ouvrier ?
Je me suis toujours senti proche des ouvriers et des paysans. Mon engagement s’explique par plusieurs raisons.
– Il y a tout d’abord le massacre de 1989. L’échec du mouvement démocratique m’a fait comprendre que pour changer la société chinoise, il faudrait mobiliser les ouvriers et ne pas compter seulement sur les intellectuels.
– Deuxièmement, j’ai compris dès les années 80 que la réforme économique allait avoir des conséquences sociales très importantes sur les salariés. La société risquait de devenir inégalitaire. On entendait dire que si les sociétés d’État fonctionnaient mal, c’était de la faute des salariés : parce qu’ils étaient paresseux du fait que leur emploi et leurs droits étaient garantis. Je n’étais pas d’accord. J’avais travaillé comme paysan et comme salarié, et j’avais constaté que les salariés n’étaient pas des paresseux. Les problèmes venaient en fait des bureaucrates qui faisaient n’importe quoi. Lorsque j’ai travaillé en usine, j’étais chargé de réaliser des enquêtes et c’est le principal responsable du Parti dans l’entreprise qui m’a viré. C’était un « vétéran » communiste qui ne comprenait rien, et qui se disputait avec tout le monde. Mon entreprise était une des meilleures entreprises de l’époque. On fabriquait du matériel pour les ordinateurs. Mais les responsables communistes étaient des imbéciles qui ne comprenaient rien. Comment pouvait-ils faire fonctionner correctement cette entreprise d’État ?
– La troisième raison de mon engagement est sans doute aussi l’exemple de mon père. Après avoir été un responsable local du Parti, il était, au début des années 80, président du syndicat des transports de ma province qui compte 40 millions d’habitants. Mon père n’a pratiquement jamais été ouvrier, mais c’était un communiste très honnête et très propre. Il n’était pas corrompu, et a toujours eu des problèmes avec les responsables du parti. Ces trois éléments expliquent pourquoi, lorsqu’en 1993 j’ai rencontré Han Dongfang, qui est très exigeant, on s’est bien entendu tout de suite.
Quelle est l’activité du China Labour Bulletin [3] ?
Plus qu’un bulletin, China Labour Bulletin est une association ayant pour vocation de promouvoir le syndicalisme indépendant en Chine.
Nous partons de zéro car le syndicalisme indépendant est une notion nouvelle en Chine. Nous devons commencer par créer des liens de solidarité minimum car les salariés sont mis en concurrence entre eux. Cela passe par un travail très concret. Nous avons un réseau qui travaille avec des cabinets d’avocats pour aider les salariés à faire valoir leurs droits. On travaille en direction des migrants employés par les entreprises étrangères ainsi que vers les salariés du secteur d’État.
Nous sommes obligés de nous situer dans le cadre du syndicat officiel, et nous cherchons à faire élire des délégués représentant vraiment les salariés. Deux fois par semaine, Han Dongfang anime une émission de radio que peuvent écouter plusieurs dizaines de millions de chinois. En ce qui me concerne je parle presque tous les jours sur des radios occidentales émettant en direction de la Chine comme BBC, RFI, American Voice, la radio allemande, radio Free Asia. Ces radios sont plus écoutées que les radios officielles, même si certaines émissions sont brouillées par le pouvoir. Notre bulletin est accessible sur Internet. De leur côté, les chinois nous contactent par téléphone ou par Internet.
Au niveau international, nous cherchons à fournir aux syndicats du monde entier, ainsi qu’à l’opinion publique des informations sur ce qui se passe en Chine. Nous avons eu des contacts avec le BIT [4] et la CISL [5].
Quels sont les revenus des salariés et paysans chinois ?
Le salaire mensuel moyen d’un salarié qualifié est d’environ 1 500 yuans [6] à Pékin et 1 000 yuans dans l’intérieur du pays. Les migrants venus des campagnes gagnent seulement autour de 600 ou 700 yuans. Si on veut faire des comparaisons avec les salaires existant dans d’autres pays, il faut tenir compte du fait que 80 % des salariés chinois n’ont pas de couverture maladie ni de retraite, qu’ils doivent payer pour l’éducation des enfants, que se loger coûte très cher, et que leurs emplois sont généralement précaires. Les travailleurs migrants sont payés 40 % moins cher que les autres salariés, et ils ont encore moins de Sécurité sociale. Ils vont rarement au café, au cinéma, au théâtre ou au musée, encore moins au restaurant. Ils envoient l’essentiel de leur argent au village, ou le mettent de côté pour l’avenir. Le revenu mensuel moyen des paysans est d’environ 250 yuans : en travaillant la terre, ils perdent de l’argent ! Ils vivent carrément dans la misère, et 70 % de leurs ressources proviennent de l’argent envoyé par les migrants.
Comment la société chinoise est-elle structurée ?
La classe ouvrière en Chine est une classe très jeune. Elle s’est en effet formée tardivement : en 1949, il y avait seulement trois millions d’ouvriers, dont de nombreux enfants. Le niveau d’industrialisation était très faible, beaucoup d’entreprises étaient étrangères. Et ensuite, le PC a tout contrôlé pendant 50 ans. La classe ouvrière chinoise est aujourd’hui en pleine recomposition.
– Entre 1995 et 2005, environ 70 millions de salariés qui travaillaient dans les entreprises d’État ont été privés d’emploi, parfois sous forme de mise en retraite anticipée.
– Simultanément environ 150 millions de paysans sont devenus salariés avec des statuts encore plus précaires.
– Les nouveaux embauchés ne bénéficient plus du statut de quasi-fonctionnaire qui garantissait l’emploi, la retraite, et la couverture maladie.
Tout cela explique pourquoi la classe ouvrière chinoise n’a pas de culture de lutte. Elle n’a pas de conscience de classe et, en ce sens là, ce n’est pas une classe.
Le rapport des forces est aujourd’hui le suivant.
– On trouve d’un côté les directeurs des entreprises privées ou publiques qui ont tous les pouvoirs. Ils sont très liés aux autorités locales par des relations familiales, amicales ou par le biais de la corruption. Intérêts politiques et intérêts privés sont étroitement imbriqués. Le premier objectif fixé aux autorités locales est de développer la croissance de la région en attirant le plus possible d’investissements. Ils soutiennent pour cette raison les directions d’entreprises.
– De l’autre côté, on trouve les salariés qui n’ont pas de tradition et de culture de lutte. Ils n’ont pas le droit de s’organiser en syndicat indépendant. Il est donc important et urgent de créer des liens de solidarité parmi les travailleurs, et de propager la notion de syndicalisme indépendant.
Quelle analyse fais-tu des récentes mesures sociales prises par le pouvoir ?
Face au développement de la pauvreté, une sorte de RMI a été mis en place. Son montant est très faible : 200 à 250 yuans par personne suivant les villes, soit le minimum nécessaire pour survivre. Les RMIstes doivent travailler bénévolement un ou deux jours pour nettoyer le quartier ou apprendre les discours du Président. Cette mesure a permis le renforcement du contrôle de l’Etat sur les salariés au nom de la lutte contre la fraude. Il arrive que le nom de tous les RMIstes soient publiés dans les journaux ou affichés dans la rue. Le comité de quartier incite alors les voisins à surveiller les bénéficiaires du RMI. Ce RMI peut être supprimé si les autorités soupçonnent les bénéficiaires d’avoir des revenus jugés trop élevés, par exemple s’ils ont un chat ou des bijoux ou s’ils invitent un peu trop souvent des gens à manger à la maison. Auparavant c’était aussi le cas pour les téléphones portables ou les téléviseurs couleur.
Le gouvernement encourage la surveillance mutuelle et la dénonciation par les voisins. C’est un système scandaleux qui repose sur l’humiliation.
Le gouvernement chinois a pris des initiatives face aux problèmes sociaux, mais il continue à interdire toute association indépendante. L’idée du pouvoir est que les paysans et les ouvriers peuvent être utilisés comme des machines. Il n’y a aucune prise en compte de la dignité des individus. On vous aide en vous humiliant. Cela se traduit parfois par des suicides.
Peux-tu nous parler de la situation des femmes ?
Mao avait amélioré le statut des femmes par rapport à ce qui existait dans la société traditionnelle chinoise. Mais les femmes ont été les principales victimes de la réforme économique. Leur situation s’est dégradée depuis les années 80. China Labour Bulletin a réalisé une enquête en 2005 dans des provinces du centre. La plupart des salariés étaient des jeunes femmes de 14 à 16 ans, fabricant des jouets, des vêtements ou des chaussures. Leurs salaires étaient moindres que ceux des hommes, même pour celles qui travaillaient plus que des hommes. Le harcèlement sexuel est monnaie courante dans les entreprises. En Chine du Nord, les femmes sont parfois battues par leurs maris et les chômeuses sont souvent contraintes de se prostituer. Il existe en Chine au moins 6 millions de prostituées. Et cela se prolonge à Paris, où beaucoup de prostituées sont d’anciennes chômeuses qui financent ainsi les études de leurs enfants. De nombreux romans ont été écrits sur la situation des femmes.
Pendant longtemps les femmes bénéficiaient rarement de congé maternité, car elles étaient virées dés qu’elles étaient enceintes. Maintenant, c’est plus difficile pour les patrons de procéder ainsi ; alors les patrons embauchent des femmes plus jeunes, et ils les virent souvent dès qu’elles commencent à sortir avec un garçon : pour cette raison, les jeunes femmes doivent garder secrète ce genre de relation.
L’infanticide des filles existe toujours, mais moins qu’avant, car maintenant ce sont en général des gens nés dans les années 80 qui sont en âge de procréer, et leur mentalité est différente de celle de la génération précédente. À Pékin, les relations sont beaucoup plus égalitaires entre garçons et filles. Les jeunes ont un meilleur niveau culturel et ne veulent pas se marier tout de suite pour avoir des enfants. Mais à la campagne, à part dans les régions côtières, peu de chose ont changé à la campagne depuis 2 000 ans.
Quelles sont les conséquences de l’entrée de la Chine dans l’OMC ?
Les conséquences de l’entrée dans l’OMC ont été énormes. La Chine est entrée dans l’OMC en 2001 après 10 ans de préparation. Celle-ci a servi de slogan pour mettre les entreprises chinoises aux normes internationales. À la fin des années 80, la préoccupation principale du pouvoir était d’améliorer la gestion des entreprises d’État. Par la suite cette préoccupation a été abandonnée, le gouvernement a tout fait reposer sur la venue d’entreprises étrangères et cela a eu trois conséquences.
– Plus grande chose a été fait pour améliorer les entreprises chinoises, et beaucoup d’entre elles se sont effondrées.
– L’industrie nationale est maintenant affaiblie, certains secteurs comme l’automobile, l’aéronautique ou les pneumatiques sont pratiquement monopolisés par des entreprises étrangères, ce qui provoque des sentiments nationalistes.
– Des licenciements massifs ont eu lieu.
Au début des années 1990, par exemple, les entreprises pétrolières marchaient très bien. Mais au nom de l’entrée dans l’OMC, des licenciements massifs ont eu lieu sous prétexte que les entreprises pétrolières internationales employaient 10 fois moins de salariés que nous. Et le pouvoir a proclamé que pour être concurrentiel, il fallait licencier. Au nom de l’entrée dans l’OMC, les services publics ont été privatisés. L’éducation et les soins de santé sont devenus payants et, depuis 15 ans, leur prix a augmenté de 15 à 20 fois. Le problème le plus important aujourd’hui concerne le secteur bancaire et financier. La plupart des banques appartiennent toujours à l’État, mais des banques étrangères commencent à s’installer, et depuis 2007, elles peuvent faire des transactions en monnaie chinoise.
Un processus de privatisation est par ailleurs en cours, et de plus en plus de banques étrangères achètent des actions de banques chinoises. D’importants licenciements ont lieu dans les banques depuis un an, et des manifestations ont rassemblé des dizaines de milliers de salariés. Avant, la Chine exportait au moins 20 millions de tonnes de soja, elle en importe maintenant 30 millions de tonnes.
Mais globalement, les conséquences de l’OMC pour les agriculteurs ont été moindres que pour les salariés et les services publics.
Comment se comportent les multinationales étrangères en Chine ?
Les entreprises étrangères recrutent leur personnel sur place et s’alignent sur le comportement du patronat chinois. Le groupe cimentier Lafarge, par exemple, traite très bien les managers et ingénieurs chinois, mais il n’en va pas de même avec les autres salariés. Cette compagnie a une mauvaise réputation en Chine car lorsqu’elle rachète une entreprise chinoise, elle vire immédiatement la plupart des travailleurs, ce qui se traduit par des manifestations. China Labour Bulletin n’a malheureusement pas de liens avec les syndicats du groupe Lafarge dans le monde. Nous avons publié sur notre site un article concernant les pratiques du groupe Peugeot-Citroën en Chine.
Qu’est-ce qui a changé depuis la publication de ton livre en 2005 ?
Pour l’essentiel, mon livre est aujourd’hui encore plus d’actualité, car les Français sont plus nombreux à s’intéresser aux problèmes sociaux existant en Chine. Si je devais le réécrire, j’y ajouterais les mesures sociales prises par le gouvernement, comme la sorte de RMI dont j’ai parlé tout à l’heure.
Je parlerais également du renforcement de la police. Vous ne pouvez pas imaginer la quantité de policiers, le nombre de voitures de patrouille blindées, l’ampleur de l’armement moderne. Les policiers ont même des caméras fixées à l’épaule. On voit tous les jours des reportages sur les activités de la police. Les policiers sont 10 fois plus mobiles qu’il y a 3 ou 4 ans. On a vu récemment à la télévision un rassemblement de 20 000 policiers en moto. Un « système de mobilisation contre les catastrophes et les émeutes » a été mis en place.
À la campagne il y a toujours beaucoup d’affrontements liés aux expropriations de terres et à la pollution. Depuis 2006, beaucoup de taxes sur les paysans ont été supprimées, mais cela n’a pas beaucoup d’effet sur le niveau de vie des paysans, car le prix des produits industriels comme les engrais et des insecticides ont beaucoup augmenté. Dans les campagnes, l’école primaire et le collège sont redevenus gratuits, mais pas le lycée ou l’université, et pour les paysans, cela coûte très cher. Un système de protection sociale a été mis en place, mais il fonctionne très mal. Des comités de village ont été institués dans les années 1980. Fait exceptionnel en Chine, ils sont élus par les paysans [7]. Mais ils n’ont pas servi à grand chose, car le PC continue à contrôler l’organisation des élections locales. S’il n’y a ni liberté d’expression et d’organisation, ni liberté de la presse, l’élection de comités ne fait que renforcer les mafias du PC.
EXTRAITS DE « L’ENVERS DE LA PUISSANCE » PARU EN 2005
Politique : « le bond en arrière »
J’estime que depuis 20 ans, il y a eu un recul démocratique considérable. (p. 36)
La première faiblesse du régime c’est le divorce entre la population et les élites politiques, économiques et culturelles (p.15).
Ce régime hybride de dictature communiste et de capitalisme économique s’est installé progressivement depuis 1993 (p.14).
La population est surveillée par une police secrète. Son rôle a été renforcé après les évènements de 1989. S’y ajoutent des comités de quartier directement reliés à la police et qui lui signalent les gens suspects. Au téléphone ou sur Internet, tous se savent en permanence observés (pp. 40-42).
Sur le plan de la culture, une véritable censure existe, qui s’est renforcé depuis une dizaine d’années (p. 43).
Seul le roman est demeuré relativement libre (p. 45).
Économie
La Chine est devenue un pays capitaliste régi par l’intérêt privé (p. 59).
La Chine exporte des produits « simples », comme des jouets, des chaussures, des outils, des écrans de TV ou d’ordinateur, mais elle doit importer les produits à forte valeur ajoutée, comme les voitures. Pire 55 % des exportations sont le fait d’entreprises étrangères implantées en Chine, et même 80 % si l’on s’en tient au secteur des nouvelles technologies (p. 31)
Les gagnants.
Les gagnants sont tout d’abord les responsables des anciennes entreprise d’État. Chargés d’établir la valeur des actifs (terrains, immeubles et équipements) qui, ensuite, étaient vendus, ils ont eu tendance à les sous-estimer, soit pour toucher une commission occulte de l’acheteur, soit, lorsqu’il s’agissait d’eux-mêmes, pour maximiser leur plus-value à venir. Une fois propriétaires, rien ne les empêchait de revendre la société plus chère (en anticipant les économies à venir, notamment grâce aux licenciements), et d’empocher la différence. Les privatisations ont ainsi permis des enrichissements rapides par détournement de biens publics (p. 80).
Inégalités sociales
L’ouverture a permis l’émergence d’une classe moyenne, comptant environ 100 millions de chinois, mais aussi d’une classe aisée, voire riche, estimée à environ 5 % de la population. Plus de 20 millions de fonctionnaires d’État travaillent en administration centrale ou locale, et dans les organes du Parti. Les différentes administrations (la municipalité, le bureau du commerce et de l’industrie, le syndicat officiel, l’association des femmes, la Ligue de la jeunesse, la police et l’armée) et les comités du Parti sont en effet présents à chaque échelon (p. 75).
Ils bénéficient de la garantie de l’emploi et d’une couverture maladie leur assurant la gratuité des soins. À l’autre bout de l’échelle sociale, ouvriers et paysans n’ont jamais connu pareille précarité. Jamais depuis 1949, leurs conditions de vies n’ont été aussi éloignées de celles des cadres (p.16).
La classe salariée traditionnelle
Elle est forte de quelque 100 millions de salariés : ouvriers, mais aussi médecins, infirmières, enseignants (p.73).
Elle a perdu son statut de quasi-fonctionnaire (p.61).
Elle se caractérise par sa précarité et son taux de chômage (p. 73).
Les travailleurs migrants (mingongs)
Ces ruraux émigrés dans les villes sont environ 100 millions, sans compter les 250 millions de ruraux en sureffectif dans les campagnes. Bon nombre de mingongs sont des femmes et des enfants de moins de 16 ans qui travaillent dans les usines textiles, de chaussures ou de jouets (pp. 74-75).
Les paysans
Selon les chiffres du gouvernement, le revenu agricole moyen annuel est de 2 622 yuans (260 euros), soit le tiers de celui des villes (8 472 yuans ou 850 euros) (p. 76).
La paupérisation des campagnes résulte de différents facteurs : la décollectivatisation des terres (qui a favorisé l’émergence de grands domaines plus compétitifs) ; la privatisation des entreprises rurales et de certains services publics ; le sous-investissement (88 % des investissements étrangers se dirigent vers les régions côtières, 9 % seulement au centre et 5 % à l’Ouest), et surtout la réforme fiscale entamée en 1994 (p. 77).
Conditions de travail
Dans les mines de charbon, les accidents font au moins 20 000 morts par an, 80 % du total mondial ! (p.66).
En ce début du XXIe siècle, les mines privées chinoises rappellent étrangement les premiers puits européens du XIXe siècle (p. 67).
École
En 1994, l’École a été déclarée payante pour tous et les parents se sont vus accorder la liberté du choix de l’établissement. L’École est devenue une lourde charge pour la plupart des familles. Le primaire absorbe le tiers des revenus annuels, et le lycée 38 %. Depuis 1989, les frais d’inscription à l’Université ont été multipliés de 25 à 50 et peuvent atteindre plus de 2 ans d’un salaire moyen chinois. Ramenés au revenu de la population, les frais réels d’inscription à l’Université sont trois fois plus élevés que ceux du Japon, pourtant censés être les plus chers du monde. Les chinois n’hésitent pas à parler des « trois monstres » en parlant des frais d’éducation, des frais de santé, et du coût du logement (pp. 83-87).
Mobilisations
Presque chaque jour, des protestations, des grèves ouvrières ou des agitations paysannes se produisent en Chine. Un spécialiste des questions sociales les évalue à 60 000 par an [8] (p.10).
ÉLÉMENTS DE BIOGRAPHIE DE CAI CHONGGUO
Entretien avec Solidaires du 17 septembre 2007
Je suis né en 1955. J’avais donc 12-13 ans au moment de la Révolution culturelle, et j’étais trop jeune pour être Garde rouge. Mais j’étais très curieux et j’allais souvent voir ce qui se passait dans la rue, et ma mère était morte d’inquiétude.
Mon père était le responsable du Parti dans une grande entreprise de transports. Je me souviens d’une discussion très tendue en 1967 qui a eu lieu à la maison entre lui et un de ses anciens amis. Celui-ci était devenu un « rebelle » et il accusait mon père d’être un bureaucrate. Mon père a été arrêté et démis de ses fonctions. Il a été libéré après avoir fait son autocritique, et il a dû aller travailler comme ouvrier sur les bateaux. En 1969 il a été rétabli dans ses fonctions puis, dans les années 1980, il est devenu un important responsable du syndicat régional des transports. Pendant la « Révolution culturelle », il y avait eu des choses terribles et des choses positives. Ce qui était positif c’était que les travailleurs pouvaient s’exprimer et critiquer les dirigeants. Ce serait inimaginable aujourd’hui. Mais de l’autre côté, il y avait un contrôle très strict sur la vie privée, une répression politique très arbitraire. Au lycée, par exemple, mes profs avaient peur quotidiennement. Les bons profs étaient mal vus par les autorités, et ceux qui étaient nuls étaient par contre bien vus. Être considéré comme talentueux était dangereux.
Entre 1973 et 1975, à ma sortie du lycée, comme les autres chinois de ma génération, j’ai été envoyé deux ans à la campagne pour travailler dans les rizières. Au début, j’ai été accueilli très froidement car cela s’était très mal passé avec mon prédécesseur, mais cela a ensuite changé. Je leur ai appris à lire.
Au bout d’un an, je me suis retrouvé maire du village. J’ai ensuite travaillé deux ans et demi dans une usine, d’abord à la cantine, puis dans les bureaux. Je me suis retrouvé vice-président des délégués syndicaux. Je m’occupais notamment d’enquêtes sur les conditions de travail. Je parlais très franchement et, au bout de trois mois, j’ai été viré de mes responsabilités. Je continuais à être syndiqué : tout le monde était membre du syndicat, c’était obligé, on n’avait pas le choix. J’ai été ensuite affecté comme secrétaire au service des enquêtes du service de lutte anticorruption.
Deux ans après, j’ai passé le concours pour entrer à l’Université où j’ai fait des études de philosophie.
À partir de 1982, j’ai travaillé comme professeur de philosophie. J’ai publié pas mal d’articles sur la philosophie politique et l’histoire chinoise contemporaine dans une revue créée en 1984 et qui a ensuite été interdite en 1987.
Je suis ensuite retourné à la fac pour faire une thèse sur la philosophie politique française. Mon prof était le plus grand spécialiste chinois de la pensée politique européenne et notamment française. La culture française a inspiré des générations et des générations d’intellectuels chinois. Le mouvement de 1989 a alors éclaté. J’étais à la fois professeur et responsable de l’association étudiante. Pour tenter d’éviter l’affrontement, j’ai dialogué un certain temps avec les autorités.
Ensuite, je suis allé à Pékin pour soutenir le mouvement étudiant et tenter d’établir le dialogue avec les autorités afin d’éviter le massacre. Et on a échoué. J’étais sur la place Tienanmen au moment du massacre.
Le 4 juin au matin, j’ai vu les chars tirer sur les étudiants et les citoyens, douze étudiants ont été écrasés devant moi. Je suis ensuite retourné dans ma ville natale et j’ai conseillé aux étudiants de rentrer chez eux pour éviter d’être massacrés. J’étais recherché par la police.
Pendant un mois, je devais changer de logement chaque jour. Aidé par des démocrates de Hong Kong, j’ai réussi à rejoindre Hong Kong caché dans un bateau de pêcheur. Mais il a été rattrapé par la police, et j’ai alors dû nager dans la mer pendant quatre heures. En arrivant à Hong Kong, j’étais épuisé, avec des coupures partout causées par des huîtres et les coquillages.
J’ai été accueilli en France le 14 juillet 1989. En 1993, j’ai voyagé aux USA et j’ai rencontré Han Dongfang pour la première fois. Il avait entendu parler de moi, car j’avais écrit des articles. Il me considérait comme différent des autres intellectuels qui ne parlent que de théorie.
En 1994, Han a fondé à Hong Kong le China Labour Bulletin qui, plus qu’un bulletin, est plutôt une association cherchant à promouvoir le syndicalisme indépendant en Chine.
À partir de 1995, nous avons commencé à préparer le terrain face à ce qu’il pouvait se passer en 1997 avec la rétrocession de Hong Kong à la Chine. Han avait été invité pour le congrès de FO, on a discuté et on a décidé de travailler ensemble. J’ai travaillé pour une version française du Bulletin. Il fallait se préparer à réagir s’il lui arrivait quelque chose à Hong Kong.
Finalement, en 1997, lorsque Hong Kong a été rattaché à la Chine, cela s’est mieux passé pour lui qu’on ne le pensait.