Le premier Forum social asiatique se déroulera du 2 au 7 janvier 2003 à Hyderabad (Inde).
Hyderabad, située au sud-est de Bombay (Mumbai), est la capitale de l’Etat de l’Andhra Pradesh.
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Dans la perspective du FSA d’Hyderabad, une rencontre des mouvements sociaux de l’Asie-Pacifique, à laquelle je me suis rendu, s’est tenue à Bangkok du 10 au 12 août 2002, avant le Ve Conseil international du FSM. En revanche, je n’ai pas participé aux autres réunions préparatoires et l’Inde ne fait pas partie des pays asiatiques où je me suis récemment rendu.
Ce rapport tente une « mise en contexte » du Forum social asiatique, compris comme un processus au sein duquel Hyderabad représente une étape initiale, mais fort importante.
I / LE FSA DANS LE PROCESSUS D’ENSEMBLE : UN APPERCU
Depuis le début de l’année 2002, les processus du Forum social mondial s’est rapidement diversifié, avec la tenue ou la préparation de forums régionaux ou thématiques dans plusieurs régions du monde (y compris l’Afrique et le Moyen-Orient).
Au sein de cet ensemble d’initiatives, le prochain Forum social asiatique d’Hyderabad occupe une place bien évidemment spécifique :
1. En janvier 2004, le Forum social mondial devrait pour la première fois quitter Porto Alegre et se tenir en Inde. Le Forum régional d’Hyderabad est donc une étape importante dans cette perspective. Il doit aider préparer le rendez-vous mondial de 2004.
2. L’Inde est un pays géant où la société civile est très active et où les mouvements sociaux sont multiples et relativement puissant, mais qui n’a pas encore été intégré au processus mondial du Forum social (en dehors d’une fine couche de cadres militants internationalisés). Hyderabad fournit l’occasion d’amorcer cette intégration et de créer, ce faisant, un espace unitaire stable facilitant les convergences militantes en Inde même.
3. Ce qui est vrai pour l’Inde l’est aussi de nombreux pays de la région Asie-Pacifique. Même là où les mouvements sociaux sont dynamiques, l’intégration au processus du Forum social mondial reste dans l’ensemble superficielle. Corrélativement et au sein du FSM, la représentation asiatique est peu nombreuse, individualisée, fragmentée et largement marginale (si l’on excepte le rôle central joué par le réseau Focus on the Global South) ; contrairement à ce qu’il en est pour l’Amérique latine et l’Europe occidentale. Hyderabad peut contribuer à populariser en Asie, au-delà de « l’élite militante », l’expérience des forums sociaux et à renforcer la présence des mouvements asiatiques dans le processus mondial.
Hyderabad est une première étape dans un processus nécessairement long et original : l’enracinement de l’expérience des forums sociaux dans les réalités indiennes et asiatiques ; et, réciproquement, l’intégration des réalités asiatiques dans le processus mondial des forums sociaux, aujourd’hui encore marqués avant tout par les réalités latino-américaines et européennes.
Vu la taille et la complexité de l’Inde, ce sera déjà un beau succès si Hyderabad permet effectivement des convergences à l’échelle du pays tout entier. Et s’il commence à lier les mouvements indiens à « l’extérieur » : le Forum social mondial, l’Asie du Sud (le « sous continent » qui constitue l’espace régional propre de l’Inde) et les autres parties de l’Asie.
La participation asiatique au Forum d’Hyderabad sera probablement importante. Mais il est aussi probable qu’Hyderabad ne sera pas encore un forum proprement « asiatique », au sens ou Florence a déjà été un forum (ouest) européen : c’est-à-dire dès l’origine préparé collectivement par une ensemble de mouvements exprimant de nombreuses expériences nationales. Et ce, pour trois raisons de fond :
1. Le comité d’organisation indien a dû consacrer l’essentiel de son temps à créer un espace de convergences à l’échelle indienne. Malgré ses efforts, il ne lui en est pas resté beaucoup pour associer suffisamment tôt et étroitement les mouvements d’autres pays à la conception et à la préparation du FSR.
2. L’Asie est une partie du monde infiniment plus diversifiée que l’Amérique latine, l’Europe ou le Monde arabe, pour ne prendre que ces exemples.
3. L’intégration directe des pays asiatiques à la mondialisation capitaliste et l’impact des politiques néolibérales s’est aussi fait sentir selon des rythmes et des modalités particulièrement diversifiés en Asie. Ce qui ne facilite évidemment pas l’émergence d’une conscience collective et unifiante « anti-mondialisation libérale ».
Hyderabad s’annonce donc comme une étape initiale dans la constitution du Forum social asiatique. Elle n’en est que plus importante et il serait bon que la participation européenne et latino-américaine à cette expérience soit significative.
II / HYDERABAD : CONCEPTION ET CADRE INDIEN
Le FSA est conçu sur le modèle éprouvé depuis Porto Alegre. Avec, en six jours :
– Deux plénières publiques : ouverture le 2 janvier (après-midi / soirée) et clôture le 7 au matin.
- 6 à 8 conférences centrales, soit 2 par jour du 3 au 6.
- 100 séminaires, soit 25 par jour.
- De 100 à 200 ateliers (jusqu’à 50 par jour).
- Des témoignages, forums, « People’s Voices », « espaces ouverts » pour les mouvements sociaux, festivals de cinéma, présentations culturelles, etc.
- Camp jeunes.
- Manifestations.
Le FSA vise à promouvoir des alternatives à la mondialisation libérale, à même de répondre aux besoins des populations. On y retrouvera les thèmes habituels, de la critique des politiques économiques libérales à la lutte pour un monde en paix. Mais avec des accents spécifiques qui reflètent les réalités indiennes (par exemple, la question des castes et le danger représenté par le « communalisme », les violences inter-communautaires) ou asiatiques (l’Asie étant, par exemple, une partie du monde particulièrement touchée par de multiples conflits et par la politique de guerre en permanence prônée par Washington. La crise afghane a des répercussions très directes, ainsi que les tensions « nucléaires » entre l’Inde et le Pakistan). Le vocabulaire tend aussi à se modifier, avec les changements de continents. Les Indiens usent souvent du terme d’ « impérialisme », plutôt que de « globalisation » ou de « mondialisation ».
Au dire de membres du secrétariat du FSA, l’objectif premier du forum n’est pas numérique. Ils prévoient 7.000 participant(e)s, dont un millier de non-Indiens. La manifestation devrait être nombreuse grâce, notamment, aux mouvements paysans de l’Andhra Pradesh, déjà impliqués dans le processus. Mais les mobilisations de masse sont monnaies courantes en Inde Le forum doit avant tout permettre en véritable dialogue, un débat, des rencontres entre les multiples organisations participantes, car un tel dialogue est chose à la fois rare et nécessaire. Pour le mener, il vaut mieux ne pas être trop nombreux, mais les mouvements impliqués (petits ou grands) doivent être représentatifs. Il s’agit en effet de nouer des liens entre les mouvements sociaux au sein même de l’Inde (une tâche qui ne va pas de soi, vu la taille du pays) ainsi qu’avec le reste de l’Asie. De construire un cadre d’unité.
Un travail considérable a été réalisé pour impliquer un vaste éventail d’organisation dans la préparation du forum social, venant de toutes les régions du pays. Des membres du secrétariat du FSA ont participé à la mi-novembre au Forum européen de Florence et au Conseil international du FSM qui a suivi, ce qui a permis de faire le point. Tous les Etats avaient alors déjà été plus ou moins organisés, sauf 6 (l’Union indienne comprend aujourd’hui 23 ou 24 Etats en tout). Parmi les régions qu’il fallait encore contacter, il y a notamment la périphérie « conflictuelle » comme le Cachemire ou le Nord-Est (Nagaland).
A l’origine, se sont investies dans la préparation du forum des organisations comme Focus on the Global South, les mouvements Dalit (hors caste), le Science Forum... Un groupe de travail de 25 organisations membres devait être mis sur pied. L’arc de forces aujourd’hui engagées est très ouvert avec par exemple :
- Les fédérations syndicales AITUC, CITU, HMS, AICCTU, AIFTU et des fédérations indépendantes (il y aura une conférence syndicale).
- Des coalitions d’organisations populaires, « socio-écologiques », comme la National Alliance of People’s Movements (NAPM). La Narmada.
- Des mouvements paysans. Ces mouvements sont à la fois très grands et très diversifiés (vu la complexité des structures sociales en Inde). Ils n’étaient encore qu’inégalement impliqués, mais les contacts devaient être complétés courant novembre.
- Des mouvements pour la paix : Committee for Nuclear Desarmemant and Peace (CNDP), South India Forum for Peace and Justice, Asia Peace Alliance (APA).
- De nombreux réseaux associatifs : All India Asian Kisang Sangharsh Samittee (AIAKSS), Science Forum, All India Peoples Science Network (AIPSN), All India Teachers Network, Alliance for a Responsible and Plural United World (Asia Pacific), Federation of Medical Representatives of India (FMRI), Focus on the Global South India Program, India’s Campaign against WTO, National Campaign on Dalit Human Rigths, National Dalit Forum, National Campaign for Tribal Self Rule, National Campaign for People’s Right to Information, National Center for Labour, Network for Mines, Minerals and People ; National Campaign Committee for Rural Workers, etc.
- Les étudiants (avec le camp jeunes) : AISA, Inquilabi Youth Forum, etc..
- Des associations culturelles.
Un secrétariat national fonctionne à New Delhi, avec un noyau animateur d’environ 9 personnes. Notons, pour les « personnes-contact » : Prabir Purkayastha, Vijay Pratap, Meena Menon, Amit sen Gupta... Un secrétariat opère aussi à Hyderabad même.
D’un point de vue social, le processus du FSA en Inde apparaît de plus en plus représentatif. D’un point de vue politique, il y a clairement une dynamique unitaire à l’œuvre. Des initiatives diverses (forum locaux, rencontres de mouvements...), courant décembre notamment, vont servir de relais pour mobiliser en vue d’Hyderabad.
Parmi les soutiens « partidaires » à cette initiative, on retrouve en particulier des sociaux-démocrates, le PCM (le PCI, mais plus faible) et des PCML. Mais cette liste n’est pas limitative.
Le FSA affiche son indépendance par rapport aux partis. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles il se réunira à Hyderabad (où le tissus associatif est vivant), plutôt que dans l’un des Etats dirigés par des PC (aujourd’hui : le Bengale occidental et le Kerala). Choisir un Etat de gauche pouvait apparaître comme choisir l’un des PC (une différence avec le Brésil où le PT occupe une place particulière, même s’il n’est pas le seul parti de gauche). De plus, comme dans d’autres pays, les PC au pouvoir dans un Etat n’ont pas manifesté une capacité à mener une politique au fond différente (pour reprendre l’expression utilisée lors du CI à Florence : « Un changement de gouvernement ne signifie pas nécessairement un changement de régime »).
Les partis politiques ne sont donc pas co-organisateurs du Forum. Mais, comme le FSM de Porto Alegre et le FSE de Florence, le FSA cherche la meilleure façon de traiter à Hyderabad des rapports mouvements sociaux-partis politiques. Il est envisagé d’organiser le 6 janvier un forum des partis, où les parlementaires se retrouveront aussi. Le FSA devrait d’ailleurs être l’occasion de tisser des liens avec des élus indiens pour le Réseau parlementaire international.
Dans le cadre de l’espace créé par le Forum social, la dynamique des mouvements sociaux devrait être particulièrement forte.
III / LA DIMENSION ASIATIQUE
La rencontre des mouvements sociaux asiatiques de Bangkok, à la mi-août 2002, a exprimé une dynamique nouvelle dans la région, un réel potentiel en ce qui concerne l’enracinement du processus « forum social » en Asie. Mais elle a aussi montré l’ampleur de la tâche.
Quelque 200 participants, venant d’une vingtaine de pays, étaient présents. Les débats ont été de fort bonne qualité, avec des interventions brèves, allant directement au fait, et très peu de blabla. Il était clair que les délégué(e)s représentaient dans leur grande majorité des mouvements actifs, qui souhaitaient que la réunion fasse avancer pratiquement les choses. Pour l’Asie-Pacifique, c’était la première conférence du genre et ce fut un succès.
Relevons cependant deux problèmes :
– Tout occupé à unifier l’Inde, le secrétariat national du FSA n’avait pas eu le temps de préparer des propositions concrètes permettant d’associer « organiquement » ses partenaires asiatiques à la conception et à la préparation d’Hyderabad (la chose ne va en effet pas de soi).
- L’affirmation d’un ensemble asiatique (et encore plus d’Asie-Pacifique) ne va pas de soi non plus. Vu d’Europe, on mesure mal à quel point l’Asie -du Japon au Laos et de l’Inde à Singapour ! - est diverse par l’histoire ancienne et récente (notamment coloniale), par les structures sociales et le développement économique, par les cultures, etc. Quant au Pacifique, il n’est pour l’essentiel représenté dans le processus que via l’Australie.
Aux yeux étrangers de l’Occident, l’Asie forme un tout. Aux yeux des Asiatiques, c’est beaucoup moins évident. La région se fragmente : Asie du Sud, du Sud-Est, du Nord-Est...
C’est notamment la géopolitique contemporaine qui fait de l’Asie un ensemble : la création, hier, par les Etats-Unis d’un cordon sanitaire autour de la Chine (de la Corée au Pakistan), l’imbrication des conflits inter-étatiques (Pakistan-Inde, Inde-Chine, Chine-Japon...), aujourd’hui le redéploiement militaire des USA au nom de l’antiterrorisme...
La question n’est pas essentiellement celle des « frontières » d’un Forum social asiatique (jusqu’où à l’Ouest au Proche-Orient et au Sud-Est dans le Pacifique ?). Elle est la création d’une référence commune et d’une capacité de coopération concrète au cœur même de l’ensemble asiatique : entre l’Asie du Sud, du Sud-Est et du Nord-Est. Le sous-continent indien, en particulier, apparaît très singulier, autocentré.
De ce point de vue, nous en sommes vraiment à une étape initiale. Dans sa personnalité et ses débats, Hyderabad sera d’abord un forum « pan-indien », intégrant de nombreuses délégations asiatiques. Il faudra probablement l’organisation d’autres initiatives, dans d’autres pays, pour que le processus du FSA s’enracine et prenne véritablement forme à l’échelle de la région entière. Mais cette dynamique est aujourd’hui amorcée et elle devrait être nourrie par la perspective du Forum social mondial en Inde, en 2004. D’autant plus que l’on ne part pas de zéro. Des réseaux comme Focus on the Global South, les réseaux pacifistes ou Jubilee-South ont déjà créé des liens régionaux essentiels. Il en va de même à son échelle et dans son domaine (plus « partidaire ») de la Conférence de solidarité Asie-Pacifique d’Australie (Sydney). Mais tout cela opère surtout au niveau des cadres militants ; il faut maintenant intégrer la référence « forum social » à l’expérience des mouvements dans leur ensemble.
La rencontre des mouvements sociaux asiatiques de Bangkok s’est conclue par la rédaction d’un Déclaration (« Another World is Possible ! Mobilise Against Neoliberalism ! ») qui a repris largement les discussions menées durant ces trois jours avec une analyse de la crise capitaliste actuelle et la présentation de 8 axes prioritaires d’action, avec pour têtes de chapitres : Militarisme ; Institutions financières internationales ; Organisation mondiale du commerce ; Identité politique et culturelle ; Souveraineté alimentaire, agriculture et commerce ; Droits sociaux et du Travail ; Droit des peuples sur les ressources naturelles ; Médias et communication.
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Le Forum social asiatique s’annonce comme une étape importante dans le processus en cours d’internationalisation du Forum social mondial. Il représente aussi une occasion rare de percevoir les réalités sociales et militantes indiennes, de rencontrer un large éventail de mouvements d’Inde avant tout, mais de toute l’Asie aussi. D’affirmer enfin, en y participant, notre solidarité avec les combats menés dans cette partie du monde.