New Delhi, correspondant en Asie du Sud
La capture est de choix. Le chef militaire des talibans afghans, le mollah Abdul Ghani Baradar, aurait été récemment arrêté à Karachi, la capitale économique du Pakistan, lors d’une opération conjointe menée par les services secrets pakistanais et américains, a révélé, mardi 16 février, le New York Times.
Citant des officiels américains s’exprimant sous le sceau de l’anonymat, le quotidien précise que M. Baradar est détenu « depuis plusieurs jours dans une prison » où il est interrogé par des officiers de l’Inter Service Intelligence (ISI) – les services secrets de l’armée pakistanaise (ISI) – associés à des agents de la CIA.
Les talibans ont formellement démenti l’information. « C’est un gros mensonge, a déclaré à l’AFP Youssouf Ahmadi, l’un des porte-parole des talibans afghans. Baradar est en ce moment en Afghanistan, où il dirige toutes les activités du djihad [guerre sainte]. Il est avec nous et nous sommes en contact avec lui. »
Si elle se confirme, cette arrestation serait une grande première. M. Baradar serait le plus haut dirigeant militaire du mouvement afghan à avoir été arrêté depuis la chute du régime taliban à Kaboul, fin 2001. Le coup porté au mouvement islamiste afghan, qui orchestre l’insurrection afghane contre l’OTAN depuis ses bases arrière au Pakistan, serait sérieux.
Mais en conclure qu’il serait déstabilisé est à ce stade prématuré. La direction de l’Emirat islamique d’Afghanistan (EIA) – le nom dont le mouvement s’est doté – n’a cessé depuis 2001 de modifier son organigramme dirigeant au gré des disparitions de certains de ses chefs.
COOPÉRATION DES AUTORITÉS D’ISLAMABAD
Moshtak Yusufzaï, journaliste au bureau de Peshawar du quotidien pakistanais The News, juge l’information de l’arrestation du mollah Baradar « crédible ». « Elle m’a été confirmée par mes contacts talibans », dit-il lors d’un contact téléphonique avec Le Monde.
Selon lui, le mollah Baradar était depuis plusieurs mois au centre d’une vive querelle interne au sein du mouvement taliban. « Il était favorable à des discussions avec le président afghan Hamid Karzaï, précise Moshtak Yusufzai, ce qui lui valut un conflit avec le mollah Omar, le chef suprême du mouvement. Ce dernier est hostile à toute discussion à l’heure où les Américains intensifient leur effort de guerre. »
En conséquence, selon M. Yusufzai, le mollah Baradar aurait été « expulsé du mouvement » et remplacé à son poste de chef militaire.
Ces remous internes au mouvement autour de perspectives de « dialogue » entre Kaboul et insurgés pourraient éclairer les circonstances de l’arrestation de Baradar. Aurait-il été lâché par ses anciens amis ? Moshtak Yusufzai dit l’ignorer. Mais la question se pose inévitablement.
Quoi qu’il en soit, cette arrestation est un succès pour les Américains qui peuvent se féliciter de la coopération des autorités d’Islamabad dans cette affaire. Jusqu’à présent, les officiels à Washington se plaignaient amèrement de la mauvaise volonté des Pakistanais dans la lutte contre les sanctuaires talibans établis sur leur sol. L’état-major du mouvement était hébergé à Quetta, le chef-lieu du Baloutchistan pakistanais, protégé de facto par les services secrets de l’armée pakistanaise.
Islamabad a toujours nié cette évidence, rappelée à de multiples reprises par les dirigeants américains. Récemment, le général Ashfaq Kayani, le chef d’état-major pakistanais, a répété son refus de déclencher une opération dans la zone tribale Nord-Waziristan, d’où le réseau dit « Haqqani » – du nom du vétéran du djihad anticommuniste Jalaluddin Haqqani – téléguide l’insurrection dans les provinces de l’Est afghan.
Selon de nombreux analystes, le Pakistan souhaite soigner ses contacts avec des groupes talibans dans la perspective du futur retrait des troupes de l’OTAN d’Afghanistan.
L’arrestation du mollah Baradar marque-t-elle une rupture dans l’attitude d’Islamabad ? La réponse est négative s’il se confirme que la position personnelle de M. Baradar était dépréciée depuis plusieurs semaines. La capture de M. Baradar serait ainsi un simple gage de bonne volonté offert par les Pakistanais mais dont l’impact stratégique serait minime.
Frédéric Bobin
* Article paru dans le Monde, édition du 17.02.10. LE MONDE | 16.02.10 | 10h47.
L’armée pakistanaise confirme la capture du mollah Baradar
LEMONDE.FR avec AFP | 17.02.10 | 10h00
L’armée pakistanaise confirme, mercredi 17 février, la capture du mollah Baradar, chef militaire des talibans afghans. « A l’issue de procédures d’identification détaillées, il a été confirmé que l’un des individus arrêtés se trouve être le mollah Baradar », fait savoir l’état-major, ajoutant que le lieu et les détails de cette capture ne pouvaient être révélés par mesure de sécurité.
Le mollah Baradar, chef militaire et numéro deux des talibans, aurait été arrêté « il y a plusieurs jours » au cours d’une opération conjointe entre les services de renseignement pakistanais et la CIA à Karachi, dans le sud du Pakistan. La perte du bras droit du mollah Mohammad Omar, si elle se confirmait, constituerait un grave revers pour les talibans. « C’est un ami proche du mollah Omar et ils sont de la même génération. Il faisait partie de la trentaine de personnes considérées comme les fondateurs du mouvement taliban », explique Rahimullah Yusufzai, un expert pakistanais des talibans. « C’était une personne engagée et à laquelle Omar faisait confiance. Il l’avait nommé chef militaire des talibans. Il était membre du conseil suprême des talibans, le conseil formé des dix à douze des personnes les plus loyales, et dirigé par le mollah Omar », ajoute M. Yusufzai.
Pakistan : colère au lendemain du double attentat de Karachi
LEMONDE.FR avec Reuters | 06.02.10 | 09h03 • Mis à jour le 06.02.10 | 09h23
La tension était grande, samedi 6 février, à Karachi au lendemain du double attentat qui a fait 25 morts dans la capitale économique du Pakistan. La plupart des magasins de la mégapole de 18 millions d’habitants sont restés fermés et les transports publics sont à l’arrêt dans la ville où plusieurs milliers d’habitants se sont rassemblés pour les funérailles de leurs proches tués par les deux bombes, qui ont fait également plus de 150 blessés.
Un premier attentat a tué 12 personnes, suivi d’un autre quelques heures plus tard qui a fait 13 morts dans un hôpital où avaient été admis les blessés de la première attaque. Les victimes, des chiites pour la plupart, laissent penser que les attaques pourraient être le fait de groupes armés sunnites liés au réseau Al-Qaïda.
« COMME S’IL N’Y AVAIT PAS DE GOUVERNEMENT »
La police, qui avait initialement cru à des attentats commis par des kamikazes, a finalement conclu que les bombes avaient été déposées à l’avance. Un troisième engin explosif, désamorcé à l’hôpital, était du même type que les deux autres, suggérant l’implication d’un seul groupe. Un responsable de l’enquête a désigné le mouvement Jundollah [l’Armée de Dieu] comme responsable. « C’est ce même groupe qui a commis l’attentat de l’Achoura », a ajouté Khattab, par allusion à l’attaque qui a fait 43 morts dans la ville le 28 décembre contre une procession chiite lors de la fête célébrant la mort de l’imam Hussein, petit-fils du prophète Mahomet. L’attentat suicide avait provoqué une émeute dans le centre-ville.
Aux funérailles, la colère des habitants chiites de Karachi contre les autorités était palpable. « C’est comme s’il n’y avait pas de gouvernement au Pakistan », a déclaré un proche d’une victime de la première explosion. « Ils disent qu’il y a des militants prêts à attaquer. Et puis ils attaquent, et la police et le gouvernement ne font rien », a-t-il déploré lors des funérailles.
Les taliban pakistanais ont perpétré depuis octobre une série d’attentats à l’explosif contre des marchés bondés ainsi que des installations de l’armée et de la police, tuant des centaines de personnes pour déstabiliser le gouvernement proaméricain du président, Asif Ali Zardari. Mais ces attentats ont avant tout frappé le nord du pays alors que Karachi a été relativement épargné.