Séoul Envoyé spécial
A l’instar des empereurs de Chine, bâtissant des murailles ou creusant le Grand Canal Pékin-Hangzhou - long de 2 000 kilomètres - en détournant les eaux du fleuve Yangzi, le président Lee Myung-bak entend rester dans l’Histoire comme le démiurge qui aura remodelé la partie sud de la péninsule coréenne. Il vient de lancer un chantier prométhéen d’aménagement des quatre principaux fleuves : Han, Nakdong, Kum et Yongsam. En ligne de bataille sur leurs rives, s’affairent des armées de bulldozers et de pelleteuses. Au cours des trois prochaines années, surgiront barrages, digues, réservoirs, centrales hydroélectriques...
Selon le projet gouvernemental, ces fleuves « vont revivre », l’économie sera stimulée, des emplois seront créés, l’environnement naturel « régénéré », les catastrophes naturelles éventuelles jugulées et la gestion des ressources en eau améliorée. Cependant, à en croire les sondages, la majorité de la population n’est pas convaincue : le projet suscite en son sein plus d’opposition que de soutien. Quant aux experts, la plupart prédisent un désastre écologique et dénoncent un gaspillage des deniers publics (quelque 16 milliards d’euros).
Certes, ces cours d’eau sont mal entretenus et ont souffert de l’expansion économique, mais est-ce par un bouleversement des équilibres naturels que l’on peut remédier à cette dégradation, interrogent les adversaires du projet. Quelque 400 associations écologiques et mouvements de citoyens viennent d’engager une action en justice pour le stopper, faisant valoir que le remodelage des rives et le dragage intempestif du lit des fleuves vont bouleverser les écosystèmes et aggraver la pollution, au lieu d’y remédier.
M. Lee, surnommé le « bulldozer » en raison de son volontarisme brutal, ne semble guère avoir cure de cette levée de boucliers. Fort du succès de la renaissance, en 2005, d’une rivière oubliée au cœur de Séoul, qui était devenue une sorte d’égout, le président sud-coréen entend aller de l’avant. Dans le cas de la rivière Cheonggyecheon, M. Lee, alors maire de la capitale, avait fait taire ses opposants. Le succès de cette réalisation consolida sa position pour briguer la présidence en 2007.
Le président a dû, en revanche, renoncer à un autre pharaonique projet annoncé pendant sa campagne électorale : une voie d’eau fluviale traversant le pays du nord au sud. Mais il entend bien aller jusqu’au bout pour ce qui est de l’aménagement des quatre fleuves.
L’achèvement, en avril, de la plus longue digue du monde (33 km), à Saemangeum (province de Jeolla du Nord), est révélateur du gigantisme des projets de remodelage de son territoire entrepris par la Corée du Sud. La construction de la digue, qui a mis vingt ans à être achevée, avait soulevé de vives oppositions. Le projet a néanmoins été mené à son terme. Cette digue doit permettre d’assécher deux estuaires et de gagner 400 km2 sur la mer. Deux réservoirs d’eau douce, un polder et un pôle industriel, technologique et administratif seront construits sur ces terrains.
Ces projets s’inscrivent dans le grand dessein de la présidence de Lee Myung-bak : la « croissance verte », dont la Corée du Sud se voudrait une championne. Leur ampleur et l’insuffisance des évaluations des dommages écologiques qu’ils causent sont dénoncées par l’Eglise catholique, qui représente une force morale dans le pays d’Asie le plus chrétien après les Philippines : « Menés à marche forcée », les projets, « qui se traduisent par l’expulsion de citoyens économiquement défavorisés », entraînent « la destruction des écosystèmes, portant une atteinte irrémédiable à l’environnement », a déclaré Mgr Boniface Choi, président du comité Justice et paix de la Conférence épiscopale de Corée.
Si certains accordent à M. Lee le bénéfice du doute, d’autres voient dans ces projets l’expression de l’autoritarisme qui caractérise la présidence de l’ancien homme d’affaires.
Philippe Pons