Quel que soit l’angle sous lequel nous examinions l’intervention du CADTM, nous pouvons exprimer une profonde satisfaction.
Les défis étaient pourtant nombreux et le moindre n’était pas d’assurer la visibilité du thème de la dette dans deux endroits distincts (France et Suisse) avec les impératifs d’organisation que cela supposait. Réellement, nous avons réussi ce « contre G8 ». Deux raisons expliquent cette réussite : un travail de préparation en fonction de cet objectif et un travail de partenariat poussé entre les sections du réseau international du CADTM, d’une part, mais aussi et surtout avec des partenaires extérieurs, le CNCD en Belgique, la Plate forme Dette et Développement en France, Jubilé Sud, différents ATTAC, Sdebitarsi (la campagne italienne pour l’annulation de la dette), RCADE (Espagne), Jubilee Iraq (UK)...
L’omniprésence du thème de la dette
La grande réussite de l’ensemble de l’intervention a été de « visibiliser » clairement le thème de la dette, côté suisse et côté français. Cette visibilité était politiquement importante au moment où chacun savait que le G8 n’apporterait absolument rien concernant ce dossier, pas même un effet d’annonce supplémentaire, et que, par contre, Jacques Chirac menait une campagne de charme envers les altermondialistes en rencontrant à plusieurs reprises différents représentants de mouvements français impliqués dans les préparatifs des activités alternatives au G8 et en invitant un certain nombre de chefs d’Etat africains et de pays émergents. Il était donc vital de démontrer l’acuité croissante du problème sous le camouflage du « dialogue élargi ». Chaque année depuis 1999, les pays endettés envoient l’équivalent d’un plan Marshall à leurs créanciers du G8 sous la forme du transfert net négatif sur dette. Le transfert net sur dette, c’est la différence entre les nouveaux prêts octroyés et les remboursements effectués (capital + intérêts). Le transfert est négatif lorsque les remboursements sont supérieurs aux nouveaux prêts.
Le travail antérieur au sein des campagnes nationales et internationales (la Plate forme française Dette et Développement, la campagne « Abolir la dette pour libérer le développement » organisée par le CADTM, le CNCD en Belgique, le CONGAD au Sénégal, le CAD/Mali), la participation régulière aux réunions unitaires préparatoires au contre G8, le travail particulier de contacts avec toutes les campagnes « dettes » au niveau européen, le suivi du travail avec Jubilé Sud et les membres du réseau CADTM des autres continents, tous ces éléments ont permis de relier les différentes initiatives du contre G8 par un fil rouge aussi tenace que la réalité de la dette : la revendication de l’annulation totale, immédiate et inconditionnelle de la dette.
C’est au point que certains journalistes ont relevé que « cette année, l’idée d’une taxe sur les transactions monétaires redistribuée aux pays les plus pauvres - la taxe Tobin - ne figurait pas parmi les principaux sujets d’intervention des altermondialistes. En revanche, la dette du Tiers Monde était au centre des revendications » (Le Courrier, 3 juin 2003). Pour le CADTM, il est clair que la revendication de la taxation des transactions financières reste une priorité ; qu’elle apparaisse moins présente aux yeux des journalistes ne nous fait pas plaisir mais la teneur de cet article démontre quand même le fruit de notre travail régulier et tenace sur la question de la dette.
Le réseau CADTM présent dans un grand nombre d’initiatives
Le CADTM a dû passer à la vitesse supérieure pour assumer les différents rendez-vous programmés. Le vendredi 30 mai, du côté français, les délégués du CADTM (en particulier, Solange Koné - Côte d’Ivoire - et Victor Nzuzi - RdC) sont intervenus au cours de plusieurs ateliers dans le cadre du « Sommet pour un Autre Monde » (SPAM) : l’atelier sur la paix et la question de l’Irak, l’atelier « Dette et ajustement structurel », l’atelier sur la dette écologique. Près de 4.000 personnes en tout ont suivi l’ensemble des ateliers organisés pendant trois jours dans le cadre du SPAM à Annemasse.
Ce même jour, du côté genevois, le CADTM participait au colloque international « Instabilité financière, mondialisation armée et crise de la gouvernance globale » organisé par différents Attac d’Europe. Eric Toussaint y a pris la parole aux côtés de Bernard Dréano (CEDETIM), Susan George (ATTAC) et de Jean Ziegler devant une salle comble (quelque 450 personnes).
Le stand du CADTM, tenu durant toute cette journée d’Attac, a pratiquement été dévalisé par le public désireux de retrouver « sur papier » les informations transmises par Eric Toussaint lors de son exposé.
Tribunal et concert : deux activités phares pour l’annulation de la dette
Le samedi 31 mai débutait avec une grosse activité du côté suisse et se terminait par le concert « Drop the debt » côté français.
Le Tribunal de la dette et des réparations est le fruit d’une collaboration entre le CADTM, le CNCD, Jubilé Sud... Il n’était pas un tribunal virtuel type « Porto Alegre » avec des accusés, des juges, un jury, etc. Il s’agissait de faire le point des pistes lancées par une série d’initiatives de type « tribunal populaire » en Afrique et en Amérique latine, le point des actions réelles en cours actuellement - les concrétisations des tribunaux populaires en quelque sorte - et les perspectives à travailler sur le plan juridique.
Globalement, on peut acter que, pour une activité décidée très récemment, elle a atteint des objectifs importants tels que communiquer sur un domaine présumé d’abord difficile (les aspects juridiques) avec un large public (quelque 500 personnes) ; démontrer que les attentes de mise en pratique de revendications altermondialistes commencent à être satisfaites (de la dénonciation, nous sommes passés aux initiatives concrètes) ; présenter les différentes facettes du débat : la bataille juridique reflète la bataille politique, c’est-à-dire qu’il y a débat entre les différentes composantes du mouvement anti-dette sur les stratégies à adopter.
Les intervenants ont ressenti que le public présent était prêt à s’engager (même si on peut déplorer que la jeunesse genevoise n’y était pas largement représentée puisqu’elle préparait les manifestations du lendemain et était - à juste titre - attirée par l’atelier contre la militarisation). Toutes les contributions ont constitué un apport et il faut souligner que si certains invités prévus n’ont pas pu venir au contre G8 comme Heloisa Helena (sénatrice PT), d’autres par contre ont participé au pied levé comme la dirigeante de la CONAIE (Equateur) Blanca Chancoso et Ivori de Moraes (représentant le MST Brésil).
Toute cette journée, le stand du CADTM a été visité de manière très active : signature des pétitions contre la dette et contre la dette de l’Irak en particulier, vente importante de publications, demande de nombreux renseignements... A la suite du Tribunal, le CADTM est intervenu lors de l’Assemblée des Mouvements Sociaux pour faire le point sur la campagne Dette.
Très vite alors, les membres du réseau se sont regroupés pour passer du côté français où allait se dérouler le grand concert contre la dette. Départ avec renfort de publications pour alimenter le stand CADTM France et faire face aux visites des milliers de participants prévus au concert. Le concert « Drop the Debt » est un aboutissement du travail réalisé par la « plate-forme Dette et Développement » (France) au sein duquel est actif le CADTM France. C’était aussi le résultat de l’énorme effort fourni par François Mauger. A partir du CD réalisé pour Porto Alegre III et diffusé dans des dizaines de pays, plusieurs concerts, avec l’un ou l’autre groupe du CD, ont permis de populariser la revendication de l’annulation de la dette. A Annemasse, ce concert représentait un point fort du contre sommet dans sa totalité. En effet, organisé dans le cadre du SPAM (Sommet pour un Autre Monde), il s’adressait autant aux jeunes des villages alternatifs qu’à la population locale. Alors que le programme de ce concert était déjà extrêmement alléchant avec la participation d’artistes qui avaient contribué au CD « Drop the debt », Manu Chao a annoncé sa venue en dernière minute : 25.000 à 35.000 personnes ont assisté à ce grand moment musical où deux délégués du réseau CADTM eurent la possibilité de prendre la parole : Charles Abraham d’Afrique du Sud et Victor Nzuzi, du Congo Kinshasa.
La revendication de l’annulation des dettes en tête des manifs
Dimanche 1er juin, moment fort attendu où les altermondialistes basés de part et d’autre de la frontière franco-suisse allaient enfin pouvoir se rejoindre en manifestation. A nouveau, la visibilité du thème de la dette a été totalement réussie. Il avait été convenu dans les réunions préparatoires que les deux segments de manifestation commenceraient par les « blocs dette », c’est-à-dire l’ensemble des campagnes et des organisations travaillant ce thème. Du côté suisse, les délégués du CADTM international ouvraient la marche en portant la banderole contre le G8. Ils étaient suivis de dizaines puis de centaines de personnes qui reprenaient avec entrain le slogan « Annulez, Annulez, Annulez la dette ! Elle tue, elle pille, elle a-ssa-ssine ! » Les latino-américains apportant leur touche spécifique avec « Pan, trabajo ! la deuda al carajo ! » . Une centaine d’affiches portant la touche « delete » utilisée par la campagne « Abolir la dette pour libérer le développement » ponctuaient ce début de la manifestation tandis que les « Le Groupe » animaient d’une musique particulièrement puissante et entraînante, la revendication de l’annulation.
Côté français, l’actualité sociale avait légèrement modifié l’ordre des groupes d’intervention : le bloc « dette » laissait la première place aux syndicats en lutte pour la préservation des retraites. Or, des syndicats en lutte, y en avait tant et plus ! Le groupe dette, quoique fortement en arrière de ce fait, a malgré tout réussi un effet visuel et politique remarquable : les nombreux rangs des manifestants étaient repérables par les chaînons de carton qui les reliaient, symbolisant l’esclavage de la dette. Le slogan scandé avec vigueur de ce côté-là également de la frontière, semble avoir fait impression sur le groupe syndicaliste car, au moment de la jonction des deux segments de manifestation, les délégués africains et latino-américains du réseau CADTM se retrouvaient coude à coude avec les syndicalistes français pour gueuler à tue-tête des « Annulez la dette » agrémentés de « tous ensemble, ouais, ouais, ouais » pour faire bonne mesure.
Vu l’énorme participation à la manifestation (environ 100.000 personnes), il fallut un peu de temps pour connecter les groupes « suisse » et « français » des campagnes dette. Quand ce fut fait, un immense cercle se constitua avec les chaînons de la dette, le slogan fut repris de plus belle et les chaînons furent arrachés, déchiquetés, déchirés, lacérés, projetés et finalement brûlés avec la belle vigueur qui avait animé les deux groupes pendant près de quatre heures sous un soleil de plomb.
Fathi Chamkhi de Raid Attac Tunisie résumait bien lors du bilan le saut qualitatif qui avait été réalisé par le réseau international CADTM. Il rappelait qu’il y a deux ans, lors du contre G8 de Gênes, les militants CADTM perdus dans la foule avaient peine à faire remarquer leur revendication. Ici, elle était en première position, impressionnante de cohésion, portée par des centaines de sympathisants connus et inconnus.
Les médias nous ont suivis
Un autre aspect de la visibilité de notre intervention peut être mesuré par le nombre d’interviews qui ont été réalisées par l’ensemble de la délégation CADTM international durant ces trois journées. Les membres européens du réseau CADTM qui étaient au centre de l’organisation de toute l’intervention, ont été sollicités à maintes reprises durant les trois journées d’activité.
La présence et la participation actives du réseau international
Il nous semble important de souligner à quel point, d’un événement international à l’autre, les membres du réseau sont impliqués de plus en plus fortement dans les activités du CADTM, de ses partenaires et d’autres organisations. Lors de ce contre-sommet 2003, le réseau CADTM a réuni des délégués de 18 pays.
Outre les délégués du CADTM Suisse, CADTM France et CADTM Belgique, étaient représentés pour l’Amérique latine l’Equateur (Blanca Chancoso - Conaie et FSM - et Fernando Lopez - Convergencia Democratica por una nueva Sociedad), l’Argentine (Paula Klachko - Movimiento Barrios de Pie - et Catalina Brescia - Campagne « La deuda o la Vida »), le Brésil (Ivori de Moraes - MST), la Colombie (Ramiro Arroyave Lema - syndicat des employés de Banque, UNEP).
Pour l’Afrique, la Tunisie (Fathi Chamkhi - Raid Attac), le Maroc (Brahim Oubaha - Attac Agadir), le Sénégal (Zacharias Sambakhé - CADTM Sénégal et Atnane Ndiaye - CSAD), le Mali (Maouloud Ben Kattra et Dicko Bokari - CAD/Mali), le Niger (Ibrahim Yacouba - RNDD), le Burkina Faso (Clémentine Ouédraogo - CADTM et Attac), la Côte d’Ivoire (Solange Koné - Jubilé Sud, FNDP et CADTM), la République démocratique du Congo (Victor Nzuzi - GRAPR, CADTM RDC), le Congo Brazzaville (Jean M’Pelé - Solidaires, CADTM Congo), l’Afrique du Sud (Charles Abraham - Jubilee South Africa).
Pour le continent asiatique, Shalmali Guttal (Focus on the Global South) permettait d’avoir une vision des interventions sur plusieurs pays asiatiques.
Notons également la présence à nos travaux d’Alexander Justin de Jubilee Iraq.
Près d’une cinquantaine de personnes, Europe et autres continents, ont donc travaillé à la réussite des différentes interventions du CADTM.
Le réseau international se réunit
Comme à l’accoutumée, les délégués du CADTM international ont profité des voyages effectués à l’occasion du contre G8 pour se réunir entre eux. Le nombre des participants augmente à chaque réunion : cette fois, c’est une quarantaine de délégués qui ont discuté bilan de l’intervention CADTM, situation des différents terrains, mise au courant des interventions locales, le tout intégré dans une analyse globale du contexte et la définition d’un agenda commun. Deux jours de réunion ont donc suivi le dimanche de manifestation pour permettre au réseau CADTM international de faire le point sur sa propre construction (voir bilan interne).
Denise Comanne