À l’approche de son 49e congrès, la direction de la CGT n’a que peu de succès à présenter pour son bilan depuis l’an dernier et cela fait plus que transpirer, tant dans les documents préparatoires que dans les réunions de la Commission exécutive confédérale ou les couloirs du siège de Montreuil.
Et pourtant, pas un regret, pas une critique, à peine une interrogation dans le rapport d’activité ! Cela pourrait déboucher sur un record de votes contre ce rapport. Seuls le filtrage des délégations et la comptabilisation des votes (seuls les rejets exprimés dans un compte rendu sont comptabilisés, toutes les autres voix étant considérées « pour »), pourront camoufler les désaveux qui s’expriment à la base.
De la lourde défaite sur les retraites au calamiteux enchaînement des journées d’action espacées qui a dilapidé le potentiel de mobilisation apparu de janvier à mars, la stratégie confédérale basée sur le syndicalisme rassemblé et la priorité donnée au dialogue social comme principal objectif des mobilisations ont largement contribué à la dégradation du rapport de forces de ces derniers mois. L’organisation et le soutien de la lutte des sans-papiers, à l’initiative d’équipes militantes déterminées mais souvent isolées, sont d’autant plus à saluer que le développement du chômage peut fournir le terreau des pires régressions.
Plus grave encore, l’état de l’organisation reflète le désarroi des équipes combatives et l’incompétence des bureaucrates qui ont pris place dans l’appareil dans les décombres laissés par le stalinisme. Les batailles bureaucratiques sont visibles tant au niveau d’unions départementales que dans la construction de la direction confédérale où Thibault se constitue une garde rapprochée pour conduire les réformes internes et assurer sa succession. Et les vieilles méthodes ne sont pas oubliées : construction de structures parallèles à celles qui ne sont pas dans la ligne, dé-mandatement de militants critiques.
Syndicalisme en berne
L’affaiblissement du mouvement syndical en général et de la CGT en particulier est sensible dès la fin des années 1970. La succession des gouvernements de gauche, trahissant les espoirs des travailleurs avec l’accompagnement complaisant des directions syndicales, a accéléré les processus de désyndicalisation, la déstabilisation politique des équipes militantes et le rejet viscéral de la « politique ». Dans le même temps, la casse du monde du travail avec les restructurations, les externalisations, le développement de la sous-traitance, la précarisation de l’emploi et la répression ont individualisé les statuts et fait reculer les résistances collectives. Au final, un redoutable fossé s’est creusé entre les travailleurs et le syndicalisme.
C’est à ces difficultés que prétend répondre la direction confédérale, à sa manière : dépolitisation de l’action syndicale (version CGT du recentrage initié par la CFDT dans les années 1980), soit un refus d’engager un affrontement global contre la politique du gouvernement légitimé par les élections ; organisation systématique de la démobilisation (régimes spéciaux de retraites, grève à la SNCF, manifestations contre la « crise ») ; abandon de tout mot d’ordre capable d’asseoir des mobilisations ; refus de la coordination voire dénonciation des luttes contre les licenciements et fermetures de sites en raison de luttes trop radicales (Continental, New Fabris) ou sous le faux prétexte d’acceptation de primes, soit un renoncement à la bataille pour le maintien de l’emploi (Conti, Freescale) ; contribution à une réforme de la représentativité qui rend les syndicats plus dépendants de l’État et la modification de l’organisation de la Confé-dération visant à aggraver la main mise des sommets de l’appareil sur les structures de base ; tentative désespérée de se tourner vers les jeunes, peu réceptifs au langage et aux méthodes d’un syndicalisme enlisé dans les compromis.
Face à cette situation, de nombreuses critiques émergent des syndicats, des unions locales, voire de certaines unions départementales. Les luttes contre les licenciements et les fermetures de sites mettent en avant des équipes syndicales qui refusent la stratégie confédérale. Les manifestations du 17 septembre et du 22 octobre ont rendu visibles des revendications, une combativité en rupture avec la direction confédérale.
C’est une partie de ces critiques éparses que la candidature de Jean-Pierre Delannoy, responsable de la métallurgie du Nord-Pas-de-Calais, exprime en leur donnant la possibilité de se faire connaître, tant dans le congrès que plus largement et de façon plus durable.
La méthode de sélection des délégués (jeunes, femmes, ICT [1]), triés sur le volet par l’appareil, en font une masse de manœuvre facilement manipulable dans le congrès par la direction. Mais il reste toujours possible que l’air frais d’une lutte, le refus d’une manœuvre bureaucratique fassent sortir le congrès des rails posés par Thibault.
Camille
Note :
1. Ingénieurs cadres techniciens
* Paru dans Hebdo TEAN n° 33 (03/12/09).
CGT, une situation inédite !
Le 49e Congrès de la CGT qui s’ouvre début décembre à Nantes verra la candidature de Jean-Pierre Delannoy, secrétaire général des métallos du Nord-Pas-de-Calais, contre Bernard Thibault au poste de secrétaire général. Cette candidature est le résultat de mécontentements venant de trois horizons. D’abord les militants qui ne reconnaissent plus « leur » confédé depuis son adaptation politique aux standards de la CES : abandon de la socialisation des moyens de production dans les statuts, refus de donner une consigne de vote contre le Traité constitutionnel européen, disparition des références historiques à la lutte des classes... Ensuite de nombreux militants syndicaux n’ont pas digéré la tactique des journées d’actions sans lendemain du premier semestre et comprennent que la direction confédérale cherche un axe durable avec la CFDT. Enfin, ils ont souvent été choqués que les entreprises menant des luttes acharnées (Conti, Molex, etc.) soient laissées isolées sans tentative d’unification des mobilisations en cours. À travers cette candidature, il s’agit de rassembler les militants CGT au-delà du congrès pour un syndicalisme démocratique, radical et porteur du projet d’en finir avec le capitalisme.
* Paru dans Hebdo TEAN n° 29 (05/11/09).
Rentrée CGT : débats et controverses
A quelques mois de son congrès, la CGT fait sa rentrée, consciente des critiques sur les cause de l’échec du front syndical en juin.
Le 8 septembre, la CGT tenait son meeting de rentrée sous le titre : « Construire une rentrée de luttes ». Si la CGT est au cœur de toutes les interrogations syndicales, c’est évidemment parce qu’elle tient une place stratégique, en particulier dans le front des huit organisations, qui avait suscité l’espoir avant de péricliter en mai-juin. Difficile de dire si le front va se reconstituer, même pour le 7 octobre, date de mobilisation internationale contre le travail précaire. Consciente des difficultés, la CGT semble avoir choisi d’agir sans attendre.
En réponse au besoin exprimé publiquement (New Fabris, Continental, etc.) de rassembler les luttes contre les licenciements, les fédérations de la chimie et de la métallurgie appellent à une manifestation le 17 septembre, devant la Bourse de Paris. Bernard Thibault annonce dans la foulée une « manifestation nationale à Paris » le 22 octobre, « pour l’avenir de l’emploi et des industries ». Sarkozy marche aussitôt sur ses plates-bandes en « reprenant » l’idée CGT d’états généraux de l’industrie avant fin 2009.
Pourquoi des dates d’action CGT ? Même si Bernard Thibault est souvent adepte de la méthode Coué (affirmant un prétendu embarras du pouvoir face au front syndical, alors que Sarkozy joue sur les contradictions stratégiques des uns et des autres), il est impossible de ne pas voir le malaise profond qui traverse la confédération à la veille de son congrès. Et ce n’est pas seulement à Continental que les questions se posent : ce n’est là que la partie ultra-médiatisée de l’iceberg.
Les interrogations sur la stratégie des luttes se sont multipliées. La CGT, elle-même, a demandé à ses structures de donner leur avis, ce qu’elles ont fait dans 30 contributions intéressantes. La synthèse qui en ressort est la nécessité de « ne pas repartir sur le rythme qui a amené à la démobilisation », de « donner de la visibilité à une rentrée offensive », et d’un « chiffrage des revendications ».
Chiffrage ? On n’en voit guère la trace dans les annonces faites pour la manifestation du 22 octobre. Pourquoi la confédération n’a-t-elle pas de revendications salariales chiffrées, en dehors du Smic ? Certaines de ses structures défendent l’exigence de 200 ou 300 euros : ce qui est possible régionalement serait-il impossible à l’échelon confédéral ? Les mêmes questions se posent en ce qui concerne la bataille pour l’emploi.
Le document du congrès confédéral s’efforce de montrer que la « sécurité professionnelle » commencerait à se concrétiser dans des accords que la CGT n’a même pas toujours signés (exemple : le contrat de travail). Mais la confédération fait silence sur l’obtention par les Continental de plusieurs années de maintien de salaire payé par le patron (et pas seulement une « prime »).
Même si la CGT reste un syndicat revendicatif, sa stratégie tend vers une démarche sans objectifs clairs, doublée du refus obstiné de jouer un rôle dans une perspective politique alternative. La CGT reste aussi un syndicat de lutte dans ses « gènes ». Mais parviendra-t-elle à sortir du balancement entre le « rassemblement » du syndicalisme, sans dynamique d’affrontement avec le pouvoir, et la tentation d’agir seule, mais sans en avoir les moyens ? Un vieux débat qui ressurgit.
Dominique Mezzi
* Paru dans Hebdo TEAN n° 21 (10/09/09).