Les 800 000 ouvriers travaillant dans 700 usines textiles situées au Bangladesh, qui étaient en grève depuis le 19 juin pour réclamer des salaires plus élevés, ont repris le travail mercredi 23 juin. Le mouvement avait provoqué de violentes manifestations, rassemblant plusieurs dizaines de milliers de personnes et réprimées par les forces de l’ordre.
Mardi, dans la zone industrielle d’Ashulia, au nord de Dacca, la police anti-émeute a tiré des balles en caoutchouc et des bombes lacrymogènes sur les manifestants pour les disperser. Pour la quatrième journée consécutive, ils avaient érigé des barricades avec de vieux pneus, mis le feu à des camions, et lancé des projectiles sur les forces de l’ordre.
Ces mouvements ont créé un « climat de panique et d’anarchie », avec le saccage d’une cinquantaine d’usines, empêchant de livrer des commandes à temps, selon le patronat des fabricants et des exportateurs de textile (BGMEA). Celui-ci avait décidé le même jour la fermeture de ces usines jusqu’à nouvel ordre.
Le ministre du travail, Mosharraf Hossain, avait alors promis, à l’issue d’une réunion d’urgence avec le patronat du textile, des hausses de salaires, mais avait aussi menacé de « mesures énergiques » les manifestants. Mercredi, après avoir reçu l’assurance du gouvernement que la sécurité serait garantie pour entamer des négociations, le BGMEA a décidé de rouvrir les usines. Celles-ci travaillent aussi bien pour les enseignes Walmart, H&M, Tesco, Carrefour, Metro que pour de grandes marques comme Tommy Hilfiger, Gap ou Levi Strauss.
Les ouvriers exigent un salaire d’au moins 5 000 takas (60 euros) par mois ; l’actuel salaire minimum, fixé en 2006, n’est que de 2 000 takas. Le Bangladesh est le pays où les ouvriers du textile sont le moins bien payés de la planète, selon l’International Trade Union Confederation, spécialisée dans le droit du travail et basée à Vienne (Autriche).
Les ouvriers affirment qu’ils ne peuvent plus subvenir aux besoins de leurs familles, en raison de la récente hausse des prix des biens de consommation. Rashida Akter, une jeune couturière de 23 ans employée sur un site de Dacca, dit ainsi qu’il lui « est devenu impossible de payer, comme par le passé, toutes ses factures avec un salaire de 1 200 takas ».
Au Bangladesh, l’industrie du textile représente 80 % des exportations et pèse, dans la balance commerciale, 12 milliards de dollars (9,8 milliards d’euros). Elle emploie quelque 2 millions de personnes, soit 40 % de la main-d’œuvre nationale, réparties dans 4 000 usines. La plupart des employées sont des femmes.
Selon Gildas Minvielle, directeur de l’Observatoire économique de l’Institut français de la mode (IFM), le Bangladesh représente, pour les fabricants de prêt-à-porter, une alternative à la Chine, essentiellement dans le façonnage des vêtements bon marché et de la maille.
Jean-Marc Genis, le président exécutif de la Fédération des enseignes de l’habillement ajoute que « toutes les grandes enseignes font du »sourcing« en Asie, sans jamais concentrer toutes leurs commandes dans un seul pays. Elles sont dispersées entre la Chine, le Vietnam, le Bangladesh, le Cambodge, selon les prix et le savoir-faire local en façonnage ». Vu l’extrême multiplicité des fournisseurs, si l’un ne peut pas effectuer une commande, cette dernière est rapidement délocalisée ailleurs.
C’est l’essence même de la problématique sociale de la mondialisation dans le secteur du textile. Aucun des pays n’a vraiment de prise sur les commanditaires, ces géants du prêt-à-porter qui diversifient jusqu’à 700 ou 1 000 le nombre de leurs sous-traitants sur la planète entière. Cela leur permet de jouer la concurrence, d’imposer les tarifs les plus bas et de ne pas être trop dépendants de ces usines.
Cette tendance s’est accrue avec « le phénomène de changes qui n’est pas favorable aux vêtements de grande consommation : ils sont vendus en euros mais produits en zone dollar », souligne Evelyne Chabalier, directrice des études économiques de l’IFM.