Depuis 1996, une réunion des chefs d’Etat ou de gouvernements de l’Union européenne et des pays d’Asie orientale se tient tous les deux ans. Ce mois d’octobre, après Bangkok, Londres, Séoul et Copenhague, ce sera au tour d’Hanoi de l’accueillir. Depuis 1996 aussi, un Forum populaire se réunit indépendamment du sommet officiel pour faire entendre la voix de la société civile, des mouvements sociaux. Il offre une occasion rare de rencontre entre organisations asiatiques et européennes.
La tenue d’un forum populaire à Hanoi était une grande première. Côté vietnamien d’abord, qui accueillait un large éventail de délégations étrangères de tous types, au lieu des seules associations d’amitié et organisations sœurs traditionnelles. Côté international ensuite, le réseau préparant les forums ayant, cette fois-ci, pour correspondants nationaux des mouvements liés au parti et à l’Etat (sans lesquels il aurait été impossible d’organiser la rencontre). Il s’agissait donc de tenter une expérience sans précédent, en pariant sur une dynamique d’ouverture dont même des associations locales indépendantes pourraient bénéficier.
Succès et difficultés
Notons d’emblée que le forum fut un succès, tant en ce qui concerne la participation que les travaux. Le comité national, piloté par VUFO (Union vietnamienne des organisations d’amitié), a fait des efforts considérables pour accueillir ce forum ; un événement auquel les autorités ont donné une importance beaucoup plus grande que ce ne fut le cas dans les pays précédents (interventions dans les débats de personnalités politiques, rencontre avec le ministre des Affaires étrangères...).
L’organisation du forum a soulevé bien des difficultés spécifiques. Il n’a pas été possible de le tenir en même temps que le sommet officiel, comme c’est l’usage. Cinq cents participants étaient initialement prévus, dont deux cents étrangers. Ces derniers furent en fait plus de quatre cents à s’inscrire. Côté vietnamien, la réponse fut de s’en tenir au chiffre initial ; côté international de trouver les moyens de recevoir tout le monde. L’espace dévolu aux associations locales indépendantes est resté incertain. L’argument généralement avancé par le comité national était pratique : capacité d’accueil des salles de réunion, logements... Mais la question était aussi politique, deux démarches différentes étant à l’œuvre dans l’organisation concrète d’un tel événement.
La préparation du forum n’a pas été facilitée, en Europe, par la tenue des élections de juin et la rupture estivale. La délégation française était ainsi moins nombreuse que souhaité, avec le Centre Lebret, Attac, le CCFD, Sud-PTT, l’OMRI Montreuil, Babaylan (migrants philippins), Info Birmanie... En revanche, les délégations asiatiques furent particulièrement fournies (Indonésie, Philippines, Thaïlande...). Le développement du mouvement altermondialiste se fait sentir dans le Forum populaire Asie-Europe, ainsi que la situation internationale, avec la résistance à la guerre et l’intérêt soulevé par le thème « dialogue de civilisations ». Les débats se font plus politiques avec des ateliers consacrés aux rapports partis-mouvements, ou aux rapports entre mouvements et gouvernements. D’autres questions émergent, mais restent marginales, comme la responsabilité des « acteurs non-gouvernementaux » dans la violation des droits humains.
Les Asiatiques sont, pour la plupart, venu à Hanoi en manifestant le respect dû à un pays qui vainquit hier la puissance étasunienne. Mais l’évolution de la politique du régime n’en a pas moins suscité quelques vifs échanges, en particulier sur ce qu’impliquera l’entrée programmée du Viêt-nam dans l’OMC. L’« économie socialiste de marché » convainc difficilement.
Le comité national d’organisation a exigé que la question brûlante de la Birmanie ne soit pas abordée dans la déclaration finale du forum. Ce fut le clivage politique le plus sérieux. La collaboration entre un comité international libre de toute contrainte diplomatique et des partenaires nationaux placés sous cette contrainte trouve ici sa limite. Le problème mérite d’être discuté, car la participation de délégations du Viêt-nam et de Chine dans les forums sociaux, par exemple, devient la règle et non plus l’exception. La rencontre de Hanoi permet d’aborder cette question sur la base d’une expérience intéressante et d’ampleur.