« La folie qui les habite Exige pour les humains La justice et tout de suite Et rien de moins »
Extrait de la chanson « Ceux qui disent non » de Michel Buhler (compositeur suisse, disque Chansons têtues)
Le livre de Jo Briant [1], c’est un « parcours du combattant » pour la justice. Ce parcours, pour peu qu’on ait autour des 60 berges et qu’on ait été sensible aux drames qui ont jalonné la seconde moitié du XXe siècle, on s’y reconnaît, on se découvre frère ou soeur de Jo. Et si on ne s’y reconnaît pas, pour cause de jeunesse essentiellement, ce n’est pas grave : le livre transmet des savoirs de résistance, il fait alors office de « passage du relais ». Ce n’est d’ailleurs pas innocent si le livre se clôt sur l’engagement victorieux des centaines de milliers de jeunes mobilisés contre le CPE[ Contrat première embauche] en France. Vision d’espoir pour un combattant qui, parfois, a connu le sentiment d’impuissance... Les combats, c’est le colonialisme, l‘antiracisme, l’antifascisme, la lutte contre l’apartheid, les dictatures de l’Amérique latine, la Françafrique, le pacifisme, la dette du Tiers Monde (Jo Briant est membre du CADTM Grenoble), l’émancipation des femmes, la survie de la planète, les sans papiers…Et les libertés à l’époque du bloc de l’Est… Et la question palestinienne… Et la question indigène… Et… Et…
Chaque thème est traité à l’aune de la résistance collective – qu’est ce qui se passait ? Quels mouvements sociaux entraient en action ? - et personnelle - comment Jo s’est-il impliqué ? (On a envie aussi d’ajouter « résistance grenobloise » tant Jo bat du cœur de cette ville solidaire). Chaque thème, c’est un peu d’histoire, un exposé du problème : quelques points précis pour clarifier les raisons de la lutte, des éléments d’analyse (avec quelques raccourcis inévitables vu la somme des thèmes abordés), des livres à lire, des poèmes, des citations, des adresses pour les combats qui continuent aujourd’hui… C’est tout ? Ah non ! Tout cela, c’est une vie. Une vie traversée du souffle de la folie, celle dont parle la chanson ci-dessus, une vie enracinée dans la force du « non » permanent, omniprésent, à l’injustice. Tout cela, ce n’est qu’une vie mais une fameuse vie !
Subjectivement, ce qui a retenu mon attention. Jo veut souligner qu’il n’y a pas de fatalité historique. Les injustices que nous combattons proviennent toutes des êtres humains (et des hommes en particulier, patriarcat oblige). Nous sommes des êtres humains : nous pouvons donc nous colleter à ces adversaires. Pas de fatalité mais des opportunités historiques. Jo pense que nous sommes à un moment crucial : ou bien nous tentons d’atténuer les effets du capitalisme ou bien nous luttons pour attaquer le mal à la racine. Pour ce faire, il faut dépasser la compassion et agir politiquement. Et ne jamais « saucissonner » les luttes, ne jamais séparer la lutte pour le pain et la lutte pour la liberté : les droits sont indissociables.
Jo, c’est aussi un acharnement de base : l’enseignement de qualité pour tous, en France, dans le quartier de Villeneuve où les expériences foisonnent après mai 68, mais aussi dans les quartiers populaires de Yaoundé. Le Collectif de Jo se bat pour la liberté pédagogique, l’égalité des chances, la survie des écoles rurales. Avec une découverte clé : « pour nombre d’élèves, la neutralité n’est guère vivifiante : on peut être un prof engagé sans être sectaire ni intolérant ». Un prof qui n’a pas peur de dire à ses élèves : « Oui, j’ai aimé Mai 68, le sens de cette fête, de cette quête d’un imaginaire social. J’y ai participé passionnément ».
Significatif : la couverture du livre ne met pas en scène un homme mais un groupe de personnes. Ce sont des militants comme Jo, des membres du Centre d’Information Inter-Peuples. Tous ont le sourire…
Denise Comanne