Roseraie : Que veut nous signifier le gouvernement ? Cette loi ne protègera en rien les femmes qui y sont soumises, mais dans mon pays, les visages se montrent, je pense qu’il faut une loi mais pas celle qui est « posée ».
Stéphanie Le Bars : Si le but du gouvernement était effectivement d’éradiquer de l’espace public ces femmes intégralement voilées, on peut penser que cette loi y répond. En partie – car on peut s’interroger sur l’applicabilité de la loi. Si, en revanche, le but poursuivi était de combattre un intégrisme religieux ou de réduire une tendance au communautarisme, ainsi que l’avait évoqué la mission parlementaire, alors, là, le but n’est certainement pas atteint.
Akbaraly : La France va-t-elle infliger des amendes aux princes saoudiens qui impose le niqab à « leurs » femmes ?
En décidant d’infliger des amendes aux femmes qui se déplaceraient voilées dans l’espace public, le gouvernement prend le risque de se heurter à un problème d’application de la loi. C’est d’ailleurs pour cette raison que la loi présentée ce matin en conseil des ministres prévoit une période de transition de six mois permettant aux femmes qui le voudraient de retirer volontairement leur voile intégral.
Car on voit mal des policiers interpeller dans la rue des femmes intégralement voilées ou, s’ils le font, on peut penser que ces femmes retireront leur voile, puis le remettront aussitôt le contrôle effectué. C’est en tout cas ce que beaucoup d’entre elles prétendent. Concernant les femmes venues des pays du Proche-Orient, on peut légitimement se demander si l’application sera effective sur les Champs-Elysées...
Mi : Dans un état laïque, on ne doit pas se positionner avec des arguments religieux. Pensez-vous honnêtement que l’on puisse, au pays des Lumières, obliger les femmes à rester dans l’ombre ?
Sur cette question, le gouvernement a pris soin de déconnecter ce débat sur l’interdiction de sa dimension religieuse. La loi ne fait aucunement référence à la laïcité, mais évoque le vivre-ensemble, l’ordre public, la fraternité, la dignité de la personne et l’égalité entre les hommes et les femmes.
Cette approche esquive néanmoins un des fondements du problème : le port du voile intégral relève bien d’une lecture particulière d’un texte religieux, le Coran. Si des femmes portent le voile intégral, c’est bien au nom de Dieu. Et ce, même si le Conseil français du culte musulman et nombre de théologiens ont rappelé, à l’occasion de ce débat, que le port du niqab ou du voile intégral n’était pas une obligation religieuse, mais relevait d’une pratique liée à une interprétation particulière de l’islam.
Shekan : Bonjour, je voudrais savoir si la loi sur le voile intégral ne risque pas de contraindre ces femmes à s’enfermer chez elles plutôt que d’oser se montrer dévoilées. Ces femmes jurent que le port du voile est un choix personnel, mais n’est-ce pas similaire à ce qu’affirment les membres d’une secte ?
Les femmes qui portent le voile intégral mettent effectivement en avant le fait qu’il s’agit d’un choix personnel et non d’un signe de soumission à leur mari ou à leur environnement, mais uniquement à Dieu. Les mêmes affirment qu’elles préféreraient ne pas sortir de chez elles plutôt que de sortir sans voile. On peut s’interroger sur cette affirmation, sachant qu’elles jouent aujourd’hui malgré leur voile un rôle social dans la famille, notamment auprès des enfants en allant les chercher et les conduire à l’école, ou en faisant les courses... L’organisation de la famille peut-elle se priver de ce rôle-là ?
Etudiante en gea : Est-ce que le fait de faire du tapage à propos de la burqa ne va pas susciter un regain de discrimination envers certaines personnes ? Est-ce vraiment dans une volonté d’intégration que l’Etat veut la supprimer ?
Le débat de ces derniers mois, à la fois sur l’identité nationale, l’islam et la burqa, a de fait contribué à poser des questions sur la place de l’islam dans la société française, et sur sa compatibilité avec la République. Le problème précis de la burqa n’a pu que radicaliser les positions des deux camps. La loi anti-burqa risque aussi de conforter les tenants d’un islam radical dans leur rejet de la société occidentale. Et de les installer dans un communautarisme dont ils ne cherchent pas à sortir.
Lactik : Personne ne cite le précédent de l’interdiction du voile à l’école. Quel fruit a-t-on retiré de cette loi ?
Le parallèle entre les deux questions ne tient pas. Concernant la loi d’interdiction du voile à l’école, on avait affaire en majorité à des jeunes filles mineures, évoluant dans un espace laïque et républicain, l’école, duquel les convictions religieuses, politiques ou autres sont exclues. La loi a permis de sanctuariser les établissements scolaires comme lieux de neutralité. Cela n’empêche pas les jeunes filles de porter le foulard à l’extérieur de l’école, une pratique qui existe évidemment toujours.
Triss : J’ai entendu à la radio qu’un tiers des femmes portant la burqa étaient françaises « de souche », et souvent célibataires. Est-ce vrai, et si oui, est-ce que les politiques ne sont pas en train de nous mentir, quand ils parlent d’une majorité de femmes soumises à leur mari ?
En ce qui concerne les chiffres, il est très difficile d’avoir une idée précise du nombre de femmes portant le voile intégral en France, et donc de connaître très précisément leur origine sociale ou familiale. Le ministère de l’intérieur a estimé ce chiffre à environ 2 000 sur l’ensemble du territoire. Il estime également qu’un quart de ces femmes seraient des converties, sans origine culturelle musulmane.
Sur la nature du phénomène, le développement de cette pratique tient davantage à la mondialisation des pratiques culturelles et religieuses qu’à un problème d’immigration. L’un des courants qui prône le port du voile intégral, le salafisme, a le vent en poupe dans l’ensemble des communautés musulmanes du monde, y compris en Europe. Son émergence et son développement sont facilités par l’accès à Internet et aux chaînes satellitaires, qui mettent à disposition de tous des prêches et des avis, venus notamment d’Arabie saoudite.
Angélique Owczarzak : En privant l’individu de pratiquer ses croyances comme il l’entend, la loi sur la burqa n’est-elle pas inconstitutionnelle ?
S’il est saisi, le Conseil constitutionnel devra se prononcer sur la constitutionnalité ou pas de cette loi. S’il n’est pas saisi, des recours devant la Cour européenne des droits de l’homme ne sont pas exclus, les délais de réponse de cette instance prenant néanmoins plusieurs années.