L’élection au Parlement européen du dirigeant du Parti socialiste d’Irlande, Joe Higgins, témoigne de l’importance du « non de gauche » lors du référendum qui a rejeté le Traité de Lisbonne le 12 juin 2008. Avec 50 510 suffrages de première préférence (12,4 % des suffrages exprimés) dans la circonscription de Dublin, il s’agit d’une percée électorale significative, rendue possible aussi du fait que l’autre regroupement important de la gauche anticapitaliste irlandaise, People before profit alliance (PBPA, Alliance « Peuple avant le profit »), n’a pas présenté de candidature concurrentielle aux élections européennes.
Lors des élections locales qui ont eu lieu en même temps, le Parti socialiste d’Irlande a également réussi à faire élire six conseillers, obtenant en moyenne dans les circonscriptions où il se présentait plus de 13 % des suffrages préférentiels en moyenne (dont plus de 22 % à Swords, 18 % à Mulhuddart, 28 % à Castleknock et 26,5 % à Cork North Central).
D’autres organisations anticapitalistes qui avaient mené la campagne contre le Traité de Lisbonne ont également obtenu des résultats significatifs. Le PBPA a ainsi réussi à faire élire cinq conseillers municipaux à Dún Laoghaire/Rathdown, Dublin-Sud et Dublin-ville (obtenant 22,8 % à Dún Laoghaire). Deux conseillers de comtés ont été élus pour le Groupe d’action des chômeurs et précaires (Tipperary Workers and Unemployed Action Group) qui a également gagné un siège au conseil municipal de Carrick-on-Suir et cinq sièges à Clonmel borough. Des conseillers de l’Independent left (Gauche indépendante) et du Workers Party (Parti ouvrier) ont été également élus à Dublin, à Waterford et à Cork (1). Il s’agit d’une importante poussée de la gauche radicale en Irlande, qui pourra peser lors du prochain référendum sur le Traité de Lisbonne annoncé par le gouvernement pour début octobre 2009.
A l’issue de l’annonce de son élection, Joe Higgins a répondu aux questions des journalistes. Nous reproduisons ci-dessous l’enregistrement de cette conférence de presse improvisée. (JM)
Joe Higgins : C’est un coup important porté par les gens ordinaires de Dublin aux politiques sauvages du gouvernement de Fianna Fàil (2) et des Verts, qui fait payer la crise aux travailleurs et aux chômeurs. Une crise causée par les banquiers, les promoteurs et les spéculateurs et facilitée par Fianna Fàil. Les travailleurs n’ont pas créé cette crise et ils ne doivent pas en payer le prix.
Allez vous apprécier ce nouvel emploi ?
Joe Higgins : Nous sommes toujours honorés de représenter les gens ordinaires, les chômeurs, les retraités de Dublin et de ce pays, quel que soit le cadre dans lequel on nous met. Je ferai au parlement européen ce que j’ai déjà fait au Dáil : être la voix des gens ordinaires en opposition aux politiques néolibérales du grand capital — en particulier en opposition aux privatisations qui ouvrent la voie aux spéculateurs et dont le coût est très élevé pour les jeunes de ce pays — et mener campagne pour une alternative, politique et économique, en faveur des gens ordinaires. Et non pas une politique pour les profits d’une petite élite financière, qui joue à la Bourse.
Le message qui vient de cette élection, le message envoyé par les gens de ce pays, c’est qu’ils sont non seulement opposés à ce que fait le gouvernement du Fianna Fàil et des Verts, c’est qu’ils cherchent une alternative. Il y a là une douche froide pour les politiciens irlandais : une alternative plus radicale à l’ordre du jour. Nous devons remplir le vide politique à gauche, car il faut une véritable opposition. Le Fine Gael (2) ferait la même politique de casse du niveau de vie que Fianna Fàil. D’ailleurs la même question se pose pour le Parti travailliste (Labour Party) : que ferait-il s’il devait gouverner avec le Fine Gael ? Ferait-il comme dans les années 1990, avec la coalition Gareth/Fitzgerald, ou bien comme Tony Blair et Gordon Brown, c’est-à-dire garantirait-il encore la politique du marché et du capital. On a donc besoin d’un nouveau parti de gauche pour une vraie représentation des gens ordinaires et des travailleurs.
Êtes vous prêts à secouer le parlement européen comme vous l’avez fait au parlement irlandais ?
Joe Higgins : On y va avec une alternative claire qui est réellement nécessaire en Europe. Une alternative parce que l’Union européenne dominée par droite veut faire payer la crise du système par les travailleurs. Nous nous efforcerons donc de développer le maximum de liens avec les travailleurs irlandais et européens ainsi qu’avec leurs organisations.
Nous allons en finir avec les non-sens anti-européens : nous sommes du côté des travailleurs d’Europe, nous sommes pour établir le maximum de liens de solidarité entre eux ; c’est notre alternative à une Europe dominée par les capitalistes, les marchands d’armes, les instituions financières et les businessmen.
Je pense que ce message sera bien accueilli surtout par tous ceux qui sont actifs dans le mouvement ouvrier.
Après avoir perdu votre siège au parlement comment l’avez vous ressenti personnellement ?
Joe Higgins : Je ne prends jamais ces choses personnellement. Nous remercions tous ceux qui nous ont honoré par leur soutien sans faille. Ma responsabilité est d’être une voix pour les travailleurs et les chômeurs et de mettre en avant une alternative démocratique et socialiste à la politique désastreuse de ce gouvernement. Il faut le dire : cette politique va échouer. Celle qui consiste à attaquer le niveau de vie des travailleurs, qui tout simplement les empêche d’acheter ce dont ils ont besoin, conduira à un désastre, elle va en mettre des milliers au chômage.
Considérez vous que le vote pour votre candidature est un vote protestataire ?
A cause de la clarté de l’alternative que nous représentons, ce vote est extrêmement significatif, car les gens qui ont voté pour nous connaissaient ce que j’avais fait comme député du Socialist Party au Parlement. Nous n’avions donné aucun soutien aux politiques qui n’étaient que dans le seul intérêt des spéculateurs et autres promoteurs immobiliers… Combien de fois ai-je dit à Bertie Ahern que cette politique est catastrophique. Beaucoup de gens nous ont dit cela pendant la campagne et, quand il y a eu le krach boursier, tout cela a résonné dans les têtes de milliers de travailleurs et c’est pourquoi ils nous ont apporté leur soutien.
Cela va être un grand changement de style de vie ?
Pas vraiment, en fait c’est la continuité de ce que je fais depuis des décennies.
Allez-vous garder la totalité de votre salaire de parlementaire européen ?
Notre politique sera la même que celle que nous avons menée au Parlement irlandais. Je vivrai avec l’équivalent du salaire moyen d’un ouvrier qualifié, plus les dépenses légitimes de transport. Et nous rendrons publics nos dépenses et revenus comme il se doit.
Beaucoup de personnes ont dit des choses très négatives sur votre élection. En particulier au sein du Fianna Fàil ils ont insisté sur le fait qu’il y avait besoin de candidats pro-UE pour former un front positif. Qu’ont-ils à craindre ?
En effet, ils ont beaucoup à craindre ! Ce qu’ils veulent dire c’est que mon élection est une mauvaise nouvelle pour l’establishment, pour l’Europe des patrons, celle dominée par l’industrie de l’armement. C’est mauvais pour eux car je suis une voix d’opposition à tout cela. Mais c’est une bonne nouvelle pour les travailleurs d’Europe, qui vont enfin avoir un représentant qui mène campagne pour défendre leurs intérêts en tant que réels créateurs des richesses. Et c’est aussi un pas en avant pour la gauche. Il y a déjà deux élus de Dublin au Parlement européen et ils n’ont rien fait pour les travailleurs. ■
Notes
1. Cf. Kevin McLoughlin, Socialist success in euro election : http://socialistworld.net/eng/2009/06/2601.html
2. Fianna Fàil (Parti républicain) est un parti nationaliste de centre-droit, issu d’une scission du Sinn Féin en 1926. Son leader, Bertie Ahern, est actuellement le premier ministre d’un gouvernement de coalition avec les Verts.
3. Fine Gael (littéralement le Clan celte) est un parti de centre-droit, affilié au Parti populaire européen. Il a été fondé en 1933 par la fusion de petits partis de droite hostiles à la politique anti-britannique menée alors par Fianna Fàil. Vainqueur des élections en 1948, le Fine Gael a alors constitué un gouvernement avec les travaillistes, qui a proclamé la République d’Irlande (1949) en quittant le Commonwealth.