La réunion du G8 de juillet 2005 à Edimbourg, à beaucoup de points de vue, rappelle celle qui s’est tenue à Cologne en 1999. Des effets d’annonce à la pelle : Gleneagles, 2005, « Annulation inconditionnelle de 100% de la dette multilatérale de 18 pays parmi les plus pauvres » A Cologne [1], on annonçait 90% d’annulation pour 42 pays pauvres très endettés. Bizarre que, chaque année, depuis 1996 (G8 de Lyon, initiative PPTE - Pays Pauvres Très Endettés), on annule de façon régulière quelque chose qui ne devrait même plus exister... Là se trouve déjà un élément d’explication : il n’y a jamais eu d’annulation de dettes suffisamment importantes pour changer la donne des pays endettés. Bizarre également que le nombre de pays concernés soit de plus en plus restreint (faisant croire au grand public que les autres pays sont sortis de l’ornière) : en fait, les 18 pays éligibles pour cette « annulation » sont les bons élèves du FMI et de la Banque mondiale : c’est-à-dire, ceux qui ont rempli toutes les conditionnalités des plans d’ajustement structurel. Cela autorise à desserrer quelque peu l’étau. Rien n’est réglé pour les autres Pays Pauvres Très Endettés (PPTE), encore moins pour les autres pays du Tiers Monde (165 en tout) qui n’ont eux jamais fait l’objet d’une quelconque mesure d’annulation, vraie ou fausse.
Rappel de Cologne également car une très forte mobilisation avait obligé le G8 à se prononcer sur ces problématiques. Le rendez-vous de Cologne avait été précédé en 1998, lors du l’avant-dernier G7 en Grande-Bretagne, d’une manifestation de la campagne Jubilé 2000 (70.000 personnes) à Birmingham et le lieu de réunion de réunion du G7 à Cologne, dans la même ligne, avait été entouré d’une chaîne de 50.000 manifestants de part et d’autre du Rhin quand 17 millions de signatures pour l’annulation avaient été déposées. En juillet 2001, pour le G7 à Gênes, plus de 250.000 personnes exigeaient l’annulation immédiate de la dette. Les mobilisations obligent les hommes politiques à prendre position : c’est ainsi que les effets d’annonce se multiplient. Effets d’annonce réduits systématiquement à la portion congrue quand les représentants du G8 réunis discrètement à Washington avec le FMI et la Banque mondiale, font leurs comptes et appliquent alors les politiques qui les intéressent réellement.
Fin septembre 2005, à la réunion d’automne du FMI et de la Banque mondiale, on mesurera la « générosité » des pays les plus riches. D’ores et déjà, on peut prédire, grâce à notre expérience et à des informations diverses, que le programme d’annonces sera sérieusement raboté. En effet, Willy Kieckens, représentant de la Belgique au FMI, et en accord avec les représentants des Pays Bas, de la Norvège et de la Suisse, a déjà fait savoir qu’en aucun cas, une annulation ne pourrait être inconditionnelle : autrement dit, ces 18 pays, déjà exsangues d’ajustement, continueront à devoir appliquer des politiques néo-libérales en faveur des transnationales, du commerce mondial. A Edimbourg, à Gleneagles et même lors des concerts Live 8 de Bob Geldof, on a demandé au G8 d’être great (grand), de make poverty history (reléguez la pauvreté à l’histoire) et même de make history (faites l’Histoire) : ils n’auront été capables en finale que de comptes d’apothicaire.
Une marée blanche
Car la mobilisation au Royaume Uni a été grandiose. La première chose qui frappait lorsqu’on débarquait à Edimbourg en ce début juillet 2005, c’était le nombre d’édifices - publics et religieux - mais aussi le nombre de commerces, le nombre de maisons qui affichaient la banderole ou l’affiche « Make Poverty History ». Dans son fascicule, la campagne annonce qu’elle est la plus grande coalition rassemblée au Royaume Uni avec plus de 400 composantes. Toute la ville, toute la région, tout le pays semblaient bien s’être ralliés à la bannière blanche de l’interpellation du G8 sur les questions de la dette et de l’aide au développement. Ce slogan, on le retrouvera partout, sous toutes les formes, même sur les ceintures de slips...
Confirmation dès le samedi 2 juillet : déjà à 10h (deux heures avant le départ prévu de la manifestation), le parc de Meadows, lieu immense du rassemblement, était tapissé de blanc : pratiquement tous les manifestants avaient de fait observé la consigne de s’habiller de blanc. Stands des campagnes, des associations, podiums de concert, baraques à fish and chips, transformaient le parc en joyeuse foire de solidarité. On voit tout de suite l’ambiance : c’est familial, les enfants même bébés sont de la partie, les grands-parents aussi. De nombreuses personnes handicapées ont elles aussi voulu être au rendez-vous.
Dès midi, les manifestants, canalisés par moult barrières et policiers, commencent à sortir du parc par le seul passage autorisé. Goulot d’étranglement, longues heures d’attente, piétinement sous le soleil tapant : la foule patiente, encouragée, stimulée par les groupes de musique, les sketches de clowns... Des manifestants superbement maquillés, en costumes plus étonnants et bigarrés les uns que les autres (la créativité est omniprésente) enfourchent de drôles de vélos peints, gonflés de voiles, munis d’animaux en peluche, de fleurs en papier, de radios cassettes... Beaucoup de pancartes avec le « slogan-maison » dira-t-on, mais aussi avec l’exigence du retrait des troupes d’Iraq, d’un commerce juste, Drop the debt, Stop Bush’s reign of terror, Bush terroriste mondial n°1, Reclaim the medias,les masques ridicules de Bush et Blair ont la cote... Les t-shirts foisonnent (Macdonald devient Macshit), les ventres et les dos nus sont peinturlurés de slogans, de fleurs : c’est un mélange de style engagé et de style psychédélique. Beaucoup de femmes arborent une paire d’ailes de papillons. Des drapeaux peace, palestiniens, vénézuéliens, cubains... Il y a ceux qui ont créé leur propre pancarte mais il y a aussi les centaines de pancartes produites par les ONG et les journaux quotidiens qui font ainsi leur propre pub également.
Il était prévu qu’à 15H, tous les manifestants seraient revenus dans le parc de départ. A cette heure-là, des dizaines de milliers n’avaient pas encore pu approcher la sortie du parc. 15H, heure donc prévue pour le retour final de la manifestation, les organisateurs avaient programmé une minute de silence. Traditionnel, c’est vrai, mais terriblement impressionnant quand une marée humaine marque ainsi le pas : silence assourdissant qui veut atteindre les oreilles de ces huit hommes qui, veut-on croire dans la manifestation, vont « faire l’Histoire ». La manifestation a entouré le centre de la cille durant 7 heures et non 3 heures.
Le sens des mobilisations
Penchons-nous un moment sur l’état d’esprit, les revendications de cette mobilisation. On l’a dit : monsieur et madame tout le monde étaient là ; il ne s’agissait pas d’une manifestation radicale. Au niveau de la dette, Make poverty history appelait le G8 à : - assurer que les dettes impayables des pays les plus pauvres du monde soient annulées totalement, sans que cela n’affecte les budgets d’aide au développement ; - arrêter d’obliger les pays pauvres à suivre des politiques particulières en contre partie de l’annulation de la dette ; - se mettre d’accord sur un système juste et transparent de traitement des problèmes de la dette tenant compte des besoins et points de vue des pays pauvres et non de ceux des créanciers.
La campagne Make poverty history, à certains points de vue, conserve les points minimalistes de la campagne Jubilé 2000 : il s’agit de la dette impayable (qu’est-ce que c’est ?) des pays les plus pauvres (c’est lesquels ?) mais s’est radicalisée sur un point : l’abandon des conditionnalités liées à l’annulation. Le programme global des revendications, assez élastique, a permis évidemment de rassembler les milieux les plus divers, c’est-à-dire également les plus modérés.
Mais ne boudons pas notre plaisir : il est rare de voir 250.000 personnes dans la rue sur ce thème : la sensibilisation, la prise de conscience était bien présente. Et la grande presse ne s’y est d’ailleurs pas trompée qui a relayé au Royaume Uni, mais aussi dans d’autres pays, beaucoup plus d’articles d’analyses et de comptes-rendus sur l’événement du G8, sans qu’il soit nécessaire pour s’intéresser à l’affaire, comme à Gênes en 2001, d’avoir un mort (la mère de Carlo, Haidi Giuliani était présente dans les meetings importants pour rappeler que son fils avait rempli son devoir de désobéissance civile face à un monde barbare) et une répression sauvage des manifestants.
Ni Live 8, ni G8
A partir de là, peut-on faire l’amalgame entre la campagne Make poverty history et les concerts Live 8 de Bob Geldorf (Tokyo, Berlin, Paris, Londres...) ? Non, certainement pas. Car là, le message du Live 8 était encore plus minimaliste : les vedettes de tout poil, les organisateurs, Bono et Cie n’ont pas arrêté de chanter les louanges du G8, ont proclamé la victoire de l’annulation sans rien connaître au problème, ont mis en avant l’image d’une Afrique misérabiliste quand les ONG s’efforcent de mettre en exergue les courageux combats des peuples en résistance.
De plus, le message était complètement faussé par l’intrusion de l’argent (38 millions d’euros !), du show-business, de l’omnipotente culture anglo-saxonne, par la sollicitation des multinationales lesquelles font quotidiennement pression pour imposer la libéralisation économique, l’ouverture des marchés et les privatisations qui laminent littéralement le développement potentiel su Sud. Live 8 a légitimé l’existence du G8, ce club informel de puissants. A quoi cela sert-il que des « milliards » de personnes soient persuadées que le G8 est généreux alors qu’il « danse sur les tombes des pauvres du monde » comme l’a dit un orateur au parc Meadows ? Comment cela fait-il progresser les consciences ? Où seront, que feront Sir Bob Geldof, Sir Paul Mc Cartney et Sir Elton Jones au moment de la réunion FMI/Banque mondiale ? Pour eux, la cause est entendue, la page est tournée. Bob Geldof à l’issue de la réunion de Gleaneagles a attribué un 10 sur10 aux dirigeants du G8 et a critiqué les organisateurs de Make poverty history quand ils ont manifesté leur insatisfaction face aux maigres résultats.
La proposition du G8 : l’escroquerie en détails
Donc, qu’avons-nous en mains ? Une mesure d’annulation pour 18 pays seulement représentant 5% de la population des Pays en développement. Une annulation de 40 milliards de dollars alors que leur dette totale est en fait de 73 milliards : ce n’est donc pas une annulation 100%. Il est très possible que les milliards en question devront d’abord être remboursés par les pays débiteurs et puis, on leur en fera don en retirant ces sommes des montants de l’aide publique au développement : c’est ainsi que procède par exemple la France concernant la dette bilatérale (de pays à pays) qui lui est due. Vous voyez l’escroquerie ? Il n’y a pas un sou qui vient des pays riches. La seule chose est que, du fait de l’opération comptable dans les budgets, les 18 pays économiseront au total un milliard de dollars par an et encore, ce montant pourrait également retiré de l’aide publique au développement s’ils ne remplissent pas les critères de docilité imposés par les créanciers. Qu’est-ce que cela signifie un milliard de dollars par an quand le programme des Nations unies pour le Développement calcule qu’il faudrait 80 milliards de dollars par an pendant 10 ans pour assurer la satisfaction des besoins fondamentaux des populations de la planète. Qu’est ce qu’un milliard de dollars quand tous les indicateurs concernant la réalisation des Objectifs du Millénaire passent au rouge ?
Aide publique au développement : on donne d’une main ce que l’on reprend de l’autre
Il est utile ici de rappeler qu’il y a déjà 35 ans (en 1970, que les pays riches se sont engagés à porter le niveau de l’Aide publique au Développement (APD) à 0,7% de leur revenu national brut. Promesse qui n’a jamais été tenue sauf par quelques pays. Globalement, l’APD a même tendance à décroître : elle atteint péniblement 0,25% à l’heure actuelle. C’est donc un recul qui continuera à s’affirmer si l’on fait passer, dans les budgets des pays riches, des annulations de dettes dans la colonne « aide publique » car le chiffre de l’aide donnera l’impression que l’aide augmente alors que les sommes réellement attribuées à l’aide diminueront.
En conclusion : le G8 poursuit son histoire mais ne fait pas l’Histoire.