Les objectifs du cabinet Hatoyama, premier gouvernement d’alternance après cinquante ans de pouvoir du Parti libéral démocrate (PLD), sont ambitieux. Mais cent jours après sa formation, le 16 septembre, c’est moins l’euphorie qu’une impression de crise de confiance larvée qui prévaut. L’arrivée au pouvoir du Parti démocrate du Japon (PDJ), à la suite des législatives du 30 août, répondait à une volonté de changement exprimée sans détour par les électeurs. Les démocrates étaient porteurs d’espoirs : redonner la primauté aux politiques sur les bureaucrates - et donc briser le « triangle de fer » (collusion entre monde politique, administration et milieux d’affaires) -, construire « une société où chacun a sa place » et rééquilibrer les relations avec les Etats-Unis en mettant fin à toute dépendance.
Une page de l’histoire politique du Japon de l’après-guerre se tournait, suscitant quelques hyperboles interprétatives : Cent quarante et un ans après la restauration de Meiji (1868), qui fit basculer le Japon dans l’ère moderne, s’annonçait une nouvelle « révolution ». En cent jours, le cabinet Hatoyama n’a guère convaincu que le changement était au rendez-vous.
Chute dans les sondages en dessous de la barre des 50 %, flottement au sein de la coalition gouvernementale, tension entre le cabinet et sa majorité, « déplaisir » de Washington pour l’ajournement du déplacement d’une base militaire américaine et promesses non tenues : la « lune de miel » entre le PDJ (centre gauche) et l’opinion touche à sa fin.
Le bilan des trois premiers mois du cabinet Hatoyama suscite des commentaires mitigés de ses partisans. En début de semaine, le premier ministre a dû annoncer qu’il ne pourrait pas tenir deux de ses promesses électorales : abolir la taxe sur les carburants et accorder une déduction d’impôt aux familles ayant des jeunes à charge. Bien qu’il ait maintenu une allocation aux familles ayant des enfants, sa reculade est montée en épingle par ses adversaires, qui stigmatisent les mauvais calculs des démocrates. En taillant dans les dépenses contestables, ceux-ci avaient pensé pouvoir dégager des ressources à affecter à d’autres postes budgétaires. Mais ces coupes sombres ne leur ont rapporté qu’un quart de ce qu’ils espéraient.
Et le cabinet Hatoyama, qui s’était engagé à ne pas augmenter les impôts jusqu’en 2013, doit revoir sa copie. Son taux de soutien s’en ressent : selon un sondage du quotidien Asahi, il est tombé en début de semaine de 62 % à 48 %, soit un recul de 14 points en l’espace d’un mois.
Plusieurs facteurs contribuent à ce déclin. Tout d’abord, le gouvernement doit reconnaître aujourd’hui qu’il n’a pas les moyens de tenir toutes ses promesses. La dette publique est considérable. Le déficit public dépassera les 10 % du produit intérieur brut en 2010 et la dette accumulée voisine 180 % de celui-ci. Colossale, cette dette est cependant détenue à 93 % par des investisseurs japonais et le Japon dispose en outre de l’énorme épargne de sa population. Il reste que, pour la première fois depuis 1946, la Banque centrale devra émettre un montant de bons du Trésor égal, sinon supérieur, aux recettes fiscales pour équilibrer le budget 2010, qui entre en vigueur en avril.
Le principal reproche adressé au premier ministre est un apparent manque d’autorité : près de trois quarts des personnes interrogées par Asahi estiment que M. Hatoyama n’a pas l’étoffe d’un chef de gouvernement. Une affaire de « donations » par sa mère (richissime héritière du fondateur du groupe pneumatique Bridgestone) a en outre entamé son image - bien que la responsabilité de cette violation des dispositions sur les fonds politiques ait été imputée à son seul secrétaire -, comme c’est souvent le cas au Japon.
Une cacophonie d’opinions au sein du gouvernement et l’influence sur ses décisions de l’homme fort du PDJ, Ichiro Ozawa, baptisé le « shogun de l’ombre », renforcent l’impression que le premier ministre ne tient pas les rênes. Le manque de coopération d’une bureaucratie d’autant plus rétive qu’elle est malmenée par des hommes politiques sans grande expérience des arcanes du pouvoir ne facilite pas la tâche du cabinet.
La fermeté de M. Hatoyama vis-à-vis de Washington à propos du déplacement d’une base militaire américaine n’a pas suffi à lui rallier l’opinion. Le premier ministre a simplement donné le sentiment qu’il cherchait à gagner du temps. En dépit de la dramatisation de cette affaire par la droite, qui a brandi le spectre d’une remise en cause de l’alliance avec les Etats-Unis, celle-ci ne semble guère affectée.
L’opinion n’a pas tourné le dos au PDJ : avec 42 % de soutien, il dispose d’une substantielle marge de manœuvre. Mais M. Hatoyama est vulnérable. Il a été porteur d’espoirs en promettant un modèle social qui ne soit pas uniquement fondé sur le profit et en s’attaquant au « sanctuaire » de la politique japonaise : la bureaucratie et la pratique du pantouflage. Une refonte aussi profonde des mécanismes sociaux demande du temps. Mais le premier cabinet d’alternance en un demi-siècle tarde à démontrer ses capacités à orienter le pays sur la voie du changement.
Philippe Pons