En 2004, le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin annonçait au Congrès des maires la création de la Conférence nationale des services publics en milieu rural qui a été installée en février 2005. Il s’agissait d’adapter des structures pour qu’elles soient « efficaces » et d’entamer un « dialogue » avec les élus locaux avant toute restructuration.
Être « efficace » et « moderniser » le service public, avec des arguments dont la dette publique est l’étendard, revient à désengager l’État de son rôle de cohésion sociale. Cette politique, dans des territoires à faible densité de population, avec des affirmations comme « pourquoi une gare, s’il n’y a plus de voyageur », s’est vite transformée en « pourquoi une gare s’il y a peu de voyageurs ». D’un calcul pragmatique (comme ne pas désirer un aéroport dans chaque ville), on est vite passé à un calcul de rentabilité. Cela se traduit par « la mise en commun des moyens et des prestations entre les différents réseaux de services », c’est-à-dire différentes fusions et regroupements (cartes scolaire, judiciaire, sanitaire, Pôle emploi) mais par « l’évolution des réseaux » et « les dispositifs financiers et juridiques permettant de les accompagner » (Poste, SNCF, EDF-GDF).
Le « dialogue » n’est qu’une pseudo-concertation mise en œuvre par les préfets associant les élus. Il s’agit de réduire l’offre pour qu’elle soit en adéquation avec la rentabilité demandée (diminution d’horaires et de personnels, fermeture partielle ou totale), puis de regrouper les services et de faire des expérimentations comme les maisons de services publics (MSP) mises en œuvre dans les années 1990. L’assouplissement du cadre juridique qui permettrait à ces MSP de combiner en leur sein services publics et privés risque de les faire s’éloigner de la notion même de service public pour s’approcher de celles de services au public. On passe ainsi d’une approche centrée sur l’usager à celle d’une logique clients. Avec une démarche « peu importe qui rend le service pourvu qu’il soit rendu », les partenariats public-privé et les privatisations, on s’achemine de fait vers la fin du service public dit « à la française », dont les territoires ruraux ne sont que la partie émergée de l’iceberg.
LES SERVICES PUBLICS TERRITORIAUX
Ils sont au cœur des services publics locaux en milieu rural : personnels des écoles maternelles et primaires, des services techniques et administratifs, des petites bibliothèques ou de services de repas à domicile. Leur sort n’est guère comparable à celui de leurs homologues des plus grandes collectivités relevant pourtant comme eux du statut dela fonction publique territoriale. Si en théorie, ils bénéficient des mêmes droits, ceux-ci sont difficiles à faire appliquer du fait des budgets des collectivités, mais également des rapports sociaux qui y prévalent, oscillant souvent pour le meilleur et pour le pire entre autoritarisme et paternalisme. De plus, le secteur reste marqué par un fort taux de précarité : emplois aidés, forte présence d’agents à temps partiel. Enfin, les communes de moins de 1 000 habitants peuvent ne recourir qu’à des agents non titulaires. Si les règles d’hygiène et sécurité qui s’y appliquent relèvent aujourd’hui des conditions définies dans le code du travail, l’inspection du travail n’en a pas le contrôle. La fonction publique territoriale est d’ailleurs un secteur reconnu comme particulièrement exposé aux risques et à la pénibilité.
Les petites collectivités sont aussi soumises aux aléas de la présence de l’État sur leur territoire. La fermeture d’une école a ainsi pour corollaire la suppression d’emplois ou la diminution du temps de travail hebdomadaire des agents territoriaux. Lors de la création d’agences postales, au sein même des secrétariats de mairie, dans le cadre d’une convention financière, là aussi, l’emploi n’est pas toujours au rendez-vous. Nombre de collectivités encaissent l’argent de la Poste et ajoutent du travail supplémentaire à des employés très souvent mal rémunérés.
À VOTRE SANTÉ !
Avec la santé publique, le ministère de la Santé s’est spécialisé dans l’amputation ! Avec la fermeture des blocs opératoires pratiquant moins de 1 500 actes annuels et susceptibles de ne pas garantir les normes de sécurité, il accentue la guerre contre les hôpitaux publics de proximité. La loi Bachelot généralise les pratiques antérieures, les rendant plus opérationnelles par la mise en place des Agences régionales de santé. Depuis, 113 blocs sont concernés dont certains sont déjà fermés et 182 autres sont menacés. Des centaines de structures hospitalières sont démantelées et fragilisées, ce qui ne veut pas dire que l’offre n’existe plus, mais qu’elle est désormais assurée par le privé (quand il ne veut pas s’installer matériellement au sein de l’établissement public comme à Brive, en Corrèze). À cela s’ajoute la suppression de services spécialisés comme celui de la radiothérapie (Guéret, dans la Creuse), avec toujours des arguments de « sécurité » alors que le matériel est moderne mais que le nombre de patients n’est pas jugé « suffisant ». Entre la proximité nécessaire pour des patients dont le cancer est déjà un combat et le calcul comptable, le choix a été tranché. C’est pourtant Roselyne Bachelot qui, pour justifier la gabegie financière de la grippe A, assène que quand il est question de santé publique, on ne regarde pas à la dépense…
Par cette désertification sanitaire, on laisse de côté les personnes les plus isolées et démunies qui ne consultent presque plus, soit entre 15 et 20 % des Français. Les files d’attente s’allongent, les personnels de moins en moins nombreux sont sous pression et condamnés à faire plus vite et forcément moins bien l’accueil et les soins nécessaires.
Au problème de l’hôpital public, doit s’ajouter celui de l’accès à la santé en milieu rural. Que ce soit pour les spécialistes (ophtalmologistes, dentistes...) ou les généralistes qui partent à la retraite sans possibilitéde reprise de l’activité, les zones rurales sont moins attractives que le sud de la France, en raison d’un secteur géographique de soins étendu et du peu de rotations possibles pour assurer les nuits et week-ends de garde.
LA POSTE ET SES « TONTONS FLINGUEURS »
Recrutements sur des postes précaires, concession au privé de pans d’activité, changement de statut ouvrant la porte à une privatisation, voilà la réalité postale. En milieu rural, la situation comporte des particularités qui ne sont que plus aggravantes.
En premier lieu, le constat est dramatique en termes d’aménagement du territoire. Dans de nombreuses communes rurales, la poste reste un des derniers services publics de proximité, le facteur étant parfois le seul contact humain pour une population isolée et vieillissante.
La politique de la direction de La Poste consiste à « inciter » les communes dont la quantité d’opérations n’est pas « suffisante », à transformer leur structure postale en Agence postale communale dans la mairie ou en Point Poste chez un commerçant. Dans les deux cas et malgré les « aides » [1], il s’agit bien d’une fermeture du bureau de poste et d’une diminution de l’offre de service (plus importante dans le cas du Point Poste). Le transfert vers la mairie ou le commerce est précédé d’une diminution des horaires d’ouverture. Une faible quantité d’opérations entraîne également cette diminution qui, à son tour, réduit le nombre d’opérations, etc. C’est le serpent qui se mord la queue.
Depuis la manifestation de mars 2005 à Guéret, le gouvernement a modifié sur la forme ces procédés, avec la Charte des services publics signée par Raffarin et incitant l’État et les opérateurs de service public à une consultation préalable des élus. Cela se matérialise par la technique « des tontons flingueurs » ! La direction départementale de la Poste et un « expert » font le tour des municipalités ciblées par une fermeture et expliquent que le choix revient in fine à la municipalité. Voulez-vous gardez une présence postale par le biais d’une délégation municipale ou chez un commerçant ou ne voulez-vous plus rien ? Face à ce choix, les maires plient souvent l’échine et avalisent donc le choix de La Poste. Mais la résistance existe, et cette déstructuration ne passe pas comme une lettre à la poste.
LES COLLECTIFS DE DÉFENSE DES SERVICES PUBLICS
Malgré la guerre idéologique menée sur le thème d’un service public inefficace et d’une fonction publique favorisée, l’opinion publique, sondage après sondage, reste attachée à son « bien commun », hérité du Conseil national de la Résistance. Le nombre des attaques entraîne des luttes. Les choses ne sont plus aussi éparses qu’il y a une dizaine d’années. Des tentatives de convergences, comme avec la Coordination des hôpitaux et maternités de proximité (Saint-Affrique, Aveyron, 2003) ou la Convergence des collectifs service public (Guéret, Creuse, 2005) puis les coordinations construites nationalement (Collectif contre les franchises, votation citoyenne pour la poste, États généraux du service public, etc.), montrent la nécessité d’unifier ces mouvements. Pourtant, les difficultés restent entières concernant l’articulation entre des revendications nationales et sectorielles, les relais locaux dans les mobilisations et le manque de lien entre ces initiatives. S’il n’est plus anodin de rencontrer localement des infirmiers, postiers, enseignants et cheminots partager une tribune avec des usagers et des élus, la dernière mobilisation nationale sur le thème du service public date de novembre 2005 !
Depuis, c’est une multitude d’actions dite décentralisées qui font figure de revendication générale. La question de la globalisation des luttes, parce que l’attaque sur le service public est générale et cohérente, doit rester en ligne de mire. Il faut que les convergences entre les différents services se multiplient, associant les usagers, les élus et les organisations syndicales, politiques et associatives, pour défendre le service public et construire le rapport de forces nécessaire.
QUE FAIRE ?
Si le service public doit s’adapter en tenant compte de la démographie, il n’en reste pas moins que les valeurs qui le fondent doivent être préservées. Égalité d’accès et péréquation financière qui en découle doivent être la règle. C’est une question d’égalité de traitement mais aussi une perception différente de l’aménagement du territoire. Alors que les territoires ruraux se désertifient et que l’on favorise les métropoles régionales avec les problématiques de surpopulation que cela entraîne, il est urgent de changer de politique.
L’implantation du service public est la pierre angulaire d’une société qui veut répondre aux problèmes cruciaux de notre époque et la proximité n’est pas négociable.
Les problématiques de l’emploi, souvent à l’origine des mouvements de population, peuvent s’amoindrir par les nouvelles technologies, un réseau de transport public efficace et gratuit, de nouveaux emplois liés au secteur rural (agriculture/alimentation, eau, bois, etc.). Ces éléments peuvent inverser le processus d’exode rural.
Le service public est le patrimoine commun de ceux qui n’en n’ont pas. C’est la garantie de l’accès aux besoins fondamentaux et cela nécessite une véritable organisation de ces services en termes d’accès, d’égalité et de continuité. C’est un choix de société qui permet de vaincre les discriminations, qu’elles soient géographiques ou sociales. C’est le seul moyen pour que l’État assure la cohésion sociale entre les territoires et la population. Il faut donc reconquérir les services publics en revenant sur les privatisations, leur assurer un monopole qui les protège du marché, les développer en créant ceux qui sont aujourd’hui devenus nécessaires, comme celui de la petite enfance et du quatrième âge.
C’est également l’outil nécessaire pour harmoniser notre politique environnementale (transport public fret et voyageur, gestion de l’eau, habitat, etc.) et la défendre au niveau européen. Ce n’est qu’à cette échelle que les choses prendront du sens et de l’efficacité.