New Delhi, correspondance
Le premier ministre indien, Manmohan Singh, a convoqué, lundi 17 août, l’ensemble des chefs de gouvernement régionaux pour une réunion de crise sur la sécheresse qui frappe le pays. Le département météorologique indien a indiqué, le 13 août, que les précipitations, étaient inférieures de 29 % à la normale saisonnière. Sur les 626 districts que compte l’Inde, 177 sont touchés par une sécheresse, qui pourrait être la plus importante de ces vingt dernières années si les précipitations n’augmentent dans les prochaines semaines. Le pays reçoit 90 % de ses pluies lors de la mousson, qui s’étale de juin à septembre.
La chaîne de télévision CNN-IBN rapporte que, dans l’Etat du Bihar, des paysans armés de fusils protègent leurs sources d’irrigation et surveillent les canaux pour empêcher que leurs cours ne soient détournés vers d’autres exploitations. Dans le district de Bundelkhand, l’un des plus pauvres du pays, situé dans l’Uttar Pradesh, des familles entières de paysans ont commencé à quitter leurs terres pour rejoindre New Delhi.
Avec des canaux quasiment à sec, les agriculteurs ont massivement recours à l’eau des nappes phréatiques. Mais l’usage des pompes à eau, réservé aux plus aisés, s’avère trop coûteux dans certains cas, la vente de maigres récoltes ne permettant pas de couvrir les dépenses en kérosène ou en diesel. Le ministre indien de l’agriculture, Sharad Pawar, a laissé entendre que le gouvernement subventionnerait les tarifs de l’essence, pour « sauver les plantations existantes ».
Neuf Etats sont affectés par la sécheresse. Le Bihar, parmi les plus touchés, a demandé 3,3 milliards d’euros d’aide au gouvernement pour faire face. Un comité national de gestion de crise, dirigé par le ministre de l’économie Pranab Mukherjee et comprenant dix de ses collègues, a été mis sur pied.
Le premier ministre a promis d’accorder un délai supplémentaire aux agriculteurs qui doivent rembourser des emprunts contractés auprès d’établissements publics et de contribuer à une partie de la charge de leurs dettes. Mais les paysans sont encore nombreux à emprunter auprès d’usuriers peu scrupuleux et l’absence de récolte peut conduire à des drames. Plusieurs cas de suicides de paysans ruinés et endettés ont déjà été recensés dans l’Andhra Pradesh, au sud du pays, depuis le début de la sécheresse.
Même si les mesures d’urgence sont nécessaires, de nombreux analystes plaident pour la mise en œuvre de réformes structurelles. Car les agriculteurs ne bénéficieront que d’une partie des milliards de roupies dépensés pour leur venir en aide. Dans un livre au titre évocateur (Tout le monde aime une bonne sécheresse), publié en 1996, le journaliste Palagummi Sainath a montré comment les programmes d’aide aux victimes de la sécheresse sont minés par la corruption.
« Le comité de gestion de crise doit résoudre les problèmes immédiats, mais aussi concevoir un plan à long terme qui permette de faire face aux défis posés par la sécheresse », explique Monkombu Sambasivan Swaminathan, directeur de la commission nationale des fermiers. Cet ingénieur agronome préconise la culture de patates douces ou de variétés de maïs moins gourmandes en eau, ainsi que la construction de bassins dans chaque village, pour récolter une eau de pluie d’autant plus précieuse que les nappes phréatiques, surexploitées, sont menacées d’épuisement.
La sécheresse renforce les difficultés d’un secteur agricole déjà en crise. Sa croissance - de 4,9 % lors de l’année fiscale 2007-2008 - est retombée à 1,6 % en 2008-2009. Même s’il ne contribue plus qu’à hauteur de 17 % au produit national brut indien, contre 55 % en 1950, ce secteur continue de faire vivre 60 % de la population.
Le ministre de l’agriculture a demandé aux Etats d’engager sans attendre des travaux d’infrastructures, comme la construction de réservoirs d’eau ou de réseaux d’irrigation, afin de donner du travail aux ouvriers agricoles. Le plan de garantie de l’emploi rural, financé par le gouvernement, assure un minimum de cent jours de travail aux habitants des campagnes.
Avec 51 millions de tonnes de réserves de blé et de riz, les autorités indiennes ne craignent pas de pénurie alimentaire. Le gouvernement envisage cependant d’interdire les exportations de blé et de riz non basmati. Le système de distribution public propose déjà des denrées alimentaires de base, à prix réduits, aux habitants qui vivent sous le seuil de pauvreté. Mais le programme, gangrené par la corruption, n’assure pas une alimentation suffisante à ceux qui en ont le plus besoin. Les produits sont revendus au marché noir, et des centaines d’Indiens continuent de mourir de faim chaque année.
La situation pourrait s’aggraver si les prix des denrées alimentaires continuaient d’augmenter, après une hausse de plus de 10 % enregistrée depuis juin 2008. Les prix des pommes de terre, des lentilles et du sucre ont même augmenté de plus de 30 % depuis juin 2009. « Tous les efforts seront faits pour contrôler la hausse des prix des céréales, des légumes et autres produits de consommation courante », a assuré le premier ministre.
Julien Bouissou
En Asie, « il faut faire porter l’effort sur l’irrigation et améliorer sa précision »
Le doublement attendu, d’ici à 2050, de sa demande alimentaire, place l’Asie devant un redoutable défi. Faute de pouvoir étendre ses surfaces cultivées, l’amélioration de l’irrigation est le principal moyen d’y répondre. C’est ce que conclut un rapport publié par l’Institut international de gestion de l’eau (IWMI), mardi 18 août, à l’occasion de la Semaine mondiale de l’eau, qui se tient actuellement à Stockholm. Aditi Mukherji, coauteure du rapport et spécialiste de la question de l’eau, en explique les grandes lignes.
Hervé Kempf : Quelle est l’ampleur du défi que l’agriculture asiatique doit relever d’ici à 2050 ?
Aditi Mukherji : La population devrait augmenter de 1,5 milliard en Asie d’ici à 2050, passant de 3,5 à 5 milliards d’habitants. Il faudra fournir assez de nourriture à cette population, mais l’Asie n’a plus de terres disponibles pour étendre ses cultures. Et il n’y aura pas plus d’eau disponible qu’aujourd’hui. Le défi est de produire plus de nourriture avec autant d’eau et de superficie, et donc d’augmenter la productivité de l’agriculture.
Quelles sont les solutions ?
On ne peut pas beaucoup compter sur l’agriculture pluviale pour produire davantage de nourriture. Et importer des aliments n’est pas une solution acceptable politiquement. Il faut donc faire porter l’effort sur l’irrigation. L’Asie a les plus grands systèmes d’irrigation au monde. Ils ont été conçus dans les années 1950 et 1960. Ils étaient une composante essentielle de la révolution verte. Mais ils n’ont pas évolué depuis les années 1980, et n’ont pas été bien entretenus.
Pourquoi ?
Ils étaient conçus dans le but de stimuler la production de céréales, et les gestionnaires ont gardé la maîtrise du débit d’eau. Mais le prix des céréales a chuté et, de plus en plus, les paysans ont cultivé des plantes procurant un meilleur revenu, des légumes par exemple. Mais ces cultures requièrent une autre gestion de l’eau, et les paysans ont investi dans des pompes. On a donc maintenant un système d’irrigation qui n’est pas utilisé à son plein potentiel.
La situation est-elle identique dans toute l’Asie ?
Pas tout à fait. En Asie centrale, les experts en irrigation, qui étaient surtout russes, sont repartis en Russie. En Inde et en Chine, les systèmes ont été beaucoup mieux maintenus par l’Etat.
Comment rendre l’irrigation plus productive ?
Il faut améliorer sa précision, en développant les méthodes de goutte-à-goutte et en rendant les lâchers d’eau beaucoup plus flexibles. Il est nécessaire de changer l’état d’esprit des responsables, pour qu’ils pensent davantage aux besoins des utilisateurs. Il faut aussi accompagner l’innovation paysanne : les systèmes d’irrigation ne fonctionnent pas bien, et pourtant la production agricole continue à croître. L’explication de ce paradoxe, comme l’a montré notre recherche, c’est que les paysans innovent. Ils adaptent leur mode de culture aux contraintes hydriques, et ont investi dans leurs propres systèmes, notamment dans les pompes. Il y a eu ainsi une énorme augmentation de l’irrigation par l’eau tirée des nappes phréatiques dans toute l’Asie. On peut parler d’une révolution silencieuse.
Mais ils ont aussi créé des mares, pour avoir de l’eau disponible, ou multiplié les dispositifs de recueil des précipitations pendant la saison des pluies. Il ne faut pas s’opposer à ce que font les paysans, mais les aider à s’améliorer.
Mais n’y a-t-il pas surconsommation de l’eau souterraine ?
Si l’Etat ne peut pas leur apporter de l’eau au moment nécessaire, les paysans n’ont pas d’autre ressource que de pomper l’eau. Ce qu’il faut, c’est améliorer les procédés de recharge des nappes d’eau souterraines.
Les gouvernements sont-ils assez attentifs à ces questions ?
Oui, depuis la crise alimentaire de 2008. Il y a une prise de conscience accrue que l’agriculture a été négligée.
Le rôle du changement climatique ?
Il va accroître la variabilité et l’imprévisibilité des précipitations. Les agriculteurs devront s’y adapter.
Propos recueillis par Hervé Kempf
Sur le Web
Le rapport « Revitalizing Asia’s irrigation » sur : www.iwmi.cgiar.org