Doit-on distinguer voile et foulard ? Ou considérer comme « voilée » toute femme qui cache ses cheveux pour affirmer sa foi, quel que soit le mode choisi ? Et comment qualifier Ilhem Moussaid, candidate du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), qui défraye malgré elle la chronique ? Le débat, depuis deux semaines, alimente notre courrier. Il est beaucoup moins simple qu’il n’y paraît.
« Pourquoi persistez-vous à écrire une »candidate/femme voilée« ? Elle n’est pas voilée, tout le monde voit son visage, elle est aussi voilée qu’un barbu de la SFIO ! », interroge Toufik Baalache (Bagnolet, Seine-Saint-Denis). « Même Le Monde commet l’erreur de vocabulaire que l’on trouve partout. La candidate du NPA dans le département du Vaucluse n’est pas »voilée« ! Elle porte un foulard. Ce n’est pas précisément la même chose, y compris en termes de symbole, écrit Philippe Boucher (Paris). Cette confusion aboutit à un contresens pour le dessin de Plantu et la chronique de Caroline Fourest » (Le Monde du 6 février).
« J’avoue ne pas comprendre la polémique sur le pseudo- »voile« de la candidate du NPA. Il ne s’agit ni d’un niqab ni d’une burqa mais d’un simple foulard sur les cheveux laissant voir la totalité du visage, ajoute Dominique Robitaillié (Toulouse). Ma grand-mère (petite-bourgeoise très catholique), décédée au début des années 1970, ne serait jamais sortie dans l’espace public »en cheveux« , comme on disait à l’époque, mais toujours avec un foulard. On peut penser ce que l’on veut de cette manifestation de pudeur, mais de quel droit la critiquer ? »
Les caricaturistes, comme Plantu, forcent nécessairement le trait, de même que les chroniqueurs, qui ont l’apanage des opinions tranchées. Mais il n’en va pas de même de tous les journalistes qui s’efforcent de faire le distinguo, non sans difficulté il est vrai. Ainsi les appels de première page, les 9 et 11 février, parlaient de « jeune femme portant un foulard musulman » et de « candidate coiffée d’un foulard », mais des articles en pages intérieures la décrivaient aussi comme une « candidate » ou une « jeune femme voilée ».
Certains lecteurs ont apprécié ces efforts. « Nous vous félicitons pour votre résistance à contre-courant dans l’utilisation des mots »voile/voilée« et »foulard« , remarquent Léonie et Michel Launay (Paris). Nous étions excédés par l’abus du mot »voile« . Dans votre édition du 11 février, nous avons compté sept fois »voile/voilée« et quatre fois »foulard« , ce qui marque à la fois une relative avance sur le reste de la presse et les progrès qui restent à faire pour libérer la majorité des Français de... disons une certaine mauvaise foi (vous disiez justement, en »une« , »gros malaise« ). Nous avons consulté les dictionnaires Littré et Robert, aucun doute n’est possible : Ilhem Moussaid porte un foulard. Il y a eu une évolution dans l’emploi de ce mot dans le sens d’une relative démocratisation dans la recherche d’une certaine élégance. En revanche »voile« s’entend pour désigner quelque chose de pesant qui cache quelque chose. »
Derrière la querelle sémantique, s’exprime un débat de fond. Certains lecteurs prônent la tolérance : « Les cris d’orfraie de toute la classe politique devant une candidature de femme portant un foulard m’ont gêné, explique Guy Dramais (La Ricamarie, Loire). Après tout, dans notre façon de nous habiller, nous transmettons un message. Celui qui portait costume-cravate pour un entretien d’embauche annonçait la couleur. Etre jugé sur le port d’un simple foulard, c’est comme l’être sur le faciès, non ? Ne nous laissons pas abuser. » Au contraire, les tenants de la laïcité et du féminisme voient dans les signes ostentatoires de la religion, quels qu’ils soient, une provocation. « Le NPA pousse l’irresponsabilité jusqu’à présenter une candidate voilée, favorisant ainsi le communautarisme religieux au détriment de la véritable extrême gauche, féministe et anticléricale », note ainsi Jean-Claude Courbis (Chambéry).
Faut-il établir une hiérarchie dans les signes d’appartenance religieuse - et donc distinguer voile et foulard ? Ou les mettre tous dans le même sac - auquel cas la précision n’a pas lieu d’être ? Avis pris auprès des journalistes impliqués, les opinions varient. « Une femme voilée est celle qui porte un tissu sur ses cheveux pour les cacher, par respect d’une tradition religieuse ; voile ou foulard, c’est un signe d’appartenance, l’adjectif »voilée« est générique », estime Sylvia Zappi, journaliste politique.
« C’est le sens que lui donnent celles qui le portent qui est important. En France, pour la plupart, cacher ses cheveux est le signe d’un degré de foi, non d’une soumission ou d’un intégrisme, explique Stéphanie Le Bars, chargée de la rubrique Religions. Lors du débat de 2003-2004, il n’y avait qu’un seul objet, la confusion sémantique était possible. Aujourd’hui, les femmes qui veulent signifier leur appartenance religieuse sans subir d’ostracisme adaptent le signe à leur genre, leur environnement, leur condition. Elles portent un voile, un foulard, un turban, un bandana ou même un large bandeau. On est donc obligés de faire une différence sémantique. » « Voile et foulard ont changé de sens depuis 2004, appuie Béatrice Gurrey, grand reporter. Au contraire de l’abbé Pierre, religieux entré en politique, Ilhem Moussaid est d’abord une militante politique et associative. Est-il vraiment gênant qu’elle se couvre les cheveux en raison d’une spiritualité personnelle ? »
Dès lors que tous les signes d’appartenance coexistent et traduisent des démarches différentes, l’idéal voudrait qu’on les distingue. A cela près que la langue française le permet difficilement. Par quoi remplacer l’adjectif « voilée » quand il s’agit d’un foulard ? « Enfoulardée » n’existe pas - non plus que le verbe ou le substantif correspondant. « En foulard » n’est guère élégant, « au foulard » péjoratif. Est-on contraint de prendre « voile » au sens générique, en s’appuyant sur la définition, très large, du Robert : « morceau de tissu qui sert à cacher le visage ou le front et les cheveux d’une femme, pour un motif religieux » ? La solution est commode, mais ne tranche pas le débat. Mieux vaut donc se résigner à user de périphrases aussi précises que possible... en attendant les lexicographes.
Véronique Maurus (Médiatrice)