Les populations dont l’alimentation est insuffisante sont, pour plus des deux tiers, des familles paysannes minifundiaires (petites propriétés) équipées d’outils exclusivement manuels et dotées de systèmes de culture et d’élevage insuffisants pour se nourrir elles-mêmes ou pour permettre des achats alimentaires. Auxquelles s’ajoutent celles qui, appauvries ou endettées à l’extrême, s’entassent dans les bidonvilles sans y trouver d’emplois rémunérateurs. C’est donc bien par un accroissement de la productivité et des revenus agricoles des paysans les plus pauvres que l’on parviendra à réduire la prévalence de la faim et de la malnutrition dans le monde.
Mais rien n’indique que le recours aux PGM permette d’atteindre cet objectif. D’un point de vue technique, les solutions prioritaires doivent associer les cultures combinant diverses espèces et variétés, complémentaires dans l’espace et dans le temps, de façon notamment à :
– intercepter au mieux les rayons solaires et transformer ainsi le maximum d’énergie lumineuse en calories alimentaires, par la voie de la photosynthèse ;
– produire des protéines par la fixation de l’azote de l’air, grâce aux légumineuses avec lesquelles des bactéries fixatrices peuvent vivre en symbiose ;
– favoriser l’exploration maximale des sols par les racines et les transferts verticaux de minéraux vers la surface, via la production de biomasse aérienne, la chute des feuilles et leur décomposition dans la couche arable ;
– assurer une couverture végétale maximale des terrains, et les protéger ainsi de l’agressivité des agents d’érosion (pluies tropicales, eaux de ruissellement, vents violents, etc.) ;
– apporter le maximum de matières organiques sur les champs cultivés et favoriser ainsi la production d’humus en leur sein ;
– faire barrière à la propagation et à la prolifération d’éventuels insectes prédateurs et agents pathogènes.
Des variétés rustiques, survivant en conditions aléatoires, permettent de limiter les risques de très mauvaises récoltes, ce qui est crucial pour les paysans précaires. En témoigne le succès récent du riz pluvial Nerica en Afrique de l’Ouest. Issue d’une hybridation classique entre des espèces de riz africaine et asiatique, cette variété, riche en protéines, résiste bien aux sécheresses... sans modification génétique.
De même, il conviendrait d’associer agriculture et élevage, de façon à valoriser les résidus de culture dans l’alimentation des troupeaux, et à utiliser les déjections animales pour la fabrication de fumier sans transports excessifs. Mais encore faudrait-il que les paysans aient accès aux moyens de production nécessaires : animaux de trait, charrettes pour le transport des matières organiques, terres en quantités suffisantes, etc. Il s’agit là bien davantage d’un problème de répartition des ressources que d’une affaire de génétique.
Les paysanneries du tiers-monde disposent d’un savoir-faire « naturel » sous-utilisé. Ainsi en est-il des associations de culture dans les « jardins créoles » d’Haïti et dans de nombreuses îles des Caraïbes. De même, certaines sociétés de l’Afrique soudano-sahélienne emblavent leurs céréales sous des parcs arborés d’Acacia albida, légumineuse dont le feuillage constitue un excellent fourrage pour les animaux, et sert aussi à la fertilisation des sols. Les paysans du delta du fleuve Rouge, au Vietnam, cultivent, dans leurs rizières, des algues aquatiques qui favorisent des cyanobactéries contribuant à la fertilisation azotée des sols. Et l’élevage de canards n’est-il pas un moyen efficace de lutter contre les insectes prédateurs du riz ?
Certes, tous ces systèmes sont perfectibles, et les agronomes ne manquent pas de travail, à la condition de reconnaître les écosystèmes souvent complexes dont on doit toujours ménager les diverses potentialités productives.
De ce point de vue, rien n’indique que la génétique soit le facteur limitant de la production et des revenus agricoles, et que les OGM puissent être utiles aux paysans pauvres. Les multinationales auraient-elles massivement investi dans la mise au point de PGM, pour céder ensuite leurs semences aux paysans les moins solvables du tiers-monde ? Les semences de soja, de maïs et de coton transgéniques sont utilisées dans les pays du Sud, au sein de grands latifundia au Brésil, en Argentine et en Afrique du Sud. On ne sache pas qu’elles aient mis fin à la misère des paysans sans terre et des populations des favelas et des bantoustans...
Marc Dufumier