Il faut procéder avec l’actualité comme en photographie : ne pas s’arrêter au gros plan, mais élargir le champ. De ce point de vue, ce qui s’est passé à Copenhague n’est pas aussi catastrophique qu’il y paraît. Le sommet peut être considéré comme un cahot dans une progression difficile mais incontestable sur un long chemin.
Sans remonter à Sven Arrhenius, qui a théorisé l’effet de serre planétaire dès 1896, le point de départ se situe en 1988, quand l’Organisation météorologique mondiale et le programme des Nations unies pour l’environnement créent le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), chargé de mettre en forme et de faire connaître l’inquiétude croissante des scientifiques concernant l’accroissement de l’effet de serre.
Dès 1990, le GIEC publie un rapport qui affirme la forte probabilité d’un réchauffement planétaire à venir et la responsabilité de l’activité humaine dans ce phénomène. S’inscrivant dans un réveil de la préoccupation écologique globale, amorcé en 1986 avec l’accident nucléaire de Tchernobyl, le rapport a un fort impact sur les décideurs et nourrit le Sommet de la Terre, qui se tient à Rio de Janeiro en 1992.
Ce Sommet – où de nombreux chefs d’Etat sont présents – se conclut par plusieurs traités, dont la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC). Celle-ci reconnaît l’importance du changement climatique et pose le principe sur lequel va s’organiser la discussion internationale : tous les pays devront participer « à une action internationale, efficace et appropriée, selon leurs responsabilités communes mais différenciées, leurs capacités respectives et leur situation sociale et économique ».
Autrement dit, elle distingue les pays développés, qui ont émis une grande quantité de gaz à effet de serre depuis la révolution industrielle, des autres.
TRAVAIL DE SAPE
La discussion se poursuit sur cette base et conduit au protocole de Kyoto, signé en 1997. Celui-ci définit le principe d’un engagement contraignant des pays développés : durant une « première période d’engagement » allant jusqu’à 2012, ils devront réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 5 % par rapport à 1990. Ce traité est historique : pour la première fois, on affirme qu’il est nécessaire d’organiser la décroissance d’un paramètre lié à l’activité économique.
Mais le protocole est d’emblée affaibli par les Etats-Unis. Non seulement le texte, signé par le vice-président Al Gore, n’est pas ratifié par le Congrès, mais, à partir de 2001, le nouveau président George W. Bush mène un travail de sape pour le détruire. Selon le président américain, l’accord menace l’économie américaine et dédouane la Chine – perçue comme le nouveau grand rival – de toute contrainte.
La communauté internationale résiste, maintient le protocole à Bonn en juin 2001 et met en place ses modalités de fonctionnement à Marrakech en novembre 2001.
La négociation se poursuit les années suivantes, alors que seule, parmi les pays développés, l’Union européenne engage une réelle politique de réduction des émissions. Le protocole de Kyoto entre en vigueur en 2005.
La question centrale devient alors l’entrée des grands pays du Sud – qu’on n’appelle pas encore « émergents » – dans une logique de réduction des émissions. A Montréal, fin 2005, la Chine et l’Inde acceptent, à mots couverts, d’entrer dans cette logique. Elle va s’imposer d’autant plus que les statistiques commencent à montrer la progression très rapide des émissions des pays asiatiques. Les pays du Sud vont d’ailleurs commencer à mettre en place des politiques de contrôle de leurs émissions.
La pression monte, début 2007, avec la publication du quatrième rapport du GIEC, qui confirme largement les inquiétudes antérieures sur la gravité du changement climatique. L’idée qu’il faut limiter le réchauffement à 2°C si l’on veut éviter des dérives catastrophiques commence à s’imposer. Mais à Bali, en décembre 2007, les émergents répondent au refus par les Etats-Unis de tout engagement par une position symétrique.
COURSE DE VITESSE
La conférence de Poznan, fin 2008, ne parvient pas à avancer sur la question des moyens financiers. Cependant, les Etats-Unis commencent à s’ouvrir, et l’arrivée de Barack Obama, début 2009, fait espérer un progrès rapide. Mais le nouveau président ne veut pas avancer plus vite que son Congrès, qui n’a pas encore adopté la loi sur l’énergie. Celle-ci prévoit une faible réduction des émissions des Etats-Unis, de 4 % en 2020 par rapport à 1990.
Les Etats-Unis arrivent au Danemark, début décembre, sur cette position figée. L’accord de Copenhague entérine cependant, pour la première fois, l’objectif de limiter à 2°C le réchauffement et acte l’acceptation par les pays émergents d’actions de réduction de leurs émissions, à condition que ce soit sur une base volontaire. Les progrès sont certains.
Mais si les nations avancent, péniblement, c’est sans doute moins vite que le changement climatique, qui a commencé à se produire. Une course de vitesse est engagée entre le réchauffement, d’une part, et, de l’autre, une prise de conscience de l’opinion américaine et des autorités chinoises.
Hervé Kempf