La victoire militaire en mai du gouvernement de Colombo, après plus de trente ans de conflit, contre la rébellion séparatiste tamoule, hindouiste, devait amorcer un processus de réconciliation nationale au Sri Lanka, pays peuplé à 75 % de Cinghalais bouddhistes. Après des combats à l’arme lourde, dénoncés par la communauté internationale et qui ont fait, selon l’ONU, plusieurs milliers de victimes civiles, le président Mahinda Rajapakse avait promis de privilégier le dialogue avec la minorité tamoule en respectant ses droits et sa culture.
Trois mois plus tard, on en est loin. Les camps de Vavuniya, au nord du pays, dans lesquels les militaires ont enfermé près de 280 000 déplacés tamouls, n’ont toujours pas desserré leur étau. L’armée y opère une très sévère épuration et ajoute la répression à une situation humanitaire très dégradée. « Les militaires limitent la liberté de mouvement des ONG par des contrôles administratifs tatillons, les récentes inondations ont transformé les camps en cloaques, et des révoltes contre les conditions de vie ont été réprimées par les soldats », décrit un humanitaire en poste sur place. Dans ce petit pays de 21 millions d’habitants, la traque sans fin des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE), pourtant anéantis, semble désormais résumer la politique d’un régime militarisé et de plus en plus autocratique.
La communauté internationale n’avait jamais fait mystère, par le passé, de ses réserves à l’égard du LTTE et de ses dérives sectaires et terroristes. Néanmoins, elle estime désormais, de façon quasi unanime, que si le Sri Lanka « a su gagner une guerre, il doit aussi gagner la paix ». Un discours peu audible sur place. Fin avril, lors de leur passage à Colombo, les ministres des affaires étrangères britannique et français, David Miliband et Bernard Kouchner, au nom de l’Union européenne, s’étaient vu promettre un accès « ouvert » aux camps de réfugiés. En vain. Les représentants de l’ONU se sont également succédé sans plus de succès. Le secrétaire général de l’organisation, Ban Ki-moon, s’est même vu reprocher par la Norvège d’être un « observateur passif » dont « la voix morale et l’autorité ont été absentes ».
Fort de sa victoire militaire, Colombo n’écoute pas plus l’Occident que son puissant voisin, l’Inde, dont la position vis-à-vis des Tigres a évolué. L’actuelle coalition au pouvoir à New Delhi comprend en effet le parti régional du sud de l’Inde, le Dravida Munnetra Kajagam (DMK), principale formation du Tamil Nadu, peuplé par une forte communauté tamoule acquise aux Tigres. Soucieux de préserver l’équilibre de sa coalition, le Parti du Congrès, au pouvoir en Inde, avait indiqué en 2008 qu’il « ne tolérerait aucune victime civile ». Les entorses à cet engagement n’ont pourtant donné lieu à aucune réaction de l’Inde.
Pour sortir de leur isolement, les dirigeants sri-lankais se sont rapprochés de l’Iran, de la Chine et du Venezuela. De même, ils ont renforcé leurs liens avec la Malaisie, qui vient de leur livrer le nouveau chef des Tigres, Selvarasa Pathmanathan, successeur de Velupillai Prabhakaran, chef historique des Tigres tué dans les combats. Sourd aux pressions extérieures, le régime de Colombo considère avoir rendez-vous avec l’histoire et avoir réussi là tous ses prédécesseurs ont échoué.
Elu en 2005, le président Rajapakse avait promis de libérer le nord et l’est du pays de l’emprise du LTTE, en faisant une campagne nationaliste très dure. Une grande partie des 70 000 victimes de cette guerre sont tombées depuis la fin 2005. Le président entendait régler le « problème tamoul » en mettant un terme à la politique d’alternance, pratiquée par les gouvernements précédents, entre offensives militaires et dialogue avec le LTTE, pour trouver une issue politique aux revendications des Tigres. M. Rajapakse avait assuré, à plusieurs reprises, que sa stratégie purement militaire se doublait néanmoins d’un volet démocratique.
Les élections locales organisées, début août, dans la région libérée de l’emprise des Tigres au nord du pays ont vu les alliés politiques des Tamouls l’emporter dans la ville de Vavuniya, mais le parti du président est arrivé largement en tête dans le reste de cette zone. Selon les ONG et l’ONU, la sincérité de ce scrutin a été entachée par une participation ne dépassant pas les 30 % en moyenne, et les opposants au parti du président ont assuré avoir été l’objet de menaces et avoir été privés de campagne. Colombo avait interdit aux journalistes de suivre ces élections.
« Le régime veut s’appuyer sur des leaders tamouls pro-Colombo et faire régner la peur via des troupes paramilitaires », analyse un responsable local d’une organisation internationale pour qui « le pays est dirigé par la famille Rajapakse ». Le ministre de la défense, Gotabhaya Rajapakse, frère du président, a confirmé début août que les effectifs de l’armée seraient multipliés par trois afin, selon lui, de « protéger le pays ». En réponse aux critiques internationales face à cette militarisation, il répond : « Les pays occidentaux sont jaloux parce qu’ils n’ont pas vaincu le terrorisme comme nous l’avons fait. »