Hendrik Davi veut donner une cohérence unique à un éventail de débats nourris par notre politique électorale (il milite pour l’unité à la gauche de la gauche et la candidature Ilham Moussaïd) [1]. Il vise à « définir un nouveau paradigme permettant de changer la société et de sortir du capitalisme ». Rien que cela. Sa polémique multiplie faux procès, allusions assassines et amalgames. Mais il expose parfois clairement ses conceptions, notamment sur l’anti-impérialisme [2]. C’est cette question-ci que je veux traiter ici.
Pour Hendrik, il y a d’un côté une gauche qui s’empêtre dans le « ni ni » (genre « ni Otan, ni taliban ») et une gauche (la sienne) qui comprend que l’impérialisme occidental « doit être notre principal ennemi ». Il y a plus d’une façon de comprendre ce qu’implique cette notion d’ennemi principal. Les conclusions qu’en tire Hendrik Davi sont particulièrement graves. J’espère qu’il ne représente qu’un point de vue très marginal dans notre organisation. Mais il exprime quelque chose de « l’air du temps » qui renvoie à d’importantes controverses. Alors mieux vaut ne pas ignorer cette question.
Pour illustrer son propos, Hendrik se réfère au Hezbollah, au Hamas et aux talibans. Pour illustrer le mien, je ne traiterai que des talibans que je connais mieux.
Pas de « jugement » politique ? « Les choix de ceux qui luttent contre cet impérialisme, note Hendrik, ne regardent qu’eux, il ne sert à rien de les juger ». Cette phrase est consternante. Il est entendu que nous ne sommes pas des « professeurs rouges », donneurs de leçons faciles. Il faut comprendre ce que chaque combat et chaque mouvement a de spécifique : le Hezbollah n’est pas le Hamas qui n’est pas les talibans. Mais pour cela il faut étudier, analyser, caractériser – et donner des éléments de jugement politique. Les talibans forment un courant intégriste hyper-réactionnaire, xénophobe, obscurantiste, particulièrement intolérant, virulemment anticommuniste – et pas anticapitaliste. Ils imposent à la société un régime de terreur, allant jusqu’à l’interdiction de la musique et l’incendie des boutiques de K7. En cela, ils occupent une place qui les apparente aux fascismes. Il ne faudrait ni le dire ni en tenir compte ?
Pas de « dénonciation morale » ? Pour Hendrik, « une critique moraliste des mouvements de luttes nationales aide mécaniquement la propagande occidentale et américaine ». De quoi parle-t-on dans le cas pakistano-afghan ? De la subordination radicale des femmes chassées de l’espace public ; de la destruction des écoles pour filles interdite d’éducation ; d’une justice expéditive qui, au nom de l’ordre moral, lapide des femmes et égorge des hommes… Je pensais qu’un révolutionnaire devait s’indigner de toutes les oppressions, partout dans le monde. Cela ne semble pas l’opinion d’Hendrik Davi.
L’ennemi principal. Nous devons lutter contre notre propre impérialisme, sans concession ; soutenir les luttes de résistance, sans condition. Mais faut-il pour autant oublier que notre « ennemi secondaire » (les talibans) s’attaque à tous les mécréants ? Le LPP au Pakistan se développe dans le Nord-Ouest du pays, où opèrent les talibans. Ces derniers ont déjà tué trois de nos camarades. Faut-il recommander au LPP de renoncer à défendre les populations pachtounes pour ne pas porter ombrage aux « combattants anti-impérialistes » ?
Le monde réel. Faut-il aussi oublier que le développement de mouvements fondamentalistes dresse musulmans contre musulmans ? Que l’ennemi du fondamentaliste sunnite est le chiite (et vice-versa) bien plus encore que l’Occident ? Qu’il plonge les pays musulmans dans des guerres de religion comme la Chrétienté en a jadis connu (le Pakistan illustre dramatiquement cette question) ? Que la majorité des victimes sont musulmanes et non des soldats des armées impérialistes ? Qu’aujourd’hui la réaction se renforce dans toutes les religions que nous évoquons (catholicisme, protestantisme, hindouisme, islam…) ?
Clarifions. Ces questions exigent de la clarté.
Certains ont proposé la constitution d’un « front anti-impérialiste » mondial alliant extrême gauche et islamistes musulmans, y compris fondamentalistes. J’y suis opposé. J’espère qu’Hendrik Davi aussi.
Qui soutenons-nous en Afghanistan et au Pakistan ? Des organisations comme le réseau féministe Rawa qui se bat contre l’occupation de l’Otan et contre les talibans. Des partis comme le LPP qui combat les fondamentalismes et l’armée pakistanaise. Hendrik Davi propose-t-il que nous soutenions à la place les talibans – qui menacent de mort nos camarades ?
L’internationalisme ne se résume pas à combattre notre impérialisme. Il exige aussi le soutien aux luttes d’émancipation démocratique et sociale dans le monde. Hendrik Davi croit-il vraiment que les talibans sont une force d’émancipation ?
Pierre Rousset