En ces temps jugés difficiles, la IIIe République et ses grandes figures, philosophiques notamment, sont souvent sollicitées par certains de nos contemporains qui pensent pouvoir y trouver des conceptions susceptibles d’aider à la résolution des problèmes.
Démarche classique, légitime et utile que compromettent hélas parfois des approches partielles qui contribuent à faire de ce passé un passé édifiant peuplé de fondateurs prestigieux dont l’étude confine à l’apologie. Tel est le cas d’Alfred Fouillée. Longtemps négligé, il est aujourd’hui réhabilité par Jean-Fabien Spitz, qui le tient pour « le parrain intellectuel de la IIIe République », cependant que Pierre Rosanvallon y voit lui le « grand inspirateur du solidarisme » et « le père de la République sociale ». L’un comme l’autre négligent des pans entiers de l’œuvre vaste et composite de ce philosophe, défenseur enthousiaste de « l’empire colonial » dont « l’énorme extension » fut mise, par lui, au crédit de la IIIe République qui s’affirmait ainsi comme un régime résolu, prévoyant et « sage ».
Rappelons donc quelques-unes des thèses défendues par ce vaillant républicain qui s’appuie sur les sciences de son temps : l’anthropologie physique, la phrénologie et la psychologie individuelle et collective, entre autres. « Il en est de la constitution ethnique pour un peuple comme de la constitution physiologique et cérébrale pour l’individu. Chaque homme naît avec des facultés naturelles plus ou moins grandes (...). De même, si un individu appartient à une race humaine inférieure ou dégénérée (...), la conformation native de son cerveau lui interdira tout développement qui dépasserait certaines limites », soutient-il dans Esquisse psychologique des peuples européens (Félix Alcan, 1903).
Fort de ces observations communes à l’époque, il conclut par cette proposition destinée à résumer la condition et le devenir différentiels des groupes raciaux : seules les races européennes « sont capables du plus haut développement intellectuel et social ». Lumineux et original, n’est-ce pas ? Ailleurs, s’inspirant des théories de Gustave Le Bon, Alfred Fouillée affirme, dans Tempérament et caractère selon les individus, les sexes et les races (1895) qu’en raison de la « loi de régression », les « croisements » entre races très différentes ont pour conséquence de « ramener à la surface les traits inférieurs souvent disparus ». De telles analyses ont contribué à poser les fondements philosophiques et scientifiques de l’Etat impérial républicain qu’il entendait servir. Alfred Fouillée : « Parrain intellectuel de la IIIe République ? » Oui, à condition de ne pas omettre, ou occulter, qu’il le fut aussi pour les questions coloniales et raciales.
UNE « PSEUDO-SCIENCE »
Racisme et sexisme républicains en fait puisque Alfred Fouillée estime aussi que l’homme et la femme, inégaux par nature, sont soumis à « un déterminisme interne (...) qui produit entre le mâle et la femelle la division des fonctions pour la perpétuation de la vie et de l’espèce, par cela même les caractères »primaires« des deux sexes ». Et pour illustrer cette proposition, il ajoute : « La femme, avec sa constitution en prédominance d’épargne, ne pouvait manquer d’être avant tout sensitive, de même que l’homme, avec sa constitution de tendance opposée, est normalement actif. »
Des contemporains ont accueilli ces travaux avec un esprit critique qui tranche avec les réhabilitations hâtives précitées. C’est le cas de Jean Finot dans un livre majeur : Le Préjugé des races, publié en 1906. Bon connaisseur de la psychologie des peuples exposée par Alfred Fouillée, Jean Finot juge que cette « pseudo-science n’est composée que d’une série de phrases stéréotypées, dont les adeptes se servent au gré de leur caprice » en ayant recours à des « concepts » jamais définis comme ceux de « génie », d’« âme » ou encore d’« esprit des peuples ». De là, ces « généralisations stupéfiantes », ces « balivernes » et ces « aberrations » qui font descendre « la psychologie des peuples (...) au niveau des psychologies de roman ». A l’heure où le chef de l’Etat en personne pérore sur la « tolérance » réputée naturelle des « peuples d’Europe », on ne saurait mieux dire.
Olivier Le Cour Grandmaison