De mon point de vue [Samy Johsua], la coordonnée principale, et de loin, de la polémique en cours tient à la possibilité d’assumer en tant que parti féministe un symbole (le foulard) de soumission des femmes aux hommes. Passons sur le fait que la gauche l’accepte sans souci quand il s’agit d’élues à Creil ou à Échirolles. C’est certainement un débat majeur : une fois acté sans contestation possible que le symbole historiquement attesté est bien celui-là, peut-on admettre pour autant que certaines femmes refusent cette interprétation pour elles-mêmes, et que le parti leur confie pourtant une tâche de représentation ? Question légitime, d’une importance idéologique majeure, que le NPA (pour ce qui le concerne) abordera à son congrès.
Mais cet aspect se mélange d’une manière totalement indue à de soi-disant principes laïques. Abandonnons la droite à ses haines, et attristons nous de l’incroyable ignorance de ces interrogations chez le républicain qu’est Jean-Luc Mélenchon. Il nous dit doctement : « Le mouvement ouvrier a toujours payé le passage à la religion et à l’ostentation ». Pardon ? Quand la JOC s’est rapprochée de la gauche (dans JOC il y a « chrétien » non ?), on l’a « payé » ? Les plus anciens gardent le souvenir respectueux de l‘engagement du groupe « Témoignage Chrétien » dans la défense du droit à l’indépendance du peuple algérien. Une question à Mélenchon et Laurent : si ce groupe demandait à rejoindre le Front de Gauche, vous refuseriez ? Et si maintenant un groupe « Témoignage Musulman » se présentait avec la même demande ? Allez savoir pourquoi je suis si sûr de la réponse dans les deux cas…
Nous menons suffisamment de combats communs contre le racisme avec le PG pour ne pas engager une seule seconde contre lui un mauvais procès. Mais, en ne prenant pas la mesure (lui comme le PCF) de la nature profondément xénophobe de la tempête médiatique créée par la droite contre le NPA, ils prennent une lourde responsabilité.
« Aurélie Filippetti qui demande à Besancenot de “relire Marx” n’a jamais dû le feuilleter »
Incroyable ignorance disais-je. Car derrière le terme de laïcité se cachent de nombreuses interprétations, et, en ce qui concerne la gauche, au moins deux principales.Aurélie Filippetti qui demande à Besancenot de « relire Marx » n’a jamais dû même le feuilleter pour faire un tel contresens sur le fameux « opium du peuple ». Le principal de ce que dit l’illustre barbu dans ce texte est que « éxiger qu’il soit renoncé aux illusions concernant notre propre situation, c’est exiger qu’il soit renoncé à une situation qui a besoin d’illusions. ». C’est le cœur d’une position constante : seul le combat commun sans condition préalable contre les racines du capitalisme permettra d’éteindre le besoin de religion. Mélenchon dit : « On ne peut pas débattre de ce qui relève de la vérité révélée ». Certes, mais justement, il s’avère que pour Marx la question se règle bien moins au niveau du nécessaire débat que de la lutte commune. Mélenchon dit encore « (…)tirer les leçons de l’histoire de France(…)parce que nous avons connu trois siècles de guerres de religions ». Bien sûr ! Mais justement, ces leçons font débat.
Contrairement à Guesde, le point de vue de Jaurès (bien plus modéré politiquement, mais incontestablement plus proche de Marx sur ce terrain précis) lors du débat sur la loi de séparation en 1905, est qu’il faut non pas chercher à détruire la religion elle-même, mais à « la mettre de côté » pour ainsi dire. Et, selon la formule célèbre dans les rangs révolutionnaires (qui se retrouve dans les principes fondateurs du NPA, mais dont on ignore souvent l’origine), chercher à unir le prolétariat par-delà ses divisions nationales et religieuses (on y ajoutera depuis de genre, etc…). La loi de 1905 est celle de Jaurès, pas de ses adversaires au sein du socialisme. Etonnant, vraiment, que Mélenchon l’ignore à ce point !
L’interprétation que fait Mélenchon de la laïcité « est une construction mythique, totalement fantaisiste »
Il est vrai que domine souvent une interprétation particulière, celle (que reprend donc inconsidérément Mélenchon) de la laïcité comme un partage entre le domaine « privé » individuel — où je pense ce que je veux — et domaine « public » — où je me tais (« Elle a le droit de pratiquer, mais pas dans la sphère politique » comme il dit). C’est une construction mythique, totalement fantaisiste. Dès le vote de la loi de 1905, il est apparu que ça n’avait aucun sens. Dans l’année qui a suivi, des maires ont cherché à interdire les processions avant de se rendre à l’évidence. Si le droit au culte est destiné au « privé » individuel, autant dire qu’il est quasi clandestin. Il en découlerait aussi que tout parti ou syndicat faisant explicitement référence au christianisme devrait être interdit par la loi. La CFTC par exemple, laquelle pourtant participe à des processus électifs républicains (élections de délégués du personnel, des élus prud’homaux) et, à l’évidence, le parti chrétien-démocrate de Boutin devrait être interdit d’élection. C’est vraiment cela le programme du PG et du PCF ? C’est intenable. On en viendrait nous aussi à interdire les minarets (mais aussi les clochers, je sais bien que nous ne ferions pas de différence…). Ce que règle la loi de 1905, donc la conception de Jaurès, c’est la séparation de l’État et des institutions religieuses par l’interdiction de tout mélange entre les deux. Il en ressort qu’aucun lien organique ne doit exister entre eux, et qu’en conséquence, l’espace public ne doit en aucun cas dépendre directement de décisions, de pressions, d’orientations fixées par les religions instituées. Les citoyens ont par exemple le droit de s’opposer à l’avortement au nom de principes religieux, mais c’est du vote de tous (en fait de la mobilisation de la société comme on le sait bien) que dépend le choix, pas d’un synode des évêques. Pas plus, pas moins.
Après (mais après seulement) le débat devient plus politique, en particulier à gauche. Que Boutin ait le droit de se revendiquer chrétienne n’implique nullement que nous à gauche qui nous battons au nom de valeurs universelles, mettions ce genre de critères en avant. Cette interrogation est légitime, mais le cheminement historique a quand même été marqué par l’évolution de courants chrétiens vers la gauche au nom même d’une vision du christianisme explicitement revendiquée. Là encore, vraiment étonnant que ni Mélenchon ni Laurent ne s’en souviennent. Ce mouvement a eu sa traduction politique avec un parti comme le PSU, mais aussi des adhésions massives au PC et à l’extrême gauche, puis au PS. On voit bien là vivre cette deuxième orientation, celle de Jaurès, qui continue à lutter contre les empiètements constants des religions comme institutions (et donc pour la laïcité), mais autorise les rapprochements avec des croyants qui se présentent explicitement comme tels, à condition bien entendu que la religion passe au second plan dans le combat commun.
Faut-il recommencer aujourd’hui le processus pour l’Islam (alors que les cléricaux catholiques, s’ils sont largement défaits, peuvent toujours en profiter pour rependre du poil de la bête), c’est un débat politique parfaitement acceptable (il a lieu au sein même du NPA et il est passionnant). Mais en son principe ce choix est possible au sein même du combat laïque. Décréter le contraire ne peut pas avoir d’autres significations que de bâtir justement un principe d’interdiction contre l’Islam en tant que tel, qu’on n’a pas mis en œuvre pour d’autres religions. Quand même, camarade Mélenchon, avant de confirmer un tel choix dont la gravité ne peut pas t’échapper, on y réfléchit à deux fois.
Samuel Johsua - NPA | Jeudi 11 Février
Mélenchon : la candidate voilée du NPA relève du racolage
Gérald Andrieu - Marianne | Jeudi 4 Février 2010 à 05:01 | Lu 29846 fois
Pour le chef de file du Parti de gauche, la jeune candidate voilée du NPA en Paca fait « une erreur » en croyant rassembler derrière elle les habitants des « quartiers populaires ». Il y voit aussi une manière « régressive » de la part du NPA de « se différencier » des autres partis à la gauche du PS.
Marianne2.fr : Peut-on, comme l’aurait affirmé Olivier Besancenot au Figaro, être « féministe, laïque et voilée » (1) ?
Jean-Luc Mélenchon : Il y a une confusion des rôles. Le débat politique ne doit pas aller sur le terrain religieux. Quelqu’un qui participe à une élection doit représenter tout le monde et pas seulement ceux dont il partage les convictions religieuses. C’est une attitude immature et un peu racoleuse qui dit : « A moi les miens ».
Pour en revenir à la phrase d’Olivier Besancenot, je crois qu’il y a mille manières d’être féministe, mais cette manière-là est un peu particulière et constitue une régression. Même dans les pays d’origine, cette pratique est combattue par les milieux progressistes. On ne peut pas se dire féministe en affichant un signe de soumission patriarcale.
La jeune femme en question, Ilhem Moussaïd, explique que « dans l’atmosphère d’islamophobie » actuelle il est « important de s’unir pour une vraie gauche » et que « le sens de [sa] candidature est de donner une voix aux femmes et aux hommes issus des quartiers populaires » ?
C’est une erreur. Le mouvement ouvrier a toujours payé le passage à la religion et à l’ostentation. Ça empêche l’unité. Lors du Forum social qui s’est tenu en Inde, pour la première fois, il avait été question de laïcité. Il avait été évoqué le cas du syndicat des transports. Conducteurs et bagagistes ne parvenaient jamais à faire la grève ensemble parce que les conducteurs étaient brahmanes et les bagagistes des intouchables…
En ce moment, on a le sentiment que les gens vont au-devant des stigmatisations : ils se stigmatisent eux-mêmes — car qu’est-ce que porter le voile, si ce n’est s’infliger un stigmate — et se plaignent ensuite de la stigmatisation dont ils se sentent victimes. Il faut penser à tous ces gens qui n’ont tout simplement aucune religion. Il y a quelque chose d’unilatéral dans le comportement des religieux.
Et si cette jeune femme pense rassembler, elle se trompe : elle divise. Je lui demande de tirer les leçons de l’histoire de France. Non pas parce qu’il s’agit de l’histoire de France, mais parce que nous avons connu trois siècles de guerres de religions. Il ne faut pas être orgueilleux et elle doit apprendre qu’il faut se nourrir des luttes du passé.
Certains avanceront que sa religion est seulement plus visible, que des politiques se revendiquent ou se sont revendiqués comme catholiques et catholiques de gauche notamment ?
Pour ma part, je me suis toujours refusé à dire si j’étais croyant ou si je ne l’étais pas. Parce que je ne trouve pas ça respectueux. Il ne faut pas se tromper : elle a le droit de pratiquer, mais pas dans la sphère politique. Là, on a le sentiment qu’elle le fait pour donner à voir. Ce n’est pas acceptable.
La direction du NPA dit se plier à une « décision locale » après « un débat sérieux et complexe ». Au PG, ça ne pourrait pas avoir lieu ?
Ils ont de la chance que ce ne soit pas un intégriste religieux qui ait été désigné ! Ou quelqu’un avec une cornette sur la tête ou qui veuille se promener tout nu ! Au PG, nous en discuterions directement avec l’intéressé. Nous réunirions les instances locales s’il le fallait et nous lui dirions : « C’est inacceptable. Ce n’est pas possible ».
Si ça se trouve, cette jeune femme est une très bonne militante. Mais si elle a une conscience politique, c’est sur le terrain politique que ça doit se jouer, avec des arguments. La religion est du domaine de la vérité révélée. On ne peut pas débattre de ce qui relève de la vérité révélée.
Vous expliquiez que c’était une « attitude un peu racoleuse » ? Faut-il, selon vous, y voir un coup politique du NPA ?
Ils se saisissent de tous les moyens pour creuser le fossé, pour se différencier de nous qui sommes d’une gauche laïque, d’une gauche qu’ils savent à cheval sur les principes. Mais ça n’est franchement pas une bonne idée. Tout ça est régressif et, à l’intérieur du NPA, il n’est pas sûr que les camarades marxistes révolutionnaires apprécient…
(1) Olivier Besancenot estime, dans un communiqué, que « Le Figaro [lui] a fait tenir des propos caricaturés ».
L
aurent (PCF) : Besancenot hérisse les féministes
Gérald Andrieu - Marianne | Mercredi 3 Février 2010
Le NPA a annoncé la présence d’une femme voilée sur sa liste en Paca. Pour le numéro deux du PCF, le problème n’est pas que cette candidate anticapitaliste affiche sa religion, mais qu’elle soit présentée comme une représentante des quartiers populaires.
Marianne2.fr : Comment réagissez-vous à la candidature sous l’étiquette du NPA, en Paca, d’une jeune femme voilée et aux déclarations d’Olivier Besancenot qui l’ont accompagnée ? Il a affirmé que l’on pouvait être « féministe, laïque et voilée » ?
Pierre Laurent : « Je ne connais pas cette jeune femme. Je ne peux pas juger ses convictions. Mais je ne pense pas qu’on puisse considérer, par principe, qu’il s’agisse d’un critère de représentativité des quartiers populaires. C’est un peu inquiétant : l’immense majorité des jeunes maghrébines ne sont pas voilées. Ça peut encourager des raccourcis qui ne correspondent pas à l’image que je me fais des habitants des quartiers populaires et que je rencontre sur les marchés d’Île-de-France. Après je ne considère pas que le voile soit le signe de l’émancipation féminine.
Plus que le fait qu’elle affiche sa religion, ce qui vous pose problème c’est qu’elle soit en fait présentée par certains dirigeants du NPA comme une représentante des quartiers populaires ?
Que des gens ne cachent pas, ne masquent pas leurs croyances religieuses ne me gêne pas. Il y a eu par le passé des catholiques engagés en politique comme il y en aura de confession musulmane qui le feront aussi.
Le risque, c’est plutôt de contribuer à une certaine stigmatisation des quartiers populaires qui sont plus divers, plus variés que ça. C’est d’ajouter de la caricature à la caricature. Nous y avions déjà droit avec le discours gouvernemental et le débat sur la burqa qui s’est révélé singulièrement caricatural. Il s’agit de ne pas alimenter ça.
Une femme voilée aurait-elle pu apparaître sur une de vos listes ?
Quand on parle de femme voilée, il faut savoir de quoi on parle. Il y a beaucoup d’amalgames sur ce sujet. Parle-t-on de foulard ou de burqa ? Dans les réunions auxquelles je participe, il arrive que des femmes portant le foulard soient présentes et ça ne me choque pas. De là à en faire un symbole…
Croyez-vous en revanche que cette candidature puisse choquer dans les rangs des militants anticapitalistes ?
Les militantes féministes ont dû voir leurs cheveux se dresser sur leurs têtes. Je ne veux pas me mêler des affaires internes du NPA, mais elles ont sans doute du être désarçonnées par ce type d’utilisation…