Moscou Correspondante
D’un tour de vanne, lundi 14 décembre, les Républiques gazières d’Asie centrale - Turkménistan, Ouzbékistan, Kazakhstan - se sont affranchies de la tutelle russe sur l’exportation de leur « or bleu » avec la mise en service d’un gazoduc qui approvisionnera la Chine.
Jusqu’ici, la Russie avait un quasi-monopole sur les exportations de gaz d’Asie centrale grâce à son réseau de tubes datant de l’URSS. Avec le nouveau gazoduc construit en trois ans par 8 000 ouvriers et financé par la Banque chinoise du développement, la donne a changé.
Le gazoduc part du champ gazier de Saman Depe à l’est du Turkménistan, traverse l’Ouzbékistan et le Kazakhstan pour s’étendre sur 4 500 kilomètres en territoire chinois. Il désenclave les trois Républiques post-soviétiques et leur permet de diversifier leurs portefeuilles d’acheteurs.
Une première pour la Chine
Les options du géant russe Gazprom s’en trouvent réduites. « Le danger pour Gazprom est que si la demande de gaz de l’Europe et celle du marché intérieur russe augmentent brusquement dans les années à venir, la firme ne pourra pas recourir aux réserves d’Asie centrale : celles-ci seront peut-être en Chine », écrit l’analyste Chris Weafer, de la banque russe Uralsib. « L’appétit chinois pour le gaz d’Asie centrale met Gazprom sous pression pour accélérer des projets majeurs comme l’exploitation de la péninsule de Yamal », en Sibérie, ajoute cet expert.
Pour la Russie, le fait que la Chine dispose désormais d’un accès aux considérables réserves turkmènes, et d’un tracé qui mène droit sur la mer Caspienne, n’est pas une bonne nouvelle.
L’entente Chine-Turkménistan a d’ailleurs été scellée sur fond de dispute avec Gazprom. En avril 2009, une explosion sur un gazoduc reliant le Turkménistan à la Russie a jeté un froid entre les deux pays, poussant Achkhabad à chercher des voies d’exportation alternatives.
Le numéro un turkmène a accusé Gazprom d’avoir provoqué l’explosion pour éviter d’acheter les volumes convenus.
Actuellement, en raison de la baisse de la demande mondiale, Gazprom n’a pas besoin du gaz turkmène pour assurer ses fournitures à l’Europe. Le vieux gazoduc Turkménistan-Russie a été réparé, mais il demeure vide.
Le nouveau tube, approvisionnement terrestre, est une première pour la Chine, qui recevait jusque-là l’essentiel du gaz qu’elle consomme sous forme liquéfiée, par tankers. Et pour les trois Etats d’Asie centrale, touchés par la crise économique et en délicatesse avec Gazprom, les investissements chinois sont plus que bienvenus.
Le nouveau gazoduc « n’est pas seulement commercial et économique, il est aussi politique », a souligné le président turkmène Gourbangouly Berdimoukhammedov à son homologue chinois Hu Jintao. Deuxième producteur de l’espace post-soviétique après la Russie, le Turkménistan multiplie les contrats d’exploitation avec des sociétés étrangères.
Le Kazakhstan, l’autre grand fournisseur de gaz et de pétrole de la Caspienne, est lié à la Chine par des contrats d’exploitation pétrolière. Partenaire dans l’énergie, la Chine et le Kazakhstan se disputent le partage des eaux des fleuves frontaliers Tchiorny Irtych et Ili. Les fermiers du Xingjiang, la province chinoise qui jouxte le Kazakhstan, puisent dans ces fleuves pour arroser leurs cultures. Sur le Tchiorny Irtych, les Chinois ont créé un vaste réservoir et contrôlent le débit du fleuve, au grand dam du voisin kazakh.
Marie Jégo