Voile médiatique ou vrai débat ? En annonçant, mercredi 3 février, la candidature d’Ilham Moussaïd, une militante voilée, en quatrième position de sa liste dans le Vaucluse aux régionales de Provence-Alpes-Côte d’Azur, le NPA est en proie aux critiques de tous bords, interrogeant la société française sur son rapport à la laïcité et à la politique. Martine Aubry (lire ici), Jean-Luc Mélenchon (voir la vidéo) ou Pierre Laurent (lire ici) réprouvent le choix du parti d’Olivier Besancenot.
Pourtant, depuis l’Abbé Pierre élu député entre 1946 et 1951 jusqu’à Christine Boutin brandissant la Bible dans l’hémicycle (et l’assumant encore aujourd’hui), en passant par les campagnes électorales de Dominique Strauss-Kahn kippa sur la tête dans les rues de Sarcelles (certes dans une ville où le poids des diverses communautés est grand), les exemples de mélange des genres entre religion et politique sont nombreux. Même le port du voile par une élue de la République n’est pas une nouveauté ; on retrouve ainsi, par exemple, sur le site de la mairie d’Echirolles (Isère) le portrait de Besma Mechta, conseillère municipale communiste élue depuis 2008, posant avec un foulard couvrant ses cheveux.
Avec l’immixtion sur le devant de la scène politique d’Ilham Moussaïd, c’est un débat interne fort complexe traversant le NPA depuis sa création qui est désormais livré à la place publique. Un débat où les contradictions sont nombreuses et les convictions profondes de toutes parts. Au-delà de certaines caricatures cherchant à embringuer dans le contexte « burqa/identité nationale » une réflexion pourtant ancienne, Mediapart revient au fond du débat, tel qu’il est actuellement discuté par les militants du NPA.
Le NPA a-t-il fait un coup médiatique ?
« Franchement, on se serait bien passé de ce débat en pleine campagne électorale, confie Pierre-François Grond, n°2 et porte-parole du NPA. En l’espace d’une heure, j’ai eu plus de vingt sollicitations médiatiques, dont le 20h de TF1 et de France 2, qu’on a refusé. » Tout part d’un article paru dans Le Figaro mardi 2 février (lire ici). A la va-vite, deux communiqués de presse sont publiés en milieu de matinée, dont le premier ne cite même pas le nom d’Ilham Moussaïd, n’évoquant que « le choix du NPA du Vaucluse qui, après un débat sérieux et complexe, a été d’inclure sur ses listes une de ses membres, militante féministe, anticapitaliste, internationaliste qui estime devoir porter le voile en raison de ses convictions religieuses ».
Un second communiqué, trois heures après, apporte un rectificatif à une citation attribuée à Besancenot dans l’article du Figaro : « J’ai simplement dit : “Ilham est la preuve qu’on peut être au NPA et porter le voile” », exprime la tête de liste anticapitaliste en Île-de-France. « On fait dire à Olivier qu’Ilham est une “militante féministe, voilée et laïque”. Or, ça, c’est ce que dit Ilham, pas Olivier », justifie Grond. Sur le site Arrêts sur image, la journaliste du Figaro maintient toutefois avoir entendu les propos de Besancenot.
En réalité, le NPA est saisi de ce débat interne depuis sa création, et l’entrée dans la défunte LCR de plusieurs militants issus des « quartiers populaires » (appellation officielle donnée aux banlieues). Dès le lancement du nouveau parti qu’il a impulsé, Olivier Besancenot souhaite qu’il se développe dans les cités, de la même façon qu’il s’implante dans les entreprises. Lors de l’université d’été d’août 2009 à Port-Leucate (Aude), le sujet fait même l’objet de cinq tables rondes (lire notre reportage). Puis, fin septembre 2009, Olivier Besancenot sera la seule tête d’affiche à faire le déplacement au Forum social des quartiers populaires, dans le quartier délabré du Petit-Bard à Montpellier (lire notre reportage).
A chaque fois, les tensions s’expriment, sur les relations aux associations de quartier, sur l’instrumentalisation politique, sur la pratique du ramadan. Et sur le port du voile, déjà. La candidature d’Ilham Moussaïd doit donc d’abord être interprétée comme la continuité de ce questionnement.
Qui est Ilham Moussaïd ?
Militant à Avignon, et historique de la Ligue, Jacques Fortin voit dans cette étudiante de 25 ans « une fille bien, posée, qui n’essaie pas d’instrumentaliser le NPA au profit de questions communautaires. Lors de son adhésion, son voile n’avait pas posé de problème, plutôt de la sympathie ». Comme le raconte Hendrik Davi, un autre militant avignonnais, sur son blog dans Mediapart, « Ilham Moussaïd a milité au sein d’un collectif contre l’occupation de Gaza, il y a un peu plus d’un an ». Etudiante, elle participe aussi aux grèves dans sa faculté et devient trésorière locale puis départementale du NPA dans le Vaucluse.
En octobre 2009, elle a participé à une formation près de Rouen, sur la question du féminisme. Elle en garde le souvenir d’un « moment d’échanges qui s’est très bien passé. Je comprends le discours, et c’est vrai qu’il y a des femmes soumises chez les femmes voilées. Mais l’inverse est aussi vrai, je ne me sens pas du tout soumise et je me retrouve dans les principes d’égalité, de justice et de répartition des richesses qui sont portés par le NPA ».
Désignée candidate à l’issue d’un vote des militants du Vaucluse, par 60% des voix, elle entend « défendre la parole des classes populaires et du quartier d’où je viens (La Rocade, à Avignon) mais pas sur le voile. Plutôt sur les questions de discriminations, de logement ou de chômage. Je ne suis pas là pour représenter les femmes voilées, mais j’espère que ça parlera à des gens, que ça fera réfléchir ». Aujourd’hui, si elle se dit en accord avec le programme anticapitaliste, elle ne songe pas à retirer son voile : « Il y a des croyants au NPA, de différentes religions. Si j’attire l’attention, c’est seulement parce que l’expression de ma foi est visible. »
Pour l’un de ses proches, Abdel Zahiri, « Ilham a une vraie légitimité militante. Et il se trouve qu’elle porte le voile. Mais ce n’est pas son combat. Cela dit, c’est aussi un message d’ouverture. C’est un moyen de dire que tout le monde a toute sa place au NPA. Et puis jusqu’ici, les filles voilées étaient obligatoirement soumises. Elle montre que ce n’est pas totalement vrai ».
Pour autant, la désignation d’Ilham Moussaïd fait débat en interne et passe mal. Sa proximité avec Abdel Zahiri n’y est pas pour rien. Provocateur, il ne cesse depuis son adhésion de bousculer les certitudes des militants traditionnels, bien plus structurés politiquement, au sens classique de l’extrême gauche. D’abord taxé de communautarisme, il est désormais critiqué pour son « caractère incontrôlable et individualiste » par certains militants locaux.
En août 2009, il confiait à Mediapart, à l’issue d’une longue discussion avec le philosophe Daniel Bensaïd : « Moi, quand je viens aux universités d’été, je me déguise en Arabe, avec une djellaba. Mais en vrai, je ne m’habille jamais comme ça chez moi. Seulement, ça permet d’habituer les gauchos, en confrontant les pratiques et en laissant de côté les passions. Ça permet de gagner du temps. Dans l’autre sens, moi j’ai besoin de formations sur le marxisme et tout le bordel, car ça m’intéresse et je n’y connais rien. »
Intrigué par le personnage, Daniel Bensaïd (décédé il y a deux semaines) disait alors, en évoquant les menus ramadan spécialement servis à une dizaine de militants musulmans : « Cela pose la question de ce qu’on veut. Si l’on veut ouvrir la politique à ceux qui en sont privés, il faut être attentif. Par exemple, on ne peut pas fixer un Conseil national qui aurait lieu pendant l’Aïd-el-Kébir. C’est vrai que ça ne nous viendrait jamais à l’esprit de l’organiser le jour de Noël. »
Mais le débat actuel au NPA, local et national, se porte lui sur la question de la laïcité et du féminisme. Et il est loin d’être simple…
Quel est l’état du débat au NPA ?
Au cœur de la controverse, qui dépasse tous les courants de pensée jusqu’ici constitués au sein du NPA, c’est bien l’illustration de l’abandon des fondamentaux trotskystes qui est en jeu. « On est pris dans nos contradictions et entre deux tensions, reconnaît Pierre-François Grond. Entre l’envie de casser les barrières de la politique traditionnelle et l’attachement à nos valeurs féministes et laïques. Aujourd’hui, l’important est de pouvoir entrer dans le parti avec ses croyances, tout en adhérant à une visée émancipatrice. Mais il ne s’agit pas d’imposer des pré-requis, comme il y a trente ans. »
Pour Anne Leclerc, responsable de la « commission féminisme », « il est évident que le NPA, ce n’est plus la Ligue. Mais je pense que la croyance doit rester une question individuelle. Le problème, c’est de ne pas entrer dans la logique de stigmatisation anti-musulmane et de garder le cap de l’émancipation ».
De son côté, Omar Slaouti, responsable de la « commission quartiers populaires », met en garde contre « l’idée malsaine que le NPA rechercherait des militantes voilées. On effectue un travail dans les quartiers, et il se trouve juste que dans ces endroits, où on ne voit plus la gauche, il y a plus de musulmans qu’ailleurs. La question est alors : “Quelle place on leur accorde ?” Mais rien que de poser cette question, j’ai un peu honte… ».
C’est bien la représentation politique qui pose problème, dans la pratique. Un parti se disant laïque peut-il présenter une candidate présentant un signe extérieur religieux ? Selon Slaouti, « il ne peut y avoir de militantisme à deux vitesses. Ce n’est finalement pas si éloigné du débat qu’on pouvait avoir à la Ligue dans les années 1980, quand on se battait pour que les travailleurs immigrés puissent être syndicalistes, et pas seulement syndiqués. Et puis Ilham a un discours très clair sur les valeurs féministes, sur l’avortement ou sur l’homosexualité. Et elle combat là où les féministes ne sont pas toujours implantées ».
Pierre-François Grond tente lui de démontrer la difficulté du cas présent : « Si une femme voilée vient nous voir et porte un discours inégalitaire, il n’y a pas de problème, elle n’a pas sa place chez nous. La difficulté politique, c’est quand une femme voilée nous rejoint et porte un discours en adhésion avec nos principes. Ici, il ne s’agit pas de la laïcité à l’école, mais d’un choix religieux d’adulte consentant. »
Anne Leclerc, qui a mené des formations au féminisme « très enrichissantes et pas du tout passionnées » avec Ilham Moussaïd, rajoute un autre élément dans l’embrouillamini théorique : « Il y a aussi chez nous des musulmanes non voilées, qui sont croyantes mais opposées au foulard. Et elles vivent très mal, peut-être même plus mal que nous, le fait de voir une candidate du NPA voilée. Pour une fille comme Fahima Laidoudi, qui est membre du comité politique national, les vraies questions sont la précarité et le chômage, et le voile une diversion. » Et d’expliquer le fond du problème : « Rien n’a été codifié sur cette question au lancement du NPA. On a bien sûr comme principes fondateurs la laïcité et le féminisme, mais on ne s’est pas posé la question de la religion. »
Alors, le NPA a décidé de trancher la question religieuse lors de son prochain congrès, du 11 au 14 novembre 2010. En attendant, la direction anticapitaliste laisse tout le monde s’exprimer, tant la diversité des points de vue semble grande en son sein. Et sur son site, à côté du communiqué du NPA Vaucluse, on retrouve celui de la minorité locale ayant rejeté la candidature d’Ihlam Moussaïd. « Ce débat n’est pas choquant, il est même salutaire et sera transparent, promet Pierre-François Grond. On l’entamera après les régionales, et on le fera sérieusement, en produisant des textes et sans brutaliser quiconque. »
Stéphane Alliès