Introduction
Les jeux olympiques de 2008, survenant sept ans après l’entrée de la Chine dans l’Organisation mondiale du commerce (OMC), symbolisent la (ré)insertion de ce pays dans le capitalisme mondial. En quelques dizaines d’années, la Chine a connu des bouleversements considérables ayant un impact direct sur les populations du monde entier. Non seulement un habitant de la planète sur cinq est chinois, mais la Chine est devenue la quatrième puissance commerciale mondiale, détenant le tiers des réserves mondiales en dollars. [1]
Des opinions très diverses existent à propos de l’évolution possible de la Chine [2].
Nous nous sommes contentés de rendre accessible un certain nombre d’informations et d’analyses, permettant notamment de donner un cadre aux débats quotidiens sur l’influence de la Chine sur l’économie mondiale et les délocalisations. Très peu de membres de Solidaires ont eu l’occasion de voyager en Chine, et encore moins lisent ou parlent le chinois. L’essentiel de ce dossier est donc composé d’extraits de documents en anglais provenant de militants chinois, et dont nous avons traduit des extraits en français. Etant donné le caractère autoritaire du régime, la plupart de ces derniers résident à Hong Kong, qui bien que rattaché à la Chine depuis 1997, continue à jouir d’une liberté d’expression comparable à celle que nous connaissons. De nombreux renvois sont faits par ailleurs à des documents facilement disponibles en français.
Ce dossier commence par quelques repères visant notamment à mieux cerner l’évolution dans le temps des diverses classes et couches sociales. Sont ensuite présentés des extraits de textes écrits par des militants chinois :
* l’interdiction faite à la population de mettre sur pied des organisations indépendantes du pouvoir,
* la difficile situation de la paysannerie qui explique l’ampleur considérable de l’exode rural et la surexploitation des migrants venus des campagnes,
* quelques grèves récentes mettant en lumière les difficultés importantes de la classe ouvrière à s’organiser.
Viennent ensuite les perspectives avancées par trois militants chinois, deux d’entre eux résidant à Hong Kong et un troisième en région parisienne. Ce dossier se termine par une bibliographie.
Quelques repères
Superficie : plus de 14 fois la France, plus du double de l’Union européenne, comparable aux USA.
Population : plus de 1,3 milliards d’habitants, soit près de 21 fois la France, près du triple de l’Union européenne, et plus de quatre fois les USA.
Population de quelques agglomérations :
Shanghai : 17 millions
Beijing (Pékin) : 15 millions
Tianjin (Tientsin) : 10 millions
Chongqing : 9,6 millions
Guangzhou (Canton), près de Hong Kong : 7 millions
Hong Kong (région administrative spéciale) : 7 millions
Macao (région administrative spéciale) : 0,5 millions
A noter, qu’à l’extérieur de la République populaire de Chine, l’agglomération de Taipei (Ile-Etat de Taiwan) compte 1,6 million habitants.
Monnaie : 1 Yuan = 9 centimes d’euro.
Jiang Zemin, secrétaire général du PC de 1989 à 2002 a été président de 1993 à 2003.
Hu Jintao lui a succédé successivement sur ces deux postes : secrétaire général du PC depuis novembre 2002, il est président depuis mars 2003.
Carte : non reproduite ici.
Voir : http://pagesperso-orange.fr/orta/solidint/
Chronologie
Il y a une quarantaine d’années, la Chine apparaissait aux yeux d’une partie de la jeunesse radicalisée et d’un certain nombre de militants du tiers-monde comme une alternative concrète au capitalisme et aux régimes bureaucratiques d’Europe de l’Est.
Aujourd’hui, la Chine est un des rouages du capitalisme mondialisé. Troisième puissance économique, elle détient le tiers des avoirs en dollars. D’après les statistiques officielles1, plus des deux tiers des salariés chinois travaillaient en 2004 pour des capitaux privés :
Entreprises privées à capitaux chinois | 34,66 % |
Entreprises privées à capitaux étrangers | 21,40 % |
Entreprises partiellement privatisées | 20,13 % |
Coopératives | 9,61 % |
Entreprises d’État | 13,58 % |
Autres | 0,68 % |
L’exploitation de la classe ouvrière et de la paysannerie atteint des records planétaires, ainsi que les inégalités sociales et la pollution. Une seule chose est demeurée inchangée : le Parti communiste continue à y détenir le monopole du pouvoir [3]. Après avoir donné quelques éléments sur la Chine d’avant 1945, nous allons proposer quelques repères chronologiques visant à cerner les dynamiques qui ont été ensuite à l’œuvre. Le choix retenu est de découper l’histoire de la Chine depuis la seconde guerre mondiale en trois grandes périodes :
– une première période de 27 ans entre 1949 et 1976,
– une période de 14 ans (1978-1992) qui amorce le passage au capitalisme,
– une nouvelle période de 15 ans (1992-2007) pendant laquelle s’épanouit le capitalisme.
LA CHINE D’AVANT 1949
La Chine est une des plus anciennes civilisations du monde. Sa première dynastie impériale serait apparue en 2 205 av J.-C. La dernière a régné de 1644 à 1911.
1911 : Victoire de l’insurrection républicaine sous la direction de Sun Yat Sen qui crée le parti Guomindang (Kouo-min-tang).
1919 : Mouvement du 4 mai pour protester contre le transfert au Japon des droits de l’Allemagne sur une partie du territoire.
1920 : La majeure partie de la Chine est aux mains des « seigneurs de la guerre », des généraux prédateurs exploitant des régions entières.
1921 : Fondation du Parti communiste chinois.
1924 : Les communistes s’intègrent dans le Guomindang (Kouo-min-tang) dirigé par le général Jiang Jieshi (Tchang Kaï-chek).
1927-1933 : Écrasement du mouvement ouvrier par le Guomindang.
1928-1930 : Sous la direction de Mao Zedong, les communistes constituent plusieurs bases paysannes armées.
1931-1940 : Guerre de conquête de l’armée japonaise. Les armées du Guomindang tentent d’encercler et de réduire les territoires contrôlés par les communistes.
1945 : Capitulation japonaise qui laisse face à face l’armée du Guomindang et celle du PC.
1949-1976 : LA CHINE DE MAO
Après des années de guerre civile, l’Armée rouge du Parti communiste assume l’intégralité du pouvoir à partir de 1949, qui voit la fondation de la République populaire de Chine. Une série de réformes assoient la base sociale du régime avec notamment la distribution des terres et une amélioration radicale de la condition des femmes. Puis viennent des nationalisations dans l’industrie, les transports et les banques suivies de la mise en place d’une planification centralisée [4].
Le nouveau régime doit faire face à une contre-offensive des puissances occidentales qui n’acceptent pas, qu’après l’Europe de l’Est, une nouvelle partie du monde échappe à leur contrôle. C’est dans ce contexte qu’intervient la guerre de Corée (1950-1953) et un long blocus économique et politique des USA.
Dans un premier temps, l’alliance avec l’URSS avait permis de contrebalancer partiellement la pression occidentale. Mais à partir de 1956 un processus de rupture se produit entre la Chine et l’URSS.
En 1958, Mao lance alors la Chine dans une politique de volontarisme économique, « le grand bond en avant » dont les conséquences seront catastrophiques : la famine entraîne la mort de millions de personnes.
Mao se retrouve mis sur la touche. En 1966, Mao déclenche la « révolution culturelle ». Il s’appuie sur le ras-le-bol de la jeunesse pour déboulonner ses adversaires. Mais le mouvement « dérape », et l’armée reprend les choses en main. Des luttes de clans se succèdent ensuite au sein du PC.
1976 symbolise la fin d’une époque avec la mort de Mao et de Zhou Enlai (Chou En-laï) et l’arrestation des dirigeants de la Révolution culturelle, dont Jiang Qing, la veuve de Mao Ze Dong.
« S’étant vu accordée le titre de classe dirigeante », la classe ouvrière est pendant cette période celle qui est « la mieux traitée parmi les classes dominées » [5]. Elle vient immédiatement après les cadres en termes de prestige et de conditions d’existence [6]. Les ouvriers et employés ont un statut protecteur. Ils sont affectés à une unité de production (danwei). Leur statut relève alors de ce qu’on a appelé « le bol de riz en fer » et « la grande marmite commune ». Le « bol de riz en fer », c’était l’emploi garanti à vie, les soins médicaux gratuits et le droit à retraite sans cotisation préalable. La « grande marmite commune », c’était des salaires égalitaires auxquels il fallait ajouter un ensemble d’avantages liés au danwei : logement, scolarisation des enfants, ou encore « prime de charbon ». L’absentéisme était partiellement toléré, les heures de travail limitées, les cadences relativement faibles.
Comme le gouvernement subventionnait les prix des produits alimentaires, il était plus enviable d’être ouvrier que d’avoir à supporter les aléas de la condition paysanne.
La contrepartie de ces avantages était l’impossibilité de quitter son entreprise volontairement, des salaires peu élevés, des logements petits.
Les différentes campagnes pour produire davantage étaient subies sans droit d’expression ni d’organisation hormis pendant une période courte de la Révolution culturelle.
« Il n’y a sous ce régime de parti unique ni démocratie politique, ni droits institutionnels de révoquer les dirigeants du parti. Si le responsable du parti n’a pas le droit de licencier des salariés pour raison économique, les travailleurs de leur côté sont attachés à l’unité de production (danwei), sans avoir le droit de changer de travail ou d’employeur, ni de révoquer les responsables du parti de leur danwei. Les travailleurs se voient refuser le droit fondamental de s’auto-organiser. La seule confédération autorisée est l’ACFTU [7]. Les travailleurs sont obligés d’y adhérer, mais ils n’ont pas le droit d’en révoquer les responsables. Et, cerise sur le gâteau, un dossier est constitué sur chaque salarié, où sont enregistrés tous ses propos pendant les réunions, ou tout ce qu’il avait pu faire. Ces dossiers sont conservés par le secrétaire du parti du danwei, et constitue la référence principale pour toute sanction ou promotion. Le résultat combiné de tous ces contrôles politiques et sociaux est la sévère atomisation et la profonde apathie politique de la classe ouvrière » [8].
La situation de la paysannerie, c’est-à-dire la grande majorité de la population, est très différente de celle des citadins. L’État, qui dispose du monopole d’achat et de vente des produits agricoles, fait reposer sur les épaules des paysans l’essentiel du poids de l’accumulation. Le regroupement des paysans dans des exploitations collectives lors du « Grand bond en avant » se traduit par une productivité très faible et des conditions d’existence difficiles.
Les paysans subissent par ailleurs une véritable discrimination sociale et légale. Le nouveau régime a en effet repris à son compte la tradition deux fois millénaire de l’affectation de tout citoyen à un lieu de résidence obligatoire (hukou). Les paysans n’ont, pour cette raison, pas le droit de travailler en ville ou d’y résider, ce qui a pu limiter longtemps l’exode rural.
1978-1992 : LA PREMIÈRE PHASE DE CONVERSION AU CAPITALISME
Elle est symbolisée par le poids politique croissant de Deng Xiaoping, une figure historique du PC chinois qui avait été écartée lors de la Révolution culturelle. A partir de 1978, la situation de la paysannerie s’améliore considérablement avec le retour progressif à l’exploitation familiale de la terre, dont la propriété est transférée de l’État aux municipalités.
Mais dès le milieu des années 1980, la bureaucratie locale se lance dans un véritable racket fiscal dans les campagnes. La situation des paysans se dégrade alors sensiblement. Il en résulte la formation d’un énorme réservoir de main-d’œuvre disponible pour aller travailler en ville, même clandestinement. Comme par hasard, le régime organise au même moment le développement d’une industrie à capitaux totalement ou partiellement privés, reposant sur une main-d’œuvre à bas coût.
A partir de 1982 [9], la création d’entreprises privées est en effet autorisée dans l’industrie légère et dans les services. Dans tous les secteurs voient le jour des sociétés mêlant des capitaux étrangers et chinois. En 1984, 14 villes sont ouvertes aux investisseurs étrangers.
Les « sans papiers » qui fuient la misère des campagnes constituent une proie de choix pour ces entreprises. Se constitue ainsi une nouvelle sorte d’ouvriers, les mingongs, surexploitée à l’extrême.
Pendant cette première phase, pas grand chose ne change pour l’ancienne classe ouvrière. Les réformes se limitant pour l’essentiel à donner davantage d’autonomie aux directeurs des entreprises d’État. Signe prémonitoire, la notion d’emploi à vie dans les entreprises d’État est supprimée dans les textes. Mais cela n’a pour l’instant pas beaucoup de conséquence dans les faits.
Cette première phase de transition au capitalisme déstabilise profondément la société chinoise. « Un fossé grandissant s’est creusé entre dominants et dominés, et c’est cela qui a ensuite conduit en 1989 à l’éruption du mouvement démocratique de la place Tienanmen. Le PC a été particulièrement inquiet du fait qu’un grand nombre de travailleurs se soient mobilisés pour soutenir la revendication de droits démocratiques élémentaires formulée par les étudiants » [10]. Hanté par le spectre de la grève générale polonaise de 1980 et l’effondrement des pays de l’Est, le pouvoir réagit brutalement. En juin 1989, les chars tirent sur les étudiants et la loi martiale est proclamée. Une répression implacable est organisée contre les « meneurs ». Le gouvernement ayant marqué clairement qu’il est prêt à tout pour rester au pouvoir, il estime ensuite avoir les mains libres pour engager la deuxième phase de la transition au capitalisme.
DEPUIS 1992 : LA DEUXIÈME PHASE DE PASSAGE AU CAPITALISME
En 1992, Deng Xiaoping proclame le tournant vers « l’économie socialiste de marché ». L’usage du terme « socialiste » signifie que le PC veut continuer à détenir l’intégralité du pouvoir. Le terme « marché » indique que la Chine veut s’intégrer pleinement dans l’économie capitaliste mondiale, ce qui se traduira en 2001 par son entrée dans l’OMC [11]. Le but des dirigeants chinois est en effet de construire une économie reposant sur l’exportation et sur des coûts salariaux parmi les plus faibles du monde.
Fin 1993, le système de planification disparaît [12]. L’économie chinoise passe partiellement sous la domination de capitaux étrangers, dont ceux de la diaspora chinoise. Ces capitaux étrangers contrôleraient aujourd’hui 75 % des exportations et 75 % de l’industrie [13].
En Chine continentale [14], un capitalisme autochtone commence à se constituer à partir de 1994 avec la vente par les autorités de PME pour un prix symbolique. Des entreprises privées chinoises voient le jour en zone rurale puis en ville notamment pour servir de sous-traitants aux entreprises étrangères. Une nouvelle bourgeoisie chinoise émerge agglomérant des chinois de la diaspora et du continent. Mais la conversion au capitalisme franchit un seuil décisif à partir de 1997 avec la restructuration des grandes entreprises d’État, préalablement transformées en sociétés anonymes et dont le capital est ensuite ouvert à des investisseurs privés chinois ou étrangers. Les grands groupes sont alors dépecés : les entités rentables sont regroupées dans de nouvelles structures, le reste est purement et simplement fermé. Le but est de créer des grands groupes modernes semblables aux conglomérats japonais ou coréens et capables de leur résister [15].
Parallèlement, le gouvernement organise la libéralisation et la privatisation des services publics [16] :
– Les soins de santé sont hors de prix, et des hôpitaux privés se mettent en place ;
– L’École publique est devenue payante, et des établissements privés voient le jour, les coûts d’inscription à l’Université qui, en tenant compte du niveau de vie chinois, sont parmi les plus élevés du monde [17].
« A l’époque maoïste (…) la société chinoise apparaissait comme l’une des plus égalitaires du monde. La réforme en a fait l’une des plus inégalitaires » [18]. Ou comme le dit un ouvrier métallurgiste de Shenyang : « Mao nous avait au moins donné le bol de riz en fer, Deng Xiaoping [19] l’a percé, Jiang Zemin [20] l’a aplati. » [21]
LES ATTEINTES AUX DROITS DE L’HOMME EN 2006
On estime à plusieurs centaines de milliers le nombre de personnes détenues en 2006 dans des camps de « rééducation par le travail » sur l’ensemble du territoire chinois, et risquant d’être maltraitées ou torturées. En mai 2006, les autorités de la ville de Pékin ont annoncé leur intention d’utiliser ce mode de détention en vue de réprimer différentes formes de « comportements délictueux » et d’améliorer l’image de la ville à l’approche des Jeux olympiques.
La torture et les autres formes de mauvais traitements demeurent très répandus. Parmi les méthodes couramment utilisées figurent les coups de pied, les passages à tabac, les décharges électriques, la suspension par les bras, l’enchaînement dans une position douloureuse, les brûlures de cigarette et la privation de sommeil ou de nourriture.
D’après Amnesty International, il y aurait eu en 2006 au moins 2 790 condamnations à mort et 1 010 exécutions. Le nombre d’exécutions par injection létale a augmenté, ce qui a facilité le développement d’une lucrative activité de prélèvement d’organes sur les prisonniers exécutés. Un vice-ministre a déclaré que la majorité des organes utilisés pour des transplantations provenaient de prisonniers exécutés.
Une nouvelle réglementation interdit la vente et l’achat d’organes, disposant par ailleurs que les prélèvements d’organes ne pouvaient être réalisés qu’avec l’accord écrit du donneur. En 2006, les autorités chinoises ont intensifié la répression contre les avocats et les militants du droit au logement. Un grand nombre de défenseurs des droits humains ont été soumis à de longues périodes de détention arbitraire sans inculpation et ont été harcelés par les forces de police ou par des bandes locales de malfaiteurs, manifestement avec l’assentiment des premières. Beaucoup étaient surveillés de manière quasi permanente ou assignés à résidence, et les atteintes contre leurs proches se sont multipliées. De nouvelles dispositions restreignaient la possibilité, pour les avocats, de représenter des groupes de victimes et de formuler des requêtes collectives. De nombreux journaux et revues populaires ont été contraints de cesser leurs activités. L’accès à plusieurs centaines de sites web internationaux restait bloqué et des milliers de sites chinois ont été fermés. Des dizaines de journalistes ont été appréhendés pour avoir évoqué des sujets sensibles. Le gouvernement a renforcé les systèmes de blocage, de filtrage et de surveillance de l’information.
Le gouvernement réprime les pratiques religieuses ou spirituelles en dehors des circuits officiels. Des milliers de fidèles ont été arrêtés en 2006, beaucoup ont été maltraités, voire torturés en détention.
La population ouïghoure, est en grande partie privée de ses droits humains, notamment de la liberté de religion et du droit à l’éducation.
La population tibétaine voit ses droits à la liberté de religion, d’expression et d’association sévèrement restreints. Elle se heurte par ailleurs à des discriminations dans le domaine de l’emploi.
D’après le rapport 2007 d’Amnesty International
www.amnesty.org/fr/region/asia-and-pacific/east-asia/chine
LES CLASSES SOCIALES AUJOURD’HUI
Une bourgeoisie s’est constituée grâce au contrôle de l’appareil d’État par le parti. L’accumulation de capitaux privés provient en effet en grande partie du pillage des actifs publics lors des privatisations, de détournements de fonds ou de la corruption.
Un grand nombre de cadres politiques se sont reconvertis dans le business. Réciproquement, des entrepreneurs privés sont cooptés dans le parti, et on leur demande d’y prendre des responsabilités. Même si les dirigeants des grandes entreprises privatisées ne sont plus payés par l’État, ils sont toujours désignés par le gouvernement local, ou pour les entreprises les plus importantes par le gouvernement central. On trouve donc souvent parmi eux des parents de hauts responsables politiques.
Un renouvellement partiel du personnel dirigeant s’opère simultanément à tous les niveaux grâce à l’arrivée d’une génération de jeunes diplômés qui prennent pied dans les administrations et les entreprises.
Le type de cours dispensés aux cadres du parti et du gouvernement est révélateur. [22]. On y étudie les mesures à prendre pour que le PC ne finisse pas comme ses homologues roumains ou soviétiques, ou encore les moyens de transformer le PC en parti social-démocrate ou en parti libéral.
La « classe moyenne » [23] s’est considérablement renforcée à la faveur du développement économique et représenterait environ 15 % de la population active. On trouve parmi elle les meilleurs soutiens du régime. Elle regroupe une partie de l’intelligentsia et la partie la plus qualifiée du salariat. On peut y ajouter une partie des fonctionnaires d’État travaillant dans les administrations, le parti, les syndicats et autres organismes officiels.
Les salariés de ce qu’il reste du secteur public représenteraient aujourd’hui moins de 20 % de la population active. Depuis 1993, autour de 40 % des emplois ont été supprimés dans ce secteur.
Une partie des anciens salariés a été mise à la retraite : 45 ans (voire 40 ans) pour les femmes, et 50 ans pour les hommes. D’autres ont été déclarés dans un premier temps sans affectation (xiagang) et ont continué à percevoir une partie de leur salaire. Ils ont été ensuite licenciés et ont alors perdu cette rémunération, ainsi que les prestations que leur procurait leur ancienne unité de travail : logement, soins de santé, éducation des enfants, retraite, etc.
Le même sort s’abat aujourd’hui sur des secteurs pour l’instant relativement épargnés comme les chemins de fer, les compagnies aériennes ou les banques. Ceux que le régime présentait comme « la classe dirigeante » sont devenus des parias survivant grâce à des petits boulots. [24]
Depuis une quinzaine d’années une nouvelle fraction de la classe ouvrière a vu le jour : elle constituerait maintenant environ 15 % de la population active. Ce sont des paysans ayant fui illégalement leur village. [25] Comme la plupart des chinois, ils/elles n’ont normalement pas le droit de travailler et de résider en dehors de leur lieu d’origine. Ces citoyens de seconde zone constituent pour cette raison une véritable aubaine pour les capitalistes chinois et étrangers. N’ayant pas le statut de résident, ils/elles n’ont normalement pas droit au système de santé, de retraite, de logement. Ce n’est que depuis 2001 que leurs enfants commencent à pouvoir être scolarisés, et que l’obtention de permis de résidence a été assouplie. Mais le système du hukou n’a pas pour autant disparu : « La présence en ville des nouveaux migrants est tolérée mais non légalisée. Rares sont les migrants qui ont pu obtenir un permis de résidence ». [26]
Une partie travaille dans des petites entreprises installées en milieu rural [27], ainsi que dans les secteurs dangereux et insalubres comme le bâtiment, les travaux publics ou les mines. On les trouve également dans l’hôtellerie, la restauration, le gardiennage, le commerce ou le traitement des déchets. C’est cette population qui édifie le Beijing (Pékin) des Jeux olympiques de 2008.
Une autre partie peuple les entreprises côtières tournées vers l’exportation [28], Il s’agit majoritairement de jeunes femmes et parfois d’enfants de moins de 16 ans. Ils/elles peuvent travailler jusqu’à 15 heures par jour, et 7 jours sur 7. Recevant des salaires dérisoires, ils/elles n’ont en général pas d’autre solution que d’habiter dans les dortoirs de l’entreprise placés sous la surveillance de vigiles. Ils/elles doivent souvent subir des coups et des menaces, et le droit de cuissage est réapparu. Les accidents du travail et les maladies professionnelles sont fréquents. Quant aux salaires, ils sont souvent payés avec retard.
Cet afflux permanent de migrant(e)s s’explique par la misère des paysans qui représentent plus de la moitié de la population totale. À partir de 1978, lors du début des réformes, la situation de la paysannerie s’était pourtant considérablement améliorée suite au retour à l’exploitation familiale de la terre. Mais rapidement, ils ont été victimes d’un véritable racket fiscal. La situation des paysans s’est alors dégradée sensiblement, leur revenu est aujourd’hui entre 3 et 6 fois plus faible que celui des citadins.
La campagne chinoise est pour cette raison le théâtre de nombreux mouvements de résistance : manifestations, pétitions, actions légales, etc. Les heurts violents avec la police et les forces paramilitaires sont plus répandus que dans les zones urbaines, et la répression plus marquée.
LES LUTTES DANS LES ENTREPRISES D’ETAT
Dans les années 1990, d’importantes luttes ont eu lieu contre les suppressions d’emplois liées aux privatisations [29] avec manifestations, blocages de routes et de voies ferrées, affrontements avec la police, et parfois même des occupations d’usines avec remise en route de la production.
En 2002, la lutte des salariés des champs pétrolifères a été le mouvement contre les suppressions d’emplois le plus important que la Chine ait connu. Une manifestation a par exemple regroupé plus de 50 000 participants. L’échec de ce conflit a été vécu comme une défaite majeure.
Mais une nouvelle phase de lutte semble se dessiner. Suite à l’entrée de la Chine dans l’OMC (Organisation mondiale du commerce) en 2001, une nouvelle vague de suppressions d’emplois concerne maintenant des secteurs jusque-là épargnés comme les chemins de fer, les transports aériens et les banques. Depuis l’an 2000, la Banque commerciale et industrielle de Chine a par exemple viré 110 000 salariés sur 400 000.
LE DÉVELOPPEMENT DES LUTTES CHEZ LES TRAVAILLEURS MIGRANTS
Il y a encore peu de temps, la répression patronale et étatique parvenait en général à empêcher les salariés migrants de lutter. Aujourd’hui, c’est précisément l’importance de ces mesures répressives et la surexploitation qui conduit à des grèves souvent violentes et parfois victorieuses.
La plupart de ces luttes explosent en général entreprise par entreprise, sans avoir été préparées. Et une fois la grève passée, aucune forme d’organisation ne subsiste, soit à cause de la répression, soit à cause de la fragmentation des salariés, soit par un mélange des deux. La solidarité internationale avec les salariés de ces entreprises est plus indispensable que jamais, à commencer avec ceux qui travaillent directement ou indirectement pour les principales multinationales de la planète.
Autres articles contenus dans ce dossier mais publiés indépendamment
Au Loong-Yu, Nan Shan et Zhang Ping : Syndicats et fédération des femmes en Chine
Yang Lian : Les raisons de l’exode rural
Au Loong-Yu , Nan Shan et Zhang Ping : Un apartheid géographique et social : l’histoire du « hukou », ou permis de résidence en Chine
Au Loong-yu, Zhang Ping et Lam Chi-Leung : Luttes ouvrières en Chine
Han Dongfang : De l’émission Labour Express au China Labour Bulletin
Au Loong-Yu : Naissance et combat de Globalization Monitor à Hongkong
Cai Chongguo : Lycée, village, usine, université et de la Chine à Paris
BIBLIOGRAPHIE
Jean Chesnaux (1999) : Carnets de Chine. Éditions de La quinzaine Littéraire.
Zhuang Han (2001) : Le nouveau système de sécurité sociale. Chronique internationale de l’IRES n°69
_www.ires-fr.org/files/publications/chronique%20internationale/c69/chap2.pdf
Cai Chongguo (2005) : L’envers de la puissance. En clair Mango - 9 euros - 176 pages. Ce petit livre, clair et militant, est incontournable. Quelques mises à jour nous ont été signalées en septembre 2007 par l’auteur lors d’un entretien dont la transcription figure dans ce numéro.
Cai Chongguo et Pierre Concialdi (2006) : Après la dernière session de l’Assemblée populaire nationale : quels changements ? Chronique internationale de l’IRES n°100
www.ires-fr.org/files/publications/chronique%20internationale/c100/1c100.pdf
Cai Chongguo et Pierre Concialdi (2006) : Les syndicats chinois entre impuissance et immobilisme. Chronique internationale de l’IRES n° 102.
www.ires-fr.org/files/publications/chronique%20internationale/c102/c1027.pdf
Pierre Rousset (2006) : La troisième mort de Mao.
www.europe-solidaire.org/spip.php?article3309
Jean-Louis Rocca (2006) : La condition chinoise, la mise au travail capitaliste à l’âge des réformes (1978-2004). L’auteur est un chercheur français qui enseigne la sociologie dans une université de Pékin. - Karthala - 26 euros - 327 pages.
Sanjuan, Allès, Cabestan, Citoleux (2006) : Dictionnaire de la Chine contemporaine. Armand Colin - 31 euros -
Marie-Claire Bergère (2007) : Capitalismes et capitalistes en Chine, des origines à nos jours. Ce livre de 460 pages édité chez Perrin (21 euros) est écrit par une spécialiste de la Chine où elle a souvent séjourné. voir
_ www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3328,36-303818,0.html
Des documents, parfois audiovisuels, sont disponibles sur les sites suivants :
www.cefc.com.hk/fr (notamment les articles de la revue Perspectives chinoises).
www.ceri-sciences-po.org www.canalu.fr
www.amnesty.org/fr www.ldh-france.org
www.china-labour.org.hk (en anglais et en chinois)
www.globalmon.org.hk (en anglais et en chinois)
www.europe-solidaire.org (en français et en anglais)