New Delhi Correspondant Asie du Sud
Les Pakistanais réagissent avec des sentiments mitigés. Au lendemain du discours de Barack Obama sur l’Afghanistan, prononcé mardi 1er décembre à West Point (Etat de New York), les commentaires au Pakistan oscillaient entre la satisfaction d’être consacré partenaire incontournable et la crainte d’une intensification de la pression américaine. « Notre succès en Afghanistan est inextricablement lié à notre partenariat avec le Pakistan », a dit le président américain.
M. Obama a répété là l’un des « fondamentaux » de sa vision de la guerre en Afghanistan, à savoir que la victoire dépendra de la capacité à neutraliser les sanctuaires talibans établis dans les zones tribales pakistanaises. Ce nouvel accent mis sur la dimension transfrontalière du conflit a donné naissance à la Maison Blanche à la doctrine « Af-Pak » (pour Afghanistan-Pakistan) que d’aucuns - tel l’expert américain David Markey - proposent de transformer désormais en doctrine « Pak-Af » pour mieux redéfinir les priorités.
« Le discours d’Obama veut dire un renforcement de la pression sur le Pakistan, plus d’espions américains sur notre sol, plus de frappes aériennes dans les zones tribales avec le risque que cela comporte de victimes civiles », déclare au Monde Rasul Bakhs Rais, professeur de sciences politiques à la Lahore University of Management Sciences.
De fait, la « pression » américaine s’est accentuée ces derniers mois. La secrétaire d’Etat Hillary Clinton a réitéré les exigences américaines, mercredi, lors de son audition à Washington par le comité des forces armées du Sénat, en qualifiant d’« insuffisantes » les opérations militaires menées depuis le printemps contre les foyers talibans à Swat et au Sud-Waziristan.
Après des années d’attentisme, voire de double jeu, l’armée pakistanaise s’est résolue à engager l’offensive contre le Tehrik-e-taliban Pakistan (TTP). Des succès ont été enregistrés sur le terrain. Mais les Américains s’inquiètent car l’armée ne vise que certains groupes de talibans (ceux qui s’en prennent à l’Etat pakistanais), tout en épargnant d’autres (ceux qui se contentent d’attaquer l’OTAN en Afghanistan).
Washington voudrait qu’Islamabad cesse d’opérer un tel tri et croise enfin le fer avec l’état-major des talibans afghans installé à Quetta (Balouchistan) et avec le réseau Haqqani (du nom du vétéran du djihad antisoviétique Jalaluddin Haqqani), protégé dans le Nord-Waziristan par le groupe de Gul Bahadur qui a signé un accord de paix local avec les autorités pakistanaises. « Nous pensons que tous ces groupes sont liés d’une manière ou d’une autre à Al-Qaida », a insisté Mme Clinton au Sénat. L’impatience des officiels américains est d’autant plus vive qu’ils soupçonnent fortement Ben Laden de toujours se cacher au Pakistan, ainsi que vient de le déclarer le directeur de la CIA, Leon Panetta. Les dirigeants d’Islamabad démentent.
Là est toute la difficulté du pari pakistanais de M. Obama : le manque de confiance entre les deux capitales. Les Pakistanais gardent un souvenir amer de la fin des années 1980, quand les Américains ont brutalement abandonné la région une fois la victoire acquise contre l’Armée rouge en Afghanistan, précipitant le chaos de la guerre civile à Kaboul.
Ils redoutent la réédition du même scénario et craignent ouvertement que l’Inde rivale n’en profite pour avancer ses pions sur le théâtre afghan. « Les Pakistanais vivent dans l’obsession d’être pris en tenaille entre l’Inde et un Afghanistan pro-indien », rappelle un diplomate en poste à Islamabad. Cette hantise n’est pas étrangère aux manœuvres occultes des services secrets pakistanais, gardant dans leur jeu des groupes talibans afin de rebâtir leur influence en Afghanistan, très affaiblie après la chute du régime taliban de Kaboul à la fin de l’année 2001. C’est précisément pour dissiper ces craintes d’Islamabad que M. Obama a proposé au Pakistan une coopération vouée à s’inscrire sur le long terme. Le Congrès américain a récemment adopté la loi dite « Kerry-Lugar », qui débloque 7,5 milliards de dollars d’aide non militaire sur cinq ans (soit un triplement). Le message de Washington est clair : le Pakistan ne sera pas abandonné et l’engagement civil américain en Afghanistan survivra au retrait des troupes américaines à partir de l’été 2011. Il n’y aura pas à redouter de vide stratégique.
Mais ces assurances ne suffisent pas. Le paradoxe est que l’anti-américanisme est devenu si virulent au Pakistan que la coopération offerte par Washington se heurte à un profond scepticisme, voire une franche hostilité, au sein de l’opinion publique. La loi Lugar-Kerry a ainsi déchaîné une tempête au motif qu’elle impose des conditions au Pakistan, en particulier dans l’efficacité de la lutte antiterroriste et dans la surveillance des installations nucléaires.
La seule expression d’inquiétudes sur la sécurité des sites nucléaires exaspère l’opinion publique pakistanaise, qui soupçonne Washington de chercher par ce biais à mettre le pays sous tutelle. Lorsqu’il a agité, à West Point, la menace d’Al-Qaida se saisissant de l’arme nucléaire pakistanaise, M. Obama a fait grimacer à Islamabad. « Cette référence au nucléaire pakistanais n’était absolument pas nécessaire, s’est indigné, jeudi, un éditorialiste du quotidien anglophone The News. C’est comme verser du sel sur des plaies non cicatrisées. »
Compte tenu de la vivacité du nationalisme pakistanais, comment Washington parviendra-t-il à ses fins ? Mosharraf Zaidi, un chroniqueur de The News, est franchement sceptique : « Le gouvernement pakistanais prendra l’argent américain, écrit-il jeudi, mais ne fournira pas le service attendu. »
Frédéric Bobin
Deux soldats morts dans un attentat à Islamabad
Deux soldats pakistanais ont été tués et dix autres blessés dans un attentat-suicide, mercredi 2 décembre, à l’entrée d’un complexe de la marine nationale à Islamabad. Près de 2 600 personnes ont été tuées en deux ans et demi au Pakistan dans des attentats perpétrés par les talibans alliés à Al-Qaida. - (AFP.)