Tout a commencé en septembre 2005, au moment de la parution d’une expertise de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) sur le trouble des conduites de l’enfant et de l’adolescent. Les experts étaient tous partisans de l’approche neuro-comportementaliste de la souffrance psychique, très en vogue dans les pays anglo-saxons - et notamment au États-Unis et au Canada.
Caractérisé par une prépondérance des thérapies cognitivo-comportementalistes d’une part, et l’utilisation massive des psychotropes d’autre part, ce type d’approche aboutit, par exemple, au fait que, aujourd’hui, cinq millions d’enfants sont sous traitement psychotrope pour hyperactivité. Un thème un peu particulier : le trouble des conduites serait une maladie caractérisée essentiellement par des manifestations de délinquance ou la génétique jouerait un rôle non négligeable ; maladie particulièrement répandue dans les banlieues des grandes villes.
On ne sait plus, à la lecture des signes cliniques, si on est dans un livre de psychiatrie ou dans le code pénal. Fin du fin, les experts préconisent le dépistage très précoce, dès la crèche ou la maternelle, des sujets « prédisposés », c’est-à-dire de tout enfant s’écartant des normes de comportement définies par des échelles de comportement standardisées. Pour résumer : une caution pseudo-scientifique aux projets gouvernementaux en matière de prévention de la délinquance portés par le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, qui, dans une interview à la Gazette des communes en novembre 2005, s’appuyait sur les conclusions du rapport de l’Inserm pour son projet de prévention de la délinquance.
Une première série de réactions avait suivi la publication de cette expertise. Des pédopsychiatres ou des psychologues avaient publié des articles de protestation et des tribunes de réponse. L’envie d’aller plus loin et de fédérer les énergies a débouché sur un projet de texte pour mettre sur Internet une pétition, le 29 janvier 2005.
De nombreux réseaux professionnels se sont trouvés activés : psychiatrie, psychologie, psychanalyse, médecins de la Protection maternelle et infantile (PMI), pédiatres, professionnels de la petite enfance, du secteur social, du monde éducatif et de l’enseignement... Les courriers électroniques ont rapidement fait le tour de France, et des centaines de messages ont indiqué l’existence de cette pétition, ainsi que les moyens de la signer.
Dans un deuxième temps, les réseaux militants travaillant sur les questions sécuritaires ont relayé l’information. Il faut citer notamment le Collectif national unitaire de résistance à la délation qui rassemble, depuis deux ans, de nombreuses associations et syndicats regroupant des travailleurs sociaux, médico-sociaux, de l’Éducation et du monde de la justice, autour du refus du projet de loi sur la prévention de la délinquance. Ce collectif prépare activement une mobilisation avec une manifestation nationale à Paris, le 22 mars prochain. La pétition « Pas de zéro de conduite » est en train de devenir une pétition « populaire », dépassant le monde des professionnels. Aujourd’hui, des signataires se présentent comme de simples parents, mais aussi des syndicalistes ou des adhérents politiques.
En défense des enfants d’abord mais, au-delà, une forme de prise de conscience de ce que signifie concrètement la politique sécuritaire prend corps. La signature devient le moyen utilisé pour protester contre cette politique. La pétition est une formidable réponse, pour dire non à la psychiatrisation du malaise social, oui au débat public et démocratique sur la prévention et les soins aux enfants. Nul doute que les initiateurs sauront trouver les prolongements à ce premier succès.
Roland Foret
• Pour signer la pétition : « http;//www.pasde0deconduite.ras.eu.org ».