Deux ours. L’un, André Gerin, député (PCF) du Rhône, vestige de la tradition communiste orthodoxe ; l’autre, Eric Raoult, député (UMP) de Seine-Saint-Denis, gaulliste de souche. Deux « forts en gueule », adeptes des coups médiatiques. Drôle d’attelage pour conduire la mission sur le voile intégral, dont le rapport, largement divulgué (Le Monde du 23 janvier), sera remis mardi 26 janvier au président de l’Assemblée nationale. Le premier, qui en était à l’initiative, a obtenu de la présider ; le second en était le rapporteur.
« Cela aurait pu être Laurel et Hardy ; c’est plutôt Dupond et Dupont », remarque Nicolas Perruchot, député (Nouveau Centre) du Loir-et-Cher, un des quatre vice-présidents de la mission. Entre ces deux personnalités en apparence antinomiques, le courant est passé. Ils se connaissent de longue date, s’apprécient, ont ce même côté « popu » qui peut rapidement mener au dérapage. M. Gerin dans sa croisade quasi obsessionnelle contre l’« intégrisme islamiste » ; M. Raoult quand il s’en prend, en novembre 2009, à l’écrivain Marie NDiaye, lauréate du prix Goncourt, qui avait critiqué Nicolas Sarkozy, pour la rappeler à un « devoir de réserve ».
« C’est vrai qu’il a des côtés insupportables et que, parfois, on a envie de le taper, reconnaît André Gerin. Quand il a sorti ce truc-là, je lui ai dit qu’il avait déconné, mais il ne faut pas s’arrêter à ce personnage dont il joue parce qu’il sait que ça va attirer les médias. » Jean Glavany, député (PS) des Hautes-Pyrénées, moins enclin à la bienveillance, avait vertement critiqué Eric Raoult. « Je m’en fous, lui avait rétorqué celui-ci. J’ai déjà CNN qui m’attend dehors. »
La rencontre date de 1995. M. Raoult est alors ministre de l’intégration et de la lutte contre l’exclusion. Il descend faire une visite dans le Rhône, à Vaulx-en-Velin d’abord, puis à Vénissieux, ville dont M. Gerin est le maire. « Il y avait des manifestants qui m’attendaient, raconte l’ancien ministre. Il est allé les trouver, il leur a dit de manifester après : »Quand on accueille quelqu’un, on ne l’agresse pas.« On a gardé des liens de sympathie. Il est un des rares à m’avoir envoyé un message quand j’ai été battu aux législatives, en 1997. »
En 2002, ils se retrouvent sur les bancs du Palais-Bourbon, à la distance qui sépare les bancs d’un groupe communiste relégué à l’extrême gauche d’un groupe UMP ultradominant. Ce qui ne les empêche pas de continuer à « copiner ». Et quand, en mars 2007, André Gerin publie un livre, Les Ghettos de la République (éditions Les Quatre Chemins), dans lequel il dénonce la dérive de quartiers ravagés par « une guerre civile », c’est au maire du Raincy, pas vraiment en proie aux émeutes, qu’il demande d’en rédiger la préface. « J’ai failli en tomber à la renverse, plaisante Eric Raoult. Je lui ai demandé s’il ne craignait pas d’avoir des ennuis avec ses amis. » « Cela fait bien longtemps que je ne prends plus mes ordres place du Colonel-Fabien », rigole le député du Rhône.
Lorsque M. Gerin a évoqué l’idée d’une commission d’enquête sur le port de la burqa, c’est M. Raoult qui est allé voir Bernard Accoyer, le président de l’Assemblée nationale, pour l’assurer qu’il y avait « un vrai problème » et que ce n’était « pas une manœuvre du PC ». Puis est venue la déclaration de Nicolas Sarkozy devant le Parlement, à Versailles, et les choses se sont mises en place. M. Raoult obtient, comme il en avait fait la demande, le rapport de la mission.
Rapidement, une répartition des tâches implicite s’est mise en place : Gerin menait la barque, Raoult intervenait comme une sorte d’arbitre. Un comble : à côté de l’« imam rouge » de Vénissieux, le maire du Raincy a réussi à passer pour un « modéré ». M. Glavany ne mâche pas ses mots : « Gerin, il est complètement irrationnel, c’est un populiste. Je ne sais pas ce qu’il a encore de communiste. Il a fait un coup médiatique pour faire parler de lui, c’est son bâton de maréchal. »
« Parfois, j’étais obligé de lui dire de faire gaffe, qu’il allait trop loin », reconnaît M. Raoult. Ainsi, lorsque, lors d’une audition, le président s’emporte sur la « talibanisation de la société », ou assure vouloir « combattre une idéologie barbare », c’est le rapporteur qui s’efforce de calmer le jeu. Quand le premier dénonce « une marée noire » de voiles intégraux, le second est obligé d’intervenir pour préciser que « la République n’est pas en danger », qu’il n’y a « pas de déferlante islamique dans notre pays ».
Et puis, il y a les « initiatives incontrôlables » du président de la mission, comme lorsqu’il décide d’auditionner Tariq Ramadan sans en avoir discuté avec personne tout en prétendant que c’est « une décision collective ». « Une décision collective de toi-même », lui rétorque sèchement M. Glavany. « C’est un autocrate, constate M. Perruchot. Il a une conception un peu soviétique du collectif. »
Hormis ces quelques recadrages, le tandem a bien fonctionné. « Il y a eu une vraie relation de confiance entre nous deux », se félicite M. Gerin. « C’est pas un tordu », assure M. Raoult. Même le secrétaire général de l’UMP, Xavier Bertrand, a été « scotché » par leur solidarité. « Il va falloir vous pacser, tous les deux », a-t-il fini par lâcher au rapporteur, qui défendait le travail qu’ils avaient effectué. M. Gerin, lui, préfère parler d’« une fraternité d’armes : nous sommes tous les deux des soldats ».
Stéphanie Le Bars et Patrick Roger