L’état d’urgence national a été imposé aux Philippines le 24 février 2006 par décret présidentiel. La mesure est extrêmement grave. A quelques formules près, la Proclamation 1017 de Gloria Macapagal-Arroyo reprend en effet les termes mêmes de la Proclamation 1081 du 21 septembre 1972 instaurant la loi martiale grâce à laquelle Ferdinand Marcos avait inauguré treize ans de dictatures.
La présidence, l’armée et la police se voient doté de pouvoirs discrétionnaires ; les libertés fondamentales sont suspendues ; des rassemblements citoyens ont été dispersés ; la presse est sous menace après que le Daily Tribune, quotidien d’opposition, ait été temporairement fermé ; une première vague d’arrestations a frappé des officiers accusés de sédition ainsi que des dirigeants, militants ou élus d’organisations populaires et de partis de gauche. Les mots « loi martiale » et la suspension du droit d’habeas corpus ne sont pas mentionnés pour limiter l’impact politique du décret et tenter d’éviter l’intervention du Congrès ou de la Cour suprême. Mais cela n’affecte pas la substance de la décision présidentielle.
Le régime est en crise et l’armée traversée de conflits fractionnels ? Certes, mais durant les vingt dernières années, le pouvoir aux Philippines a dû faire face à bien d’autres crises, sans jamais recourir à des mesures d’exception comme c’est actuellement le cas. Rien dans la situation aux Philippines ne justifie aujourd’hui l’imposition d’une loi martiale qui n’avoue pas son nom, si ce n’est la volonté de protéger envers et contre tout une présidence totalement discréditée à la suite d’une succession de scandales. Aux yeux de la population, Gloria Macapagal-Arroyo est notamment convaincue de vaste fraude électorale après la diffusion publique de l’enregistrement de ses conversations téléphoniques avec le président de la Commission électorale
Plutôt que de démissionner (ce qui aurait été la moindre des choses) et d’accepter une issue démocratique à la crise de régime qu’elle a elle-même ouverte, la présidence a décidé de recourir à la répression arbitraire pour faire taire les critiques.
Bien qu’ayant perdu toute légitimité populaire aux Philippines, la présidence bénéficie toujours du soutien de Washington ; elle invoque un « complot » entre des fractions rebelles au sein de l’armée alliées aux Parti communiste et une menace de coup d’Etat pour justifier les mesures d’exception. Elle s’appuie sur la police qui recherche activement les dirigeants (y compris les membres du Congrès) des partis légaux jugés proches du PCP. En fait, l’ensemble des forces progressistes sont concernées par la répression. Ainsi, les manifestations pour le vingtième anniversaire du soulèvement anti-dictatorial de 1986 ont été interdites (quelle symbole !) au nom de l’état d’urgence et des représentants de Laban ng Masas ont été interpellés.
Les forces démocratiques aux Philippines exigent la levée immédiate de l’état d’urgence, la libération des militants incarcérés et en appellent à la solidarité internationale. Elles doivent être entendues.
1. Voir sur le site Internet d’ESSF : Florin T. Hilbay, « Proclamation 1017 and the Demise of Free Speech » : http://www.europe-solidaire.org/article.php3?id_article=1580