Les victimes du changement climatique doivent être écoutées : c’est ce qu’a voulu exprimer la « Conférence mondiale des peuples sur le changement climatique et les droits de la Terre mère » qui s’est achevée, jeudi 22 avril, à Cochabamba, en Bolivie. Réunie à l’initiative d’Evo Morales, le président bolivien, la conférence, ouverte le 20 avril, a réuni près de 20 000 personnes, dont de nombreux représentants des communautés indigènes. Il s’agissait de contrebalancer « l’accord de Copenhague », conclu en décembre 2009 et que nombre de petits Etats récusent.
En 2000 avait eu lieu à Cochabamba une révolte contre le prix de l’eau imposé par la multinationale Bechtel. Cette « guerre de l’eau » avait été une étape marquante du mouvement altermondialiste en Amérique latine. Sous ces auspices, la Conférence a adopté une déclaration finale, intitulée « Accord des peuples », très politique : « Nous sommes confrontés à la crise terminale d’un modèle patriarcal (…). Le système capitaliste nous a imposé une logique de concurrence, de progrès et de croissance illimitée. Ce régime de production et de consommation cherche le profit sans limite, séparant les êtres humains de la nature, établissant une logique de domination sur les êtres vivants, convertissant tout en marchandise. »
Le changement climatique apparaît comme le symptôme majeur de cette crise générale, et le texte incrimine plusieurs fois les Etats-Unis, dont chaque habitant émet « 23 tonnes de CO2 par habitant, ce qui représente neuf fois les émissions d’un habitant du tiers-monde ». Il se conclut par la proposition d’un tribunal international de justice climatique et environnemental et l’appel à un référendum mondial sur le changement climatique portant, notamment, sur la nécessité d’une « déclaration universelle des droits de la mère Terre ». Le texte demande aussi que dans la deuxième période du protocole de Kyoto, de 2012 à 2017, les pays développés s’engagent à réduire leurs émissions de 50%.
« LA VOIX DES PAUVRES »
Peu d’Etats étaient représentés officiellement, et seul un président, Hugo Chavez, du Venezuela, est venu. Le gouvernement français était représenté par Brice Lalonde. Les discussions ont porté sur de nombreux sujets, notamment sur la place de l’agriculture dans la lutte contre le changement climatique, le droit des communautés vivant dans les forêts, la responsabilité des pays riches à l’égard des futurs réfugiés climatiques.
« C’était un moment important, dit Pauline Lavaud, de la fondation France Libertés : pour la première fois, il y avait un espace dans lequel les gens, directement affectés par le changement climatique, pouvaient s’exprimer. » Pour M. Lalonde, « il y avait ici de l’enthousiasme, de l’énergie, qu’il faut transformer en énergie utile. Les pays de l’ALBA [association de dix pays d’Amérique latine autour de la Bolivie et du Venezuela] peuvent porter la voix des pauvres, s’ils ne rejettent pas totalement Copenhague ».
M.Lalonde juge intéressante l’idée de tribunal international : « Il y a cinquante traités sur l’environnement mais pas d’organe juridictionnel commun. J’ai proposé à Evo Morales, que j’ai rencontré, d’en parler au Sommet sur la Terre qui aura lieu à Rio de Janeiro en 2012. » L’« accord des peuples » adopté à Cochabamba va être intégré officiellement comme « soumission » dans le texte de négociation sur le climat mené par les Nations unies.
Malgré sa virulence, il pourrait jouer un rôle utile, en soulignant l’insuffisance de l’« accord de Copenhague ». Selon une étude publiée dans la revue scientifique Nature du 22 avril, les engagements des pays au sein de celui-ci sont très en deçà de ce qui serait nécessaire pour limiter le réchauffement prévisible à moins de 2ºC.
Hervé Kempf