A Grenoble, ce 30 juillet 2010, Nicolas Sarkozy a lâché une bombe au milieu de son discours sur l’insécurité : « La nationalité doit pouvoir être retirée à toute personne d’origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d’un fonctionnaire de police, d’un militaire de la gendarmerie ou de toute autre personne dépositaire de l’autorité publique », a dit le président.
Rien dans cette phrase ni dans son contexte ne laisse à penser que Nicolas Sarkozy fait référence aux seuls Français ayant acquis la nationalité française.
Or jusqu’à présent, le champ d’application de la procédure de déchéance se limitait aux Français ayant acquis la nationalité française par naturalisation ou par mariage (rappelons que seules les personnes possédant une autre nationalité que la nationalité française peuvent être déchues, afin que les cas d’apatridie ne se multiplient pas).
Mais si l’on en croit Nicolas Sarkozy, on pourrait imaginer demain un Français de 30 ou 50 ans, né en France et qui a toujours été français, être privé de sa nationalité si un de ses aïeux est étranger. « Si c’est bien ce que le président a voulu dire, alors il crée une nationalité éternellement conditionnelle pour des Français qui auraient des ancêtres étrangers, explique l’historien Nicolas Weil, spécialiste du droit de la nationalité. « On crée deux catégories de Français. Ce serait du jamais vu depuis la période la plus noire de notre histoire, et à rebours de toute l’évolution de la sécurisation de la nationalité depuis la Seconde Guerre mondiale. »
Que veut dire le mot « origine » ? Après combien de générations d’ancêtres ayant vécu en France considérera-t-on que l’on n’est plus « d’origine » étrangère ?
Il faut répéter trois fois les termes du discours à Michel Tubiana, de la Ligue des droits de l’Homme, pour le convaincre que le président a vraiment employé ces mots : « Je refuse de l’entendre. Ce n’est pas possible : il doit y avoir une ambiguïté. La tonalité d’ensemble du discours est une tonalité des années trente. Mais ces mesures-là, ce sont les années quarante ! »
Le constitutionnaliste Dominique Rousseau n’est pas moins surpris. Il juge qu’une telle loi serait anticonstitutionnelle et cite à l’appui de sa démonstration l’article 1 de la Constitution de 1958 : « (La France) assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. On ne peut donc pas faire de distinction entre Français de souche et Français d’origine étrangère. Cela porterait atteinte à l’égalité entre Français. »
Les « mineurs délinquants » visés également
Priver une personne née française de la nationalité française ? La stupéfaction est telle qu’on s’interroge : le président a-t-il vraiment cette ambition ? Certes, son discours est écrit ; chaque expression est pesée. Mais quand même. N’emploierait-il pas ces mots seulement pour faire polémique ? Une autre hypothèse, dans ce cas, est que le président n’envisagerait de changer la loi « que » pour ceux qui ont acquis la nationalité française au cours de leur vie.
Pour l’instant, l’article 25 du code civil prévoit quatre cas pour lesquels le gouvernement peut déchoir tout individu de sa nationalité française.
1° S’il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou constituant un acte de terrorisme.
2° S’il est condamné pour un acte qualifié de crime ou délit prévu et réprimé par le chapitre II du titre III du livre IV du Code pénal [atteinte à l’administration publique commise par des personnes exerçant une fonction publique, concussion, corruption, détournement de fonds publics].
3° S’il est condamné pour s’être soustrait aux obligations résultant pour lui du code du service national.
4° S’il s’est livré au profit d’un Etat étranger à des actes incompatibles avec la qualité de Français et préjudiciables aux intérêts de la France [espionnage].
Auparavant une cinquième hypothèse était prévue : « S’il a été condamné en France ou à l’étranger pour un acte qualifié de crime par la loi française et ayant entraîné une condamnation à une peine d’au moins cinq années d’emprisonnement. »
La loi Chevènement [Jean-Pierre Chevènement, ministre de l’Intérieur de 1997 à 2000 du gouvernement « socialiste » de Lionel Jospin] du 16 mars 1998 a supprimé ce dernier cas. Nicolas Sarkozy voudrait-il le réintroduire à sa façon ? Cela n’aurait bien évidemment pas du tout la même portée que dans la première hypothèse.
Autre interrogation majeure : le chef de l’Etat a souhaité « que l’acquisition de la nationalité française par un mineur délinquant au moment de sa majorité ne soit plus automatique ». Jusqu’à présent, la loi de 1993 prévoit que « nul ne peut acquérir la nationalité française ou être réintégré dans cette nationalité s’il a été l’objet soit d’une condamnation pour crimes ou délits constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou un acte de terrorisme, soit, quelle que soit l’infraction considérée, s’il a été condamné à une peine égale ou supérieure à six mois d’emprisonnement, non assortie d’une mesure de sursis ».
Le même article précise toutefois que « (c)es dispositions ne sont pas applicables à l’enfant mineur susceptible d’acquérir la nationalité française ». Le président semble vouloir retirer cette restriction. Tentera-t-il également d’élargir le spectre des condamnations pouvant empêcher d’acquérir la nationalité ? L’expression très vague qu’il a employée, « mineur délinquant », peut le laisser penser.
Mais même en faisant voter par le Parlement un tel changement ainsi que celui sur « l’origine étrangère », et même si ces amendements n’étaient pas censurés par le conseil constitutionnel, le président pourrait être freiné : les procédures de retrait et de perte de la nationalité doivent toutes être approuvées par le Conseil d’Etat. Et il n’est pas sûr que celui-ci accepte de modifier en profondeur sa jurisprudence.
Michaël Hajdenberg