Le 23 février 2005. La majorité de droite à l’Assemblée vote une loi « portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés » qui, pour la première fois dans l’histoire de la République, sanctionne une interprétation officielle, apologétique et mensongère du passé colonial de la France. En effet, l’article 1er de ce texte est ainsi rédigé : « La nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l’œuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d’Algérie, au Maroc, en Tunisie ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française. » Suite aux nombreuses protestations d’universitaires et d’historiens, tardivement rejoints par les député(e)s de l’opposition qui ont fait preuve d’une distraction pour le moins singulière et suspecte, l’article 4, l’un des plus controversés de ce texte, a été retiré par l’ancien chef de l’État, Jacques Chirac. Cet article, qui ajoutait l’injonction autoritaire au scandale initial, prévoyait ceci : « Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord. » Stupéfiante volonté de soumettre l’histoire, son enseignement et les professeurs à une vision partisane du passé qui ramenait aux pratiques de la IIIe République, lorsque celle-ci exigeait des instituteurs qu’ils vantent inlassablement les mérites de la colonisation.
23 février 2010. Malgré ce recul significatif, la loi demeure, en particulier l’article 13 qui prévoit l’octroi d’une « indemnité forfaitaire » et non imposable – délicate attention – aux « personnes » ayant « fait l’objet, en relation directe avec les événements d’Algérie » de « condamnations ou de sanctions amnistiées ». Apparemment technique et anodine, cette disposition, libellée en des termes délicatement euphémisés qui restaurent la novlangue officielle des années cinquante, a bénéficié aux activistes de l’OAS condamnés à des peines de prison. Il s’agit d’une revendication depuis longtemps soutenue par l’Association pour la défense des intérêts moraux et matériels des anciens détenus de l’Algérie française (Adimad), qui réunit d’ex-militants de cette organisation terroriste. Un arrêté du premier ministre, en date du 29 décembre 2005, « relatif à la composition de la commission de l’indemnité forfaitaire » établie en application de cet article, fixait la liste des personnalités appelées à siéger. Parmi elles se trouvait Athanase Georgopoulos, membre de l’OAS et créateur, début 1961, de la zone 3 de cette organisation, à Oran. Exilé en Espagne franquiste, il est rentré en France en 1969.
Comme le déclarait avec emphase le ministre délégué aux Anciens Combattants, Hamlaoui Mekachera, le 15 février 2005 : « Pour la première fois, plus de quarante ans après la fin de la guerre d’Algérie, la loi, expression de la volonté générale, manifeste la reconnaissance par la nation de l’œuvre matérielle et culturelle accomplie par nos compatriotes en outre-mer. » Il n’est pas de précédent, en effet, et pour les amateurs d’exception française, en voici une remarquable mais sinistre au regard des principes libéraux supposés limiter les pouvoirs de la puissance publique : la France est à ce jour le seul État démocratique, et la seule ancienne puissance impériale européenne, où des dispositions législatives qualifient de façon positive l’histoire coloniale. Sans précédent, mais pas sans conséquences, car l’existence même de cette loi, qui est l’aboutissement d’une offensive politique d’ampleur menée sur le terrain mémoriel, a contribué à libérer comme jamais certains écrits et certaines déclarations tendant à la réhabilitation de la période impériale de la France.
Épilogue d’un combat passé désormais ? Prologue, bien plutôt, comme le prouve notamment le discours prononcé le 7 février 2007 à Toulon par Nicolas Sarkozy en tant que ministre candidat à l’élection présidentielle. Inspiré par son conseiller Henri Guaino, il déclarait alors : « Le rêve européen a besoin du rêve méditerranéen. Il s’est rétréci quand s’est brisé le rêve qui jeta jadis les chevaliers de toute l’Europe sur les routes de l’Orient, le rêve qui attira vers le sud tant d’empereurs du Saint Empire et tant de rois de France, le rêve qui fut le rêve de Bonaparte en Égypte, de Napoléon III en Algérie, de Lyautey au Maroc. Ce rêve ne fut pas tant un rêve de conquête qu’un rêve de civilisation. »
Eu égard à la personnalité de l’orateur et aux responsabilités qui sont aujourd’hui les siennes, de telles déclarations sont sans précédent depuis la fin de la guerre d’Algérie, en 1962. Jamais le représentant de la principale formation politique de la droite parlementaire n’avait entrepris de restaurer ce passé en de semblables termes. Face à cette offensive, l’actuelle opposition doit d’ores et déjà prendre l’engagement public qu’elle abrogera la loi du 23 février 2005 en cas de victoire aux prochaines élections nationales.