Vendredi 9 juillet 2010. Le Figaro, qui ose encore placer en exergue cette citation admirable de Beaumarchais : « sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur » alors que son directeur en trahit et l’esprit et la lettre en flattant comme jamais le pouvoir en place, consacre plus d’une demie page aux exploits du ministre des Expulsions et de la Stigmatisation nationale. L’on y apprend ainsi que la lutte contre l’immigration clandestine, menée d’une main de fer par Eric Besson, n’a cessé de s’amplifier et que le nombre de retours forcés, pudiquement appelées « reconduites à la frontière » par les journalistes eux-mêmes, conformément aux éléments de langage forgés par les experts en communication du gouvernement, ont atteint le chiffre de 14.760 au premier semestre 2010. Admirable bilan en effet qui laisse présager des résultats plus remarquables encore puisque pour cette seule année, celui qui est devenu l’un des meilleurs soldats du sarkozysme a prévu de procéder à 28.000 expulsions conformément à la lettre de mission qui lui a été envoyée par le président de la République et François Fillon, son très fidèle « collaborateur » à Matignon.
Au désordre de l’affaire Bettencourt, provoqué par une mauvaise presse, « populiste », « sensationnelle » et « racoleuse », « fasciste » en un mot comme l’ont dit et répété plusieurs dogues de l’UMP qui croient penser au moment même où ils ne font qu’éructer de façon haineuse contre une liberté fondamentale : celle d’informer de façon indépendante, Le Figaro rappelle opportunément qu’il est des ministres exemplaires qui ne se laissent pas distraire de leurs « missions-au-service-des-Français » par de vaines polémiques. En ces matières d’ailleurs, Eric Besson, conformément aux conceptions illibérales de celui qui l’a fait ministre, a des idées bien arrêtées puisqu’il affirme que « les médias » devraient consacrer « moins d’espace à cette affaire et davantage à l’action du gouvernement ». Lumineux, en effet. Alain Peyrefitte, en son temps, n’eut pas dit autre chose.
Décidément, cette époque est régressive, en tout et pour tout. Suggérons donc à l’ambitieux Besson, qui a la foi aveugle et intransigeante des nouveaux convertis, de profiter du prochain remaniement ministériel pour demander au chef de l’Etat d’ajouter aux grandioses missions qui sont déjà les siennes, celle de ministre de l’Information. Voilà qui ferait un fort beau titre conforme à l’esprit thermidorien de saison. Imaginons un instant : ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale, du développement solidaire et de l’Information ! Sublime, forcément sublime, et tellement conforme aux principes républicains qui servent désormais à plaider toutes les causes, même les pires. Outre la traque, l’arrestation et l’expulsion des étrangers en situation irrégulière, Eric Besson pourrait ainsi élargir utilement son domaine de compétences en indiquant aux journalistes comment il conviendrait de rendre compte des réformes engagées par l’Elysée et le gouvernement.
En attendant que l’ordre règne enfin, le même poursuit inlassablement son travail puisqu’il a entrepris de transposer en droit français trois directives européennes relatives à la situation des étrangers dont celle votée le 18 juin 2008 par les parlementaires réunis à Strasbourg. Parmi eux, se trouvaient, la chose mérite d’être rappelée, des élus du Parti travailliste de Grande-Bretagne et des socialistes espagnols, notamment. Aussi nommée « directive de la honte » et violemment critiquée par plusieurs chancelleries –celles de l’Argentine, du Chili et du Brésil– et chefs d’Etat –Evo Morales Ayma en Bolivie, Rafael Correa en Equateur– elle porte la durée de la rétention administrative à dix-huit mois, autorise l’internement et le retour forcé des mineurs isolés en violation de la Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989 pourtant ratifiée par 192 Etats dont la France. De plus, les expulsés pourront être interdits de séjour en Europe pendant une durée de cinq ans. Banalisation, extension et triomphe de la double peine qui devient, par la grâce des institutions de l’Union européenne, une mesure communautaire désormais. Partout dans le Vieux continent, ces dispositions légitiment un prurit législatif incessant qui restreint toujours plus les droits des étrangers non communautaires.
De même en France, où pour la cinquième fois en sept ans, les autorités s’apprêtent à modifier la législation afin d’allonger la durée de la rétention qui va passer de 32 à 45 jours et de créer, comme Eric Besson l’a déclaré au Figaro, « une zone d’attente temporaire pour éviter que des situations comme celle de l’arrivée de Kurdes à Bonifacio ne se reproduisent ». Terrible cercle vicieux où les Etats membres de l’Union font pression sur les institutions communautaires pour qu’elles adoptent des mesures sans cesse plus dures à l’encontre des allochtones pour justifier ensuite leur propre politique xénophobe et nationale. En ces matières, l’actuel ministre des Expulsions, comme son prédécesseur d’ailleurs, est un orfèvre. Pour conclure, donnons la parole au haut-commissaire aux droits de l’homme des Nations unies, Mme Navanethem Pillay qui déclarait le 2 octobre 2008 : « Il y a fortement à craindre que les Etats de l’UE aient recours à la détention de façon excessive et en fassent la règle au lieu de l’exception. » C’est aujourd’hui chose faite.
Olivier Le Cour Grandmaison